Quel projet pour une Europe sans souffle ?

Pour célébrer les 60 ans des traités de Rome, le Mouvement européen de Franche-Comté a fait débattre les deux députés Barbara Romagnan et Eric Alauzet avec Ludovic Fagaut (LR) et le fédéraliste Jean-Philippe Allenbach. On comprend mieux avec leurs constats aussi peu partagés pourquoi les perspectives sont aussi sombres... D'où la nécessité d'une refondation, mais sur quelles bases ?

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Soixante ans après la signature des traités de Rome le 25 mars 1957, où en est l'Union européenne ? Passé de six à 28 puis 27 états membres, cet objet politique aux contours souvent flous s'était construit sur les promesses de paix, de démocratie et de prospérité. « Ce n'est pas une réussite », constatait il y a deux ans à Besançon le journaliste au Monde diplomatique Renaud Lambert, alors invité par le collectif Stop-Tafta qui avait rassemblé 600 personnes au Kursaal.

 En ouvrant un débat organisé par la section comtoise du Mouvement européen pour les 60 ans des traités, mardi 21 mars devant 80 personnes réunies dans la salle Proudhon voisine, Yves Lagier a repris une vieille antienne de Jacques Delors : « l'Europe a davantage besoin d'architectes que de pompiers... » Pour l'heure, il semble qu'elle ait toujours besoin d'un mode d'emploi rédigé dans une langue usuelle tant son fonctionnement semble incongru à beaucoup.

Il suffit de rappeler le secret ayant entouré la négociation des traités TAFTA (TIPP ou GMT) et CETA, la honte et l'inefficacité du traitement de la question des réfugiés... Ces catastrophes humaines ou démocratiques font tant d'ombre au tableau que l'on peine à voir les lumières, même faiblardes ou contestées, que sont, rappelle le député Eric Alauzet, les directives environnementales, le verdissement de la PAC ou la censure par la Commission de l'accord fiscal conclu entre l'Irlande et les transnationales du numérique. Ou encore la signature par l'UE de la COP 21, comme l'indique Barbara Romagnan, « européenne convaincue malgré [ses] votes de 2005 et 2012 ».

L'Europe, bouc émissaire facile?

Le sujet proposé - « quel projet pour l'Europe ? » - supposait que les débatteurs se propulsent dans l'avenir, à tout le moins qu'ils dessinent des esquisses. L'exercice est compliqué parce qu'il faut bien partir du réel, chaotique et incertain, de la période. Il faut aussi compter avec les postures : « l'Union est un bouc émissaire facile, une façon d'esquiver les responsabilités nationales, car ce ne sont pas les technocrates mais les gouvernements qui la dirigent », souligne encore Alauzet.

C'est entendu, on ne construit pas sur du sable ou du vent... « Le souffle est à bout, même les plus européens ont du mal à défendre cette Europe en panne, pour ne pas dire en danger », dit le député écolo, « elle n'a pas de visage et souffre de déficit démocratique ». 

Pour son collègue conseiller municipal et sérieux concurrent aux législatives, Ludovic Fagaut (LR), « le Brexit est la conséquence d'une absence d'initiatives et de leadership... » Il déplore que l'Union, tel le diable, se niche dans les détails, comme légiférer sur « la taille des pneus de tracteur... » Libéral et surtout fédéraliste, Jean-Philippe Allenbach, voudrait en finir avec les états-nations qui minent selon lui le projet. Il part de sa propre analyse : « l'Europe est aujourd'hui une copropriété, avec un syndic - la Commission - et un règlement - les traités. On peut ne pas aimer ses voisins, mais il faut faire avec. L'Europe des états-nations, c'est l'engueulade, les poubelles dans l'escalier, les brouhahas le soir... Il faut de l'ordre. De la subsidiarité, c'est à dire prendre les décisions au niveau où elles sont le plus efficace ».

L'euro, les déficits, les excédents, la déflation salariale...

Fagaut aussi défend la subsidiarité, notion figurant à l'article 5 du traité de Lisbonne, le quasi copié-collé du traité constitutionnel rejeté par référendum en 2005... Il veut voir dans le Brexit « une opportunité pour renforcer l'Europe qui a échoué sur les grands sujets. Le couple franco-allemand n'est plus ce qu'il était car la France s'est effondrée : chômage, dette, commerce extérieur en déficit de 34 milliards quand l'Allemagne est en excédent de plus de 200 milliards... »

Au premier rang, l'économiste Evelyne Ternant, secrétaire régionale du PCF, met ces chiffres en perspective : « le déficit est lié au fonctionnement de l'euro qui a renforcé la capacité de l'Allemagne à avoir des excédents. