Rythmes scolaires : la peur de politiser la question

Le débat préparatif de la consultation du 10 décembre à Besançon ne s'est pas arrêté un instant sur cette phrase de Bruno Michaut, docteur en sciences de l'éducation : « plus les vacances d'été sont longues, plus les inégalités sociales se creusent ». Alors qu'aucun scientifique ne défend la semaine de quatre jours, qu'elle soit pourtant préférée par la majorité des conseils d'école témoigne des ravages de l'individualisme...

dahoui

Un peu plus de 200 spectateurs au Kursaal, une centaine de vues simultanées en ligne (streaming), moins de 300 vues cumulées sur YouTube deux jours plus tard... La conférence-débat sur les rythmes scolaires organisée lundi 27 novembre n'a pas attiré les foules bisontines malgré l'importance du « débat de société » appelé de ses vœux par l'adjoint à l'éducation Yves-Michel Dahoui.

C'est sans doute dommage. Cela peut signifier l'indifférence d'une majeure partie de nos concitoyens, des parents des 9000 enfants scolarisés dans les 67 écoles publiques de la ville, voire d'une partie des quelque 400 enseignants directement concernés dont, soit dit en passant, ceux qui n'habitent pas Besançon n'auront pas voix au chapitre à l'occasion du vote du 10 décembre. Cela peut aussi vouloir dire que les jeux sont faits, les avis déjà tranchés.

A ces raisons plausibles de la désaffection pour un débat présenté comme devant éclairer un exercice démocratique, nous pouvons en ajouter au moins deux autres. La première, nous l'avons déjà évoquée, est le contournement soigneux des organisations représentatives des enseignants et des parents d'élèves. En sollicitant les dirigeants nationaux au lieu de demander aux militants locaux, on ne les a pas seulement vexés, on leur a signifié qu'on ne voulait pas d'eux dans la discussion tout en cultivant un jacobinisme pour le moins maladroit. D'ailleurs, une enseignante qui a tenté de s'exprimer s'est fait discrètement rappeler à l'ordre par la directrice du service éducation de la ville invoquant un étonnant devoir de réserve qu'aurait soulevé le DASENInspecteur d'académie...

Recherche de l'audience sur les réseaux sociaux...

La seconde raison tient à la volonté des élus de dépolitiser la question. Admettant volontiers lors des échanges en petit comité être favorable à la semaine de quatre jours et demi avec pause le mercredi et classe le samedi matin, Yves-Michel Dahoui a refusé de l'assumer, d'argumenter, déclarant « ne pas sentir en mesure d'imposer [sa] conception » car « [son] mode de vie peut être différent de celui des autres ». Quant au maire Jean-Louis Fousseret, dans un message vidéo introductif de deux minutes, il a évoqué un « choix décisif pour tous et nos enfants en particulier ».

Conséquence, un débat donnant la désagréable sensation d'une recherche consensuelle là où des intérêts et des conceptions divergent puissamment, tout en mettant à distance, sur une table voisine, les chercheurs scientifiques abusivement présentés comme des « experts ». Alors qu'ils détiennent des connaissances à rebours desquelles le système scolaire s'organise consciencieusement depuis des années. Leur savoir a ainsi été mis au même niveau que les expériences individuelles des parents choisis pour défendre chacun une des trois options.

Techniquement réussi, conduit par un animateur plutôt que par un journaliste, le débat devait surtout être maîtrisé, au point de ne prendre aucune intervention dans la salle alors que cela figurait sur les documents annonçant l'événement, préférant le seul canal des réseaux sociaux. Du coup, quelques spectateurs ont râlé, critiquant une supercherie, une « mascarade » où on leur assignait la place de « figurants » ! Cela n'est d'ailleurs pas faux, les intervenants étant disposés comme pour une émission télévisée, dans la lumière, les caméras et micro-perches faisant littéralement écran entre la scène et le public placé dans la pénombre. Ce dont le service communication de la ville se réjouissait, nous assurant que c'était le but recherché puisqu'il s'agissait d'être sur les réseaux sociaux...

« Plus les vacances sont longues, plus les inégalités sociales se creusent »

Dans la confusion entre politique et spectacle, on est loin du scandale provoqué par Olivier Stirn, dont la carrière ministérielle fut écourtée après la révélation du recrutement d'intermittents du spectacle et de chômeurs pour faire la claque lors d'un colloque en 1990... A la différence près que les auditeurs du débat bisontin étaient venus sans cachet, pour la beauté du débat et l'intérêt du sujet. Ce dont nous allons enfin traiter !

