Second tour : mobilisation générale contre l’extrême droite

Les socialistes ont fait leurs comptes et sont persuadés d'avoir davantage de réserves de voix que François Sauvadet et sont en situation de l'emporter dimanche. Second du premier tour, le candidat UDI-LR estime être le seul à « faire obstacle à l'arrivée du FN ».

François Sauvadet (UDI) ou Marie-Guite Dufay (PS). Pour Factuel, il faut voter pour l'un ou l'autre car l'urgence absolue est d'empêcher le FN de diriger la région Bourgogne-Franche-Comté pendant six ans. Photos D.B.

La politique ne se résume pas à l'arithmétique. Il faut pourtant en faire un peu. Le total des trois listes de gauche (PS, Alternative, EELV) au premier tour atteint 303.535 voix. Cette addition est légitime car les têtes de listes de l'Alternative et d'EELV, Nathalie Vermorel et Cécile Prudhomme ont clairement appelé à voter pour Marie-Guite Dufay. Elles ont même participé à un meeting qui a réuni environ 500 personnes, mardi soir à Audincourt.

Ce total est  légèrement supérieur au seul résultat du FN qui a obtenu 303.128 voix. Pour autant, il n'est pas garanti car les reports ne sont évidemment pas automatiques. C'est ce qu'explique Ensemble, l'une des composantes de l'Alternative, dans un communiqué appelant mollement à voter PS tout en disant comprendre ceux qui ne le feraient pas...

François Sauvadet : « imagine-t-on confier l'avenir de nos jeunes au FN ? »
« Nous ne pouvons pas imaginer une seconde le FN diriger notre région », soulignait lundi dans un communiqué François Sauvadet en insistant sur les menaces : « isolement, repli, conséquences graves sur l'économie et l'emploi, signal désastreux sur nos industries qui exportent, conséquences sur la vie quotidienne, le monde associatif, la culture... Est-ce que l'on imagine confier au FN la formation et les lycées, l'avenir de nos jeunes ? »

Gilles Robert : « Les reports à gauche n'ont rien d'automatique »

Ce total théorique de gauche est sensiblement inférieur à l'addition des voix des trois listes de droite et du centre (UDI-LR, DLF et MoDem) qui atteint 312.256 voix. Mais cette addition ne va pas de soi car le MoDem est divisé sur la conduite à tenir pour le second tour, et Debout la France n'a donné aucune indication à ses électeurs. On peut aussi procéder à une addition tout aussi théorique en ajoutant les voix de LO au total gauche, ce qui peut paraître bien imprudent de le faire pour la totalité car LO a appelé à voter LO au second tour, on arriverait à 318.048 voix. 

On peut également considérer que le FN a des réserves, notamment chez certains électeurs de Debout la France qui peuvent être convaincus par le discours sur l'Europe. Le maire PS du Russey, Gilles Robert, ne cache pas son inquiétude : « j'entends des réflexions selon lesquelles le FN n'aurait pas fait le plein au premier tour ». Il est en tout cas convaincu que les reports à gauche, s'ils « semblent plus naturels pour Marie-Guite Dufay, n'ont rien d'automatique ». En Côte d'Or, Michel Neugnot (PS) en appelle au classique « sursaut républicain » en rappelant que les socialistes se sont retirés d'un canton au printemps pour empêcher l'élection du FN. Il assure que François Sauvadet n'a pas de réserves de voix, mais que le FN « en a et va les mobiliser ». Il compte sur la mobilisation des militants socialistes : « quand les affiches arrivent, elles sont vite dispatchées, ça ne traîne pas, c'est un signe ».    

Jean-François Longeot : « il ne faut pas que ce soit le FN »

Les exercices de calcul montrent que les écarts sont très faibles entre les trois grands groupes électoraux. « Tout est ouvert, on sera à 33-33-33, il y aura peut-être un tout petit avantage à Marie-Guite Dufay si elle a de bons reports de voix », analyse le sénateur-maire d'Ornans Jean-François Longeot (UDI) qui se dit « clair : il ne faut pas que ce soit le FN ». Mais la politique ne se résume pas à l'arithmétique. Il y a aussi des dynamiques qui sont fonction de facteurs multiples. La dynamique des appareils politiques, certes en crise, porterait plutôt la gauche, surtout si elle parvient à mobiliser ses forces militantes. C'est ce qui fait dire à Denis Sommer, premier vice-président sortant du Conseil régional de Franche-Comté que « la victoire de la gauche est très possible. On a monté ce meeting d'Audincourt en moins de 24 heures et eu 500 personnes contre 280 au premier tour ».

Eric Houlley (PS) : « le FN est un ennemi impalpable »
Que disent les abstentionnistes que vous rencontrez ?
Qu'il ont été négligents, se sont désintéressés de l'élection, mais ils n'ont pas envie de voir le FN dans les lycées, mener sa politique culturelle si tant est qu'il en ait une, couper les vivres aux associations humanitaires...
Y aurait-il quelque chose à changer si vous gagnez ?
On se mettra au travail en prenant conscience qu'on aura qu'une majorité relative et on maintiendra le dialogue avec nos partenaires de gauche. Chaque fois que le FN monte, c'est la même ritournelle, on ne peut pas continuer comme ça. Le scénario se répète avec le contexte des attentats. Ça doit nous interroger sur la nature de la construction européenne et la politique économique et sociale nationale.
Comment se passe votre campagne ?
C'est un travail de fourmis, de contact, de réseaux...
Le FN le fait aussi...
Il existe électoralement sur Lure depuis un bail, mais c'est un fantôme sur la ville, incapable de faire une liste aux municipales. Leurs candidats aux départementales sont inconnus. C'est un ennemi impalpable.
Votre campagne est en lien avec votre action municipale ?
Incontestablement. On veille au lien social. Je suis très présent, avec une équipe active, avec toute la gauche. Croire que la solution va venir de gens absents des territoires pendant 6 ans est une illusion. Parce que le FN ne gagnera pas cette élection, tout ne négligeant pas son ancrage.
Mais vous dites que c'est un parti fantôme...
Je parle d'ancrage électoral. Il ne distribue aucun tract, ne fait pas de réunion publique. Si leurs électeurs les voyaient à la région, leur absentéisme, leur non travail sur les dossiers...

En février, lors de la législative partielle, le meeting de soutien à Frédéric Barbier avec Manuel Valls, avait réuni le double de participants... Il y a aussi le refus viscéral de l'extrême-droite : « Il y a davantage de dynamique à gauche, on l'a vécu aux élections départementales : quand le FN est haut, l'électorat de gauche se mobilise », dit Yves-Michel Dahoui, ajoint PS au maire de Besançon. Conseiller régional PS, numéro 3 en Haute-Saône, Eric Houlley sent lui aussi « une mobilisation très forte de toute la gauche » à Lure dont il est maire, avec des adjoints Front de gauche et EELV.

Hélène Pélissard : « dimanche, je n'avais pas trop le moral »

A droite, on veut conjurer le mauvais résultat du premier tour. Tête de liste LR-UDI dans le Jura, Hélène Pélissard ne lâche rien : « Les gens ont été marqués par le score du FN. Dimanche, je n'avais pas trop le moral, mais je suis remontée par mes colistiers, par les abstentionnistes du premier tour qui disent : là, on va se mobiliser. Des gens viennent nous voir, nous téléphonent en nous demandant ce qu'ils peuvent faire pour nous. Les 42.000 chômeurs de plus sont dans tous les esprits. Certains sont aussi contents de voir que Sarkozy est un peu écarté des affaires...  Ce sera serré... »

Daniel Prieur, septième sur la liste LR-UDI du Doubs, considère que la situation est « confuse » et s'interroge : « comment ça va tourner ? la politique n'est pas une science exacte, il y a des réserves de voix pour tout le monde. Il n'y aura pas de report à 100% des écolos et de l'extrême gauche vers Marie-Guite... Dans les campagnes, des gens sont dans le fantasme sécuritaire de Montel et anti-Sarko : du coup, les listes UDI-LR qui veulent faire le travail sont flinguées par des aspects nationaux... »

Daniel Prieur : « On n'y est pas, mais ça ne va pas nous empêcher de dormir »

On ne sent pas le président de la chambre d'agriculture du Doubs et du Territoire de Belfort très optimiste : « On n'y est pas, mais ça ne va pas nous empêcher de dormir. Si le PS rassemble la gauche, ils seront en tête. On n'est pas dans une dynamique de changement. Sauvadet peut l'incarner car il a prévu de faire travailler ensemble région et départements... Si le FN prend la région, ce sera, par exemple, compliqué de travailler avec le conseil départemental de Haute-Saône et la communauté de communes de Luxeuil... En tout cas, si on ne gagne pas, je veux qu'on soit clair, qu'on ait un travail positif, on ne sera pas là pour faire de l'opposition brute de décoffrage. Si c'est le FN, si je sens que les choses ne vont pas dans l'esprit BFC, je serai dur... »

Le MoDem est dans le grand écart. Son président pour le Doubs, Laurent Croizier a appelé au retrait de la liste PS qu'il invite à « suivre l'exemple courageux » des listes PS en PACA et Nord-Picardie. Une posture identique à celle des vice-présidentes de Bourgogne Safia Otokoré (PS) et Florence Ombret qui « demandent au PS de retirer sa liste et appellent à voter Sauvadet » car « le péril est trop grand et le risque avéré ». Le président de l'UDI, Jean-Christophe Lagarde n'a pas dit autre chose.

Christophe Grudler : « je connais la beauté du Diable »

A contrario, le président du MoDem de Côte d'Or, François Desseille, fait reproche à François Sauvadet de ne « pas avoir tendu la main, dans un grand geste républicain, à Marie-Guite Dufay » en lui proposant une fusion « pour faire barrage au FN » car il estime « dangereux le pari de la mobilisation des abstentionnistes ». M. Desseille a appelé à voter PS. Ces appels au retrait de Marie-Guite Dufay sont « de la rigolade » pour Denis Sommer (PS). Hélène Pélissard constate que « le PS a retiré ses candidats là où il est sûr de perdre ». Elle assure cependant avoir croisé des électeurs socialistes qui « pensent qu'on est le meilleur rempart ». 

Yves-Michel Dahoui : « Nos enfants nous diront plus tard: qu'avez-vous fait ? »
« Je suis très sévère... Je n'ai pas envie de faire du chantage. Je me mets à la place de nos enfants, de nos petits-enfants qui nous diront plus tard : qu'avez-vous fait à ce moment ? Il y aura ceux qui ont fait et ceux qui n'auront rien fait. Il restera quoi dans la mémoire de ceux qui nous jugeront ? »

Quant à la tête de liste du MoDem, Christophe Grudler, il « connaît la beauté du Diable ». Et rappelle, en historien, qu'avant la victoire législatives des nazis en 1933, « Goering avait gagné les élections régionales de Prusse. Ensuite, Hitler a fait 35% et la droite avait refusé de s'allier au Centre pour le faire avec les nazis, afin disaient-ils, de les contrôler de l'intérieur... ». On connaît la suite. L'élu belfortain n'a toujours pas digéré « l'erreur majeure de Sauvadet qui a écouté Sarkozy et Meslot et ne s'est pas entendu avec le MoDem : il serait à 27 ou 28% et pourrait dire qu'il est le seul à pouvoir battre le FN. Alors que là, on a deux candidats qui se tapent dessus comme aux premiers jours ». Quelle est sa position ? « Faire barrage au FN ». Mais encore ? « Les électeurs jugeront tout seuls en fonction de qui peut battre le FN ». Pour qui votera-t-il ? « Je ne donne pas ma position personnelle ». François Bayrou, lui, soutient Sauvadet.

Denis Sommer : « lundi, un autre débat va s'engager et je n'aurai pas ma langue dans ma poche »

Quoi qu'il en soit, on a l'impression que les gueules de bois des lendemains d'élections sont de plus en plus sévères. Les constats sur les colères des électeurs « abandonnés » dans les quartiers ou le monde rural ne datent pas de dimanche dernier. Comme tout le monde, Hélène Pélissard a « entendu dire » que des sympathisants LR ont voté FN, même si « personne ne me l'a dit ». Un ancien conseiller régional gaulliste glissait lors du meeting de François Sauvadet de premier tour à Besançon qu'il y avait dans la salle des militants qui s'apprêtaient à voter FN. Retourneront-ils au bercail le 13 décembre ?

La thématique alimentera les débats d'après second tour. A droite, mais aussi à gauche. Pour l'heure, il y a « urgence », estime Denis Sommer, et « lundi est un autre jour... Un autre débat va s'engager et je n'aurai pas ma langue dans ma poche, quelque soit le résultat, et surtout si on est victorieux. Car je ne suis pas sûr qu'on nous repassera les plats cinquante fois ».

Le PG ne veut pas se « soumettre au premier coup de sifflet du PS »

Au PG du Doubs, absent de l'élection, on les passe déjà plus et on refuse d'arbitrer « entre l'extrême droite et ses principaux pourvoyeurs de voix » : « l'abstention de masse est devenue le premier choix politique », explique un long communiqué qui reproche à « l'autre gauche de s'être livrée aux mêmes logiques de petites tactiques politiciennes » avant de se « soumettre au premier coup de sifflet du PS jouant sur les peurs ». LO non plus qui appelle ses électeurs à mettre dans l'urne un bulletin LO au second tour, autrement dit, voter nul.

Yves-Michel Dahoui le sait bien : « j'ai vu des gens de gauche désabusés, déçus, qui s'en foutent. Je suis très sévère. Il faudra une remise en cause de notre mode de fonctionnement après l'élection ». Ne le dit-on pas à chaque fois depuis des années ? « Oui, mais là, il y a un effet de seuil. On a des apparatchiks qui ont le pouvoir de trancher sur ce qu'il faut faire sans connaître le monde du travail, et les élus les regardent les laminer, on l'a été au département. On a des élus qui n'ont jamais été confrontés au monde du travail, comme Macron, ou Valls que j'ai connu car on a été premiers fédéraux en même temps. Sauf que moi, je bosse, que Jean-Louis Fousseret a travaillé... »

Yves-Michel Dahoui : « La première fois que Valls a été candidat, il a pris une baffe »

Valls n'a-t-il pas été maire, donc avec une connaissance du terrain ? « La première fois qu'il a été candidat, c'était contre Robert Hue et il a pris une grande baffe. Ensuite, il a eu une circonscription sur mesure. C'est pareil pour Morano (LR), Désir ou Dati qui ont été recyclés au Parlement européen. Les gens en ont marre... Je me souviens d'un débat Sanguinetti-Chevennement de haut niveau sur la défense à la télé quand j'avais 14 ans. On n'a plus de débat comme ça, on est dans la facilité, plus dans le fond... »

L'aubryiste Eric Houlley dit les choses moins durement, mais il les dit : « Je ne veux stigmatiser personne au PS ou au gouvernement, mais on devra avoir des débats profonds, notamment sur comment s'affranchir des contraintes macro-économiques européennes ». Lui fait-on remarquer que François Hollande a très vite fermé ce débat, le maire de Lure répond : « J'aurais souhaité qu'il soit plus ferme avec Angela Merckel au début du mandat, mais le rapport de forces européen n'est pas favorable aux progressistes... ». EELV ne dit pas autre chose en expliquant : « notre soutien d'aujourd'hui sera vain si le gouvernement et le Président de la République ne décident pas un réel changement de cap ».

Gilles Spicher : « on a perdu la bataille idéologique »

La gauche sera-t-elle en état de débattre, même après quelques victoires régionales ? Le pourra-t-elle sous un régime d'état d'urgence qui ruine l'expression des désaccords et des conflits ? Hélène Pélissard (LR) met le doigt sur ce point qui fait assurément mal à la gauche : « J'entends parler des zadistes qui s'interrogent : c'est quoi ce gouvernement qui nous explose, nous expulse manu-militari et nous demande de faire l'appoint dans les urnes ? » 

Gilles Spicher, un socialiste qui a franchi le pas de passer plus à gauche en étant candidat sur la liste de l'Alternative à gauche, est « triste » de tout ce qui arrive. Il estime que la droite « a une chance d'être élue », mais ce qui l' « inquiète le plus », c'est de constater que « le Front de gauche ne mobilise pas plus : on n'est pas audible, on a perdu la bataille idéologique. Les questions de sécurité et d'identité ont pris le dessus, et même si le FN a récupéré un discours social, il a toujours son vieux fond xénophobe ».

Sauver l'essentiel

Syndicaliste - il a siégé pour la CGT au Conseil économique social et environnemental -, il s'inquiète de l'influence des thèses du FN auprès des sympathisants des syndicats. Il ne sent pas, comme on l'avait vu au second tour de la présidentielle de 2002, de « grosse mobilisation », même si « Philippe MartinezSecrétaire général de la CGT s'est prononcé clairement ». Quant aux partis de l'autre gauche, certains, comme le PCF, ont certes appeler à voter PS, mais sans appel à mobiliser : « c'est au PS de le faire... »

Les lendemains du 13 décembre seront lourds. Les congés ne seront pas de trop pour souffler un peu. Il y aura les voeux de François Hollande puis l'élection des nouveaux présidents de régions le 4 janvier. On rentrera alors dans l'avant présidentielle de 2017 qui risque à nouveau de mettre la vie politique sous l'éteignoir. Comment la faire respirer avec la nouvelle menace FN qui s'annonce ? Pour Christophe Grudler, il aurait fallu la proportionnelle à l'Assemblée nationale : « les gens travailleraient ensemble, il y aurait 50 députés FN qui feraient connerie sur connerie et tout le monde le verrait. Là, on les laisse brailler à la porte. Ce système politique a montré sa faillitte, j'espère que dimanche on va sauver l'essentiel ».

Les trois listes restant en présence sont .
Voir ici la position nationale du MRC.
Voir la lettre extrême mobilisation de Marie-Guite Dufay
Les trois scenarios du second tour selon France3 ici.
 

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