Sénat : la gauche perd son unique parlementaire en Franche-Comté

C'est du jamais vu sous la 5e République. Même aux temps du gaullisme triomphant ou des victoires éclatantes de la droite en 1968, 1993 ou 2002, il restait encore quelques députés ou sénateurs de gauche. La candidature dans le Doubs du socialiste Nicolas Bodin a-t-elle torpillé celle de l'ancienne députée PS frondeuse Barbara Romagnan ? 

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C'était à prévoir, c'est arrivé. La gauche franc-comtoise a disparu du Parlement français. Pas un seul de ses douze députés ne siégeait depuis 2017 dans un groupe politique estampillé de gauche, et aucun des huit sénateurs depuis le 27 septembre. Le dernier mandat de gauche était détenu dans le Doubs par la sénatrice Marie-Noëlle Schoeller qui avait remplacé quelques mois Martial Bourquin, contraint de démissionner pour éviter le cumul avec sa vice-présidence de Pays de Montbéliard Agglomération. En cherchant un peu, certains pourront tenter de classer à gauche les députés LREM du pays de Montbéliard Denis Sommer et Frédéric Barbier, ou celle du Jura Danièle Brûlebois, tous trois passés par le PS. Le second a même siégé dans le groupe PS à l'Assemblée nationale durant le controversé mandat 2012-2017 et continue à se réclamer de la gauche. Le premier a été vice-président du Conseil régional, de Franche-Comté puis de Bourgogne-Franche-Comté, la troisième première vice-présidente du Conseil général du Jura durant l'éphémère et chaotique présidence de Christophe Perny (successivement PRG, PS, LREM, dissident de LREM). Mais c'était dans une autre vie politique, et ils sont aujourd'hui bel et bien des soutiens d'un gouvernement et d'un président dont les décisions majeures penchent bien à droite : économie, réforme du code du Travail, institutionnalisation de l'état d'urgence, doctrine de maintien de l'ordre, dérogations pour les pesticides, etc. Pas un seul parlementaire de gauche en Franche-Comté, cela ne s'est jamais vu sous la 5e République. Il n'y a eu aucun député de gauche lors des deux premières mandatures de l'Assemblée nationale (1958-62 et 1962-67), mais il y eut à la même époque (1959-71) un sénateur socialiste dans le Territoire de Belfort, Marcel Boulangé (SFIO). Durant les autres mandatures, la droite a globalement été majoritaire, assez nettement, mais pas de manière écrasante. Même après la débâcle électorale des législatives de 1993, il resta deux députés de gauche, Jean-Pierre Chevènement et Jean-Pierre Michel, à Belfort et à Héricourt, tous deux du Mouvement des Citoyens issu d'une scission du PS, et un sénateur socialiste, Michel Dreyfus-Schmidt, également à Belfort, de 1980 à 2008. Et en 2002, après que Le Pen se qualifia pour le second tour de la présidentielle, il demeura une députée socialiste, Paulette Guinchard, à Besançon, encore auréolée de son passage au gouvernement Jospin où elle fit voter l'Allocation personnalisée d'autonomie (APA) pour les personnes âgées dépendantes.

Haute-Saône : une candidate « de gauche » passée de Krattinger à Chrétien

Ce bref rappel historique met en perspective cette déconfiture aux dernières sénatoriales dont la portée politique est à relativiser, le corps électoral étant réduit à 3000 grands électeurs. Certes, la défaite était attendue en Haute-Saône et dans le Territoire-de-Belfort. Elle était évidente à Belfort où un seul poste était à pourvoir et où le sortant, Cédric Perrin est le sénateur le mieux élu de métropole avec plus de 72% des voix des 371 grands électeurs qui se sont exprimés, écrasant au passage les candidats LREM et écolo. Elle était écrite d'avance en Haute-Saône où la candidate étiquetée divers-gauche, Gaëlle Galdin, ancienne adhérente du PS qui fut directrice de cabinet du président du Conseil départemental, l'ancien sénateur Yves Krattinger (PS), a rejoint la liste municipale de l'ancien député UMP, Alain Chrétien, à Vesoul. Chrétien étant proche de Bruno Le Maire, cette candidature a tout l'air d'une candidature macroniste, notamment au vu d'une déclaration de l'intéressée à L'Est républicain lors de l'annonce de son ralliement au maire de Vesoul : « Les républicains de droite et de gauche qui travaillent ensemble, c’est la solution ». Certes, Madame Galdin qui a largement devancé le candidat socialiste, a perdu honorablement au second tour avec 45% des voix face au conseiller départemental LR de Jussey Olivier Rietmann, mais avec une telle profession de foi, il est difficile d'imaginer que des électeurs de gauche lui donnent un brevet d'engagement. Il en va autrement des grands électeurs qui, élus ruraux pour la plupart, savent que leurs dossiers de demande de subvention sont souvent passés entre ses mains. Néanmoins, ils lui ont préféré un agriculteur qui a notamment œuvré pour que le département de Haute-Saône adopte en 2015 une motion contre l'accord de libre échange avec le Canada ! Belfort et la Haute-Saône étant pour cette année des terres de mission, les seuls espoirs de la gauche de conserver un mandat étaient donc dans le Doubs. Il suffisait que ses composantes s'unissent pour, scrutin proportionnel oblige, avoir un élu. Or, tout s'est enrayé et deux listes se sont concurrencées, aboutissant à un échec d'autant plus amer qu'il est joué à huit voix. Autant de bulletins qui ont manqué à l'ancienne députée PS frondeuse Barbara Romagnan, aujourd'hui militante de Génération.S, pour prendre la place qui revient à Annick Jacquemet, seconde de la liste de Jean-François Longeot (UDI, ex UMP) et première vice-présidente du département, mandat exécutif qu'elle devra abandonner.

