TAFTA, GMT, PTCI, PTA : une même horreur politico-économique sous plusieurs noms

La mobilisation pour l'abandon de la négociation du traité de libre échange entre Europe et USA prend de l'ampleur. On la voit davantage dans les médias, des collectivités s'en mêlent. Des conférences et des débats sont programmés, comme à Lons-le-Saunier où le juriste et militant d'ATTAC Frédéric Viale a parlé devant plus de cent personnes.

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Professeur de droit à Paris, militant de l'association Attac dont il anime la commission des échanges internationaux, Frédéric Viale a donné une conférence sur le TAFTA, mercredi 23 avril à Lons-le-Saunier devant une centaine de personnes avec qui il s'est ensuite prêté au jeu des questions-réponses. Pour commencer il n'y a pas un projet d'accord commercial actuellement négocié par la Commission européenne avec l'Amérique, mais deux : l'un avec le Canada, l'autre avec les USA, le premier étant plus avancé que le second. Pour Frédéric Viale, il y a un problème non parce que ce sont des accords commerciaux, mais parce que ce sont « des accords de libre-échange de nouvelle génération allant très profondément dans les attaques contre la démocratie ».

Des oppositions de plusieurs bords politiques
Yannick Jadot, député européen EELV.
Jean Artuis, sénateur UDI
Le Front de gauche
Nicolas Dupont-Aignan le 29 mai 2013...
Une vidéo d'entretiens avec des parlementaires européens sur le site Contre la cour
ATTAC et l'AITEC dénoncent la «caricature de consultation publique» de la Commission européenne sur le mécanisme de règlement des différends

Le juriste plante d'abord le décor et son histoire récente : 1947 et l'accord général sur les tarifs douaniers interne au « monde libre » (GATT), évoluant vers des accords commerciaux de libre échange et la création en 1995 de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sous la double pression des victoires politiques des néo-libéraux Margaret Thatcher (Royaume Uni) et Ronald Reagan (USA) puis de la chute de l'URSS. Il ne s'agissait plus alors de seulement « baisser les barrières douanières mais aussi les distorsions au commerce », ce qu'on appelle plus communément les atteintes à la très fameuse concurrence libre et non faussée. Pour déterminer si ces atteintes sont ou non disproportionnées, il est fait appel non à des tribunaux appliquant le droit, mais à un organisme de règlement des différends (ORD) appliquant l'accord qui l'a institué.

Les décisions de l'organisme de réglement des différends sont-elles susceptibles d'appel ?
Oui, mais devant d'autres arbitres. Il s'agit de déssaisir les Etats d'appliquer le droit voté et appliqué par des juges impartiaux, quoi qu'on pense du droit...

Le TAFTA n'organise-t-il pas un transfert de souveraineté des Etats vers les entreprises ?
Il s'agit bien d'un transfert de souveraineté vers les entreprises transnationales.

Quid de l'argument de la croissance et de la création d'emplois ?
Pour le CEPR de Londres, le traité entraînerait +0,5% de croissance d'ici 2027, soit 500 euros par personne, et 500.000 emplois alors qu'il y a 26 millions de chômeurs en Europe... Nos décideurs croient que les exportations vont faire repartir l'économie...

Pourquoi pas un référendum ? Quelle mobilisation est-elle nécessaire ?
Attention, les questions juridiques sont toujours secondaires... Le commerce, l'investissement et la politique agricole ont été délégués à l'Union européenne par les Etats... Quand le texte sera là (si la négociation se poursuit), il y a peu de surprises à attendre de la Commission européenne. Ensuite, chaque Etat regardera le texte et la mobilisation y aura un rôle. Le Parlement européen : il faut mobiliser pour qu'il vote non. La ratification par les parlements nationaux ? C'est possible car le texte porte sur l'harmonisation des normes qui est de leur ressort... Dans l'état actuel du rapport de force, on perdrait ! Si l'on se contente des rendez-vous institutionnels, on perd ! D'où la nécessité de la mobilisation...

« les négociateurs ont découvert que les gens mangeaient et avaient besoin de l'agriculture »

Une mesure sanitaire ou une subvention peuvent ainsi être attaqués devant cet organisme de règlement des différents qui se réfère à la notion de l'équivalence des produits. Exemple : les USA et le Canada ont obtenu la condamnation de l'Union européenne parce qu'elle interdit le boeuf aux hormones... Selon Frédéric Viale, « l'OMC et l'ORD prenaient des décisions juridiques ayant des conséquences sur les choix politiques internes aux États ». Cela n'a pas empêché les négociations - multilatérales - au sein de l'OMC de mal se passer, notamment sur les questions agricoles, plus particulièrement entre pays riches et pays pauvres : « les négociateurs ont découvert que les gens mangeaient et avaient besoin de l'agriculture », ironise le conférencier.

Pas de publicité des débats devant l'organisme de règlement des conflits

Qu'à cela ne tienne, les USA, l'Europe et le Canada se sont reportés sur des négociations bilatérales : les fameux traités de partenariat transatlantique aux noms multiples. Ça a commencé il y a 5 ans entre l'UE et la Canada, l'année dernière entre l'UE et les USA : « il s'agit d'aller plus loin en s'appuyant sur deux mécanismes. Le premier mécanisme permet à une entreprise non satisfaite d'une décision politique de poursuivre un Etat devant un arbitre international. Il suffit d'être reconnu par les parties en présence, ce n'est donc pas une juridiction. En outre, les arbitres ne sont pas tenus par les conflits d'intérêts et à la publicité des débats : ce n'est pas très différent de l'affaire Tapie ! Qu'une entreprise puisse faire condamner un Etat, ça existe depuis 20 ans aux USA avec le chapter 11... L'Argentine a été condamnée à plus d'un milliard pour avoir décidé un prix maximum pour l'eau et l'énergie après une saisine de Vivendi et Aqua de Barcelona, l'Equateur à 1,8 milliard pour avoir nationalisé son pétrole, la Slovaquie à payer 22 millions à Achmea en vertu d'un accord avec les Pays-Bas pour avoir renationalisé sons système santé après l'avoir privatisé... Bref, l'intérêt général n'est pas tranché par le débat public ».

Des mobilisations des deux côtés de l'Atlantique

Le second mécanisme est la coopération réglementaire : cela consiste à « avertir de ses intentions en amont ». En cas de désaccord d'une multinationale, signalé par ses juristes, « l'Etat qui persisterait serait assigné à passer devant l'organisme de règlement des différends ».

Est-ce un rouleau compresseur qui va tout écraser, ce TAFTA ? Frédéric Viale trouve des éléments de nature à rester optimiste... « si on se mobilise ». Parmi ceux-ci, il note que « le mouvement social n'est pas en retard : on a plus d'un an pour que les gens comprennent ». Et si l'on présente parfois l'accord avec le Canada quasi bouclé, il n'en faut rien croire : « il manque deux chapitres dont l'investissement ! » Frédéric Viale sourit également de voir que des mobilisations contre les traités ont également lieu outre Atlantique. « Il est crucial que nous gagnions, ce serait un moyen puissant de remettre en question le principe central de l'Union européenne : la concurrence ».

  

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