Soupçons d’euthanasie au CHU : le procureur reprend le dossier

Le procureur Alain Saffar reprend un dossier conduit par le procureur adjoint Jean-Christian Vaulot-Pfister qui venait de demander cinq mises en examen pour homicide ou empoisonnement, complicité et faux en écriture... Le Syndicat de la magistrature y voit un « dessaisissement problématique ».

Procureur adjoint au tribunal de grande instance de Besançon où il est en charge des dossiers relatifs à la santé et au travail, Jean-Christian Vaulot-Pfister s'est vu reprendre, par le procureur Alain Saffar, l'information judiciaire pour empoisonnement de patients en fin de vie dans le service de réanimation chirurgicale du CHU de Besançon qu'il suivait. Cette information judiciaire avait été ouverte à la demande de la chancellerie après le classement sans suite, d'une enquête préliminaire ouverte en 2002. La justice suspectait alors dix huit cas d'euthanasie, dont quatorze actifs, consécutifs à des injections de produits létaux dans la période 1998-2001. 
Après l'audition de près de 80 témoins, M. Vaulot-Pfister a remis en octobre un réquisitoire supplétif d'une quarantaine de pages à la juge d'instruction Mariette Auguste. Il s'est également appuyé sur des expertises complémentaires, menées entre 2008 et 2010 pour examiner des dossiers médicaux dont une bonne partie étaient incomplets. Il avait nommé deux experts pour réétudier des dossiers médicaux après que le SRPJ service régional de police judiciaire de Dijon avait découvert que la moitié des scellés étaient introuvables chez un premier expert. Il a aussi fait procéder à des analyses toxicologiques des produits utilisés : curare, chlorure de potassium notamment. Il concluait en demandant la mise en examen de quatre médecins, actuellement témoins assistés, pour homicide volontaire ou empoisonnement de personnes vulnérables, ainsi que de l'ancienne chef de service pour complicité d'homicide et faux en écriture en raison de soupçons de maquillage de plusieurs dossiers de patients.
Le Syndicat de la magistrature, dont M. Vaulot-Pfister est un fondateur, n'hésite pas à parler de dessaisissement problématique. « Qu'un collègue soit dessaisi d'un dossier qu'il suivait de tout temps, pose la question du statut des magistrats du parquet. Déjà pour les magistrats du siège, malgré un statut protecteur, il y a des difficultés quand un magistrat ne plait pas à son chef de service. Pour le parquet, c'est le vide juridique », indique sa présidente, Françoise Martres. Elle estime ainsi que la réforme à l'étude, en privilégiant les conditions de nomination des parquetiers, envisage les choses « par le petit bout de la lorgnette. La règle, c'est la liberté de parole des magistrats du parquet à l'audience, mais comment fait-on quand les réquisitions ne sont pas conformes à l'avis du procureur ? ».
Le retrait d'un dossier à un magistrat du parquet par sa hiérarchie est rarissime, en particulier sur une affaire relevant de ses attributions. Dans le jargon de la magistrature, on parle de « dossiers de chef ». Il ne s'agit d'ailleurs formellement pas d'un déssaisissement, explique Alain Saffar : « J'ai souhaité reprendre le dossier. Il n'y a qu'un seul procureur, c'est moi, et quand je confie un dossier à mes collaborateurs, leur travail engage l'ensemble du parquet qui est indivisible ». Pourquoi a-t-il repris ce dossier en particulier ? « Il y a des positionnements sur lesquels, je m'exprime différemment... Un positionnement engage tout le parquet ». Quelle est son opinion sur ce dossier ? « Je n'en ai pas d'autre que celle exprimée dans les réquisitions écrites... ».
Donc, si l'on comprend bien, une position différente, mais une opinion identique...
L'affaire est-elle si sensible qu'elle ait nécessité ce qui peut aussi s'analyser comme une sanction visant un magistrat turbulent ? Jean-Christian Vaulot-Pfister, magistrat expérimenté, avait en effet poursuivi France Télécom après le suicide d'un agent, ou encore des transporteurs routiers condamnés pour travail dissimulé. « C'est vous qui employez le terme sensible », répond Alain Saffar, « on parle quand même de savoir si éventuellement des médecins ont sciemment donné la mort, c'est une affaire hors normes ».
Partie civile au dossier, la CFDT qui loue le « travail extrêmement rigoureux » de Jean-Christian Vaulot-Pfister, craint que l'affaire ne soit perçue comme « un combat entre médecins et personnel soignant ». Quant au « problème interne à la justice » qu'est la reprise du dossier par le procureur, le syndicat n'y décèle « aucune indication sur la suite à donner au dossier... Mais s'il y avait un non lieu, on aurait des choses à dire... » 
Pour l'heure, c'est à la juge d'instruction, tout juste de retour de congé maternité, de décider la suite à donner aux réquisitions écrites de M. Vaulot-Pfister : mises en examen ou non, ouverture ou non d'une instruction judiciaire...
Plus de 10 ans après les faits, alors que la loi Léoneti sur la fin de vie pourrait être révisée cette année, il serait temps d'entrevoir la vérité.

Pour compléter la réflexion sur la fin de vie
La loi Léoneti, son résumé, ses difficultés d'application
Le rapport Sicard, le précédent président du comité national d'éthique
L'analyse du rapport Sicard par La Croix

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