Doubs : une chute de 83 voix en six ans

Ce faisant, Barbara Romagnan a déjoué bien des pronostics en devançant d'une trentaine de voix la liste conduite par Nicolas Bodin, deuxième vice-président de la Communauté urbaine de Besançon et ancien premier fédéral du PS du Doubs. Ce scrutin particulier aura vu le PCF et EELV s'abstenir de présenter leurs propres listes comme en 2014 et 2008. Mais alors que les écolos ne donnaient aucune consigne de vote, les communistes, qui avaient soutenu Romagnan aux législatives de 2017, faisaient figurer une des leurs sur la liste Bodin. Il se murmure que c'est le fruit d'un accord national... Alors que plusieurs communes sont passées à gauche au printemps dernier, comme Ornans, Exincourt ou Bavans, le résultat est là : le total des voix de gauche chute de 83 voix par rapport à 2014 alors même qu'il y a eu 52 électeurs inscrits supplémentaires et 58 suffrages exprimés de plus. En outre, la liste Longeot (UDI) progresse de 156 voix, passant de 27% à près de 36% des exprimés tandis que la liste Grosperrin (LR) se tasse et que l'extrême-droite recule. L'union à gauche, qui aurait permis à coup sûr d'obtenir un élu, tout le monde dit l'avoir voulue. Ancien sénateur et président du Conseil départemental du Doubs (2004-2015), Claude Jeannerot regrette « l'impéritie du PS qui n’a pas su ou pas pu préserver l’union » dans une analyse de l'échec publiée sur son compte Facebook. Cependant, selon lui, c'est bien au PS que devait revenir le poste puisque « toutes les forces de gauche étaient engagées ensemble pour gagner Besançon autour d’une candidature EELV ». Et de s'interroger sur le silence d'Anne Vignot, la maire de Besançon qui « aurait dû peser de son autorité fraichement acquise pour empêcher ce désordre et permettre, en forme de réciprocité, et dans une suite logique, une véritable dynamique ». Véritable vainqueur du scrutin, Jean-François Longeot, homme de droite modéré et ouvert, n'en rajoute pas : « Ça a tourné mieux que je ne le pensais, je suis surpris en bien ». Il pense que la désunion à gauche a pu lui profiter, mais aussi le fait que nombre d'élus « se moquent des étiquettes et se disent : Longeot a bossé ». De fait, il laboure le terrain : « J'ai fait campagne pendant six ans... et je suis reparti ». Logique de la part de celui qui estime que son électorat est « dans les petites communes avec un délégué » alors qu'il y en a « 107 à Besançon, une trentaine à Pontarlier, Montbéliard ou Audincourt... »

Le marigot du Pays de Montbéliard

Le Pays de Montbéliard justement. C'est là que réside une partie de cette équation perdante, et plus particulièrement au sein même du PS. Il est d'ailleurs notoire dans le microcosme politique que socialistes bisontins et montbéliardais ont rarement été sur la même longueur d'ondes. Claude Jeannerot ne le rappelle pas, mais il doit se souvenir avec une réelle amertume du vote des militants lui préférant Martial Bourquin pour la tête de liste des sénatoriales de 2008 alors qu'ils étaient tous deux sortants. Elus six ans plus tôt sur leur nom, il avait fallu que l'un d'eux s'efface en raison de l'introduction du scrutin de liste proportionnel dans les départements ayant au moins trois sénateurs. Jeannerot, alors président du département, pensait que la place lui revenait... Cette fois, le jeu des alliances à PMA, la communauté d'agglomération de Montbéliard, aura été en toile de fond de la campagne. Accrochez vous et lisez lentement. On aura par exemple vu Magali Duvernois, maire PS d'Exincourt, ancienne attachée parlementaire de Martial Bourquin et conseillère départementale d'opposition, être élue 9e vice-présidente de PMA face à Martine Voidey, maire de Voujaucourt (DVG), présidente du groupe d'opposition au département et soutien de Nicolas Pacquot (maire sans étiquette d’Etouvans) qui briguait la présidence et fut battu au second tour par le sortant Charles Demouge (maire LR de Fesche-le-Chatel). Troisième du premier tour pour la présidence de PMA, Bourquin s'est retiré en ayant passé un accord avec Demouge, moyennant l'élection de quelques uns de ses proches comme vice-présidents. Ses soutiens ont aussi manifestement voté Nicolas Pacquot qui a obtenu le poste de 3e vice-président de PMA face au candidat présenté par Charles Demouge... Bref, une mayonnaise politique pas forcément facile à suivre... de Besançon. Barbara Romagnan avait pour sa part en deuxième position sur sa liste le maire d'Allenjoie, Jean Fried, qui avait parrainé Benoît Hamon à la présidentielle de 2017, et s'est associé après les municipales à la démarche de Nicolas Pacquot. Cela a-t-il apporté des voix à l'ancienne députée lors des sénatoriales ? C'est vraisemblable. Mais l'intéressée met surtout en avant le fait qu'elle s'est déclarée tôt, dès de le mois de mai, et a mené campagne presque tout l'été. C'est ce qu'elle répond quand on lui demande si elle s'attendait à être devant Nicolas Bodin qui ne s'est fait connaître comme candidat qu'en juillet. Bref, on en n'a toujours pas fini avec les conséquences de l'implosion du PS sous le mandat présidentiel de François Hollande. Forcément, Comment les protagonistes de la désunion à gauche voient-ils les choses ?

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