Les échanges auraient pu largement s'articuler, au moins un moment, autour d'un constat alarmant de Bruno Suchaut, directeur de l'Unité de recherche pour le pilotage des systèmes pédagogiques de l'université de Lausanne : « plus les vacances d'été sont longues, plus les inégalités sociales se creusent. Car les enfants des classes favorisées apprennent autant pendant les deux mois d'été que pendant les dix mois d'école, alors que les enfants des classes défavorisées perdent des connaissances pendant les grandes vacances ».

Schématiquement dit, on sait en effet, notamment grâce au couple de sociologues Pinçon-Charlot, que les très riches construisent une part du patrimoine culturel et linguistique de leurs enfants durant les vacances, grâce aux visites de musées et des pays étrangers... 

« Un rythme veille-sommeil plus constant favorise l'attention... »

Enseignant du primaire devenu docteur en sciences de l'éducation, Michaut assure que « les besoins en temps d'apprentissage varient selon les enfants. Les CP ont besoin de 35 heures d'attention individuelle par semaine, ce que favorisent les organisations de travail en petits groupes ». Dans un entretien pré-enregistré, le chrono-psychologue François Testu, qui s'intéresse aux rythmes bio-psychologiques de l'enfant en situation scolaire, insiste sur le respect du sommeil, les variations vie intellectuelle-vigilance, et souligne « la faible résistance à la période de la Toussaint », ce qui a conduit à instaurer deux semaines de congés. Il considère surtout que « l'école ne doit pas être un bien de consommation, c'est l'école qui doit former les citoyens, pas la société ».

Romuald Adala, spécialiste en gestion et psychologie des temps éducatifs, assure que « les études montrent que la semaine de quatre jours entraîne moins d'attention des enfants que la semaine de quatre jours et demi » qu'il « préconise ». A un internaute suggérant une semaine scolaire de six matinées comme « recommandée par les chrnonobiologistes », Adala répond que cette solution permet « un rythme veille-sommeil plus constant qui favorise l'attention... » Quant à la semaine de quatre jours avec coupure le mercredi, elle présente selon lui l'inconvénient d'une « désynchronisation le mercredi et le week-end qui met à mal l'élève ».

Transformer les parents en donneurs d'ordres des enseignants...

Comme aucun scientifique ne défend la semaine de quatre jours, on se dit que l'option ne devrait même pas être proposée. C'est pourtant celle qui a, dit-on, la faveur de l'opinion, à tout le moins d'une majorité de conseils d'écoles. C'est aussi celle choisie par un tiers des communes du pays, et peut-être 80% à la rentrée de septembre 2018. L'ennui, c'est que ce ne sont pas des raisons scientifiques et pédagogiques qui sont invoquées, mais des raisons budgétaires, venant après la remise en cause de la controversée réforme de 2013, elle-même venue après la non moins critiquée reforme de 2008...

Celle-ci avait cédé aux lobbies du tourisme et des classes favorisées, la suivante avait dessaisi l'Education nationale d'une part de ses responsabilité au profit des collectivités, aggravant l'inégalité entre elles en raison même des coûts du périscolaire... Aujourd'hui, la décision du gouvernement de laisser aux communes la possibilité de consulter les conseils d'école, pour demander un retour aux quatre jours à l'Education nationale, appuie la transformation des parents en donneurs d'ordres des enseignants...

« Il est grand temps de ralentir la cadence »

Entendre Eloïse, maman célibataire de trois enfants, défendre le statu-quo en disant « je travaille, il faut de toutes façons les lever le mercredi », ne peut qu'être une position individuelle éminemment respectable. On l'entend également quand elle veut garder le samedi vaqué pour éviter « les conflits familiaux et les visites au JAF ».

De la même façon, on comprend Johan, père de deux enfants, défendre la semaine de quatre jours avec une pause le mercredi car aujourd'hui « ils sont fatigués dès le jeudi ». Relayant la majorité de son conseil d'école de Fontaine-Ecu, où il est élu, pour les quatre jours, il avance un argument consumériste : « c'est difficile d'organiser des activités sur une demi-journée ». Il critique aussi les « trop longues vacances d'été », mais la question n'est pas posée par la consultation du 10 décembre...

Quant à Marie, mère de deux enfants à Battant, elle défend les quatre jours et demi avec classe le samedi matin : « La pause du mercredi est indispensable car il y a de la fatigue, mais j'espère que les maisons de quartiers se mobiliseront. Avec la classe le samedi matin, les enfants seront plus décontractés, j'espère une ambiance calme, avec de la lenteur et du silence. Car il est grand temps de ralentir la cadence ».   

 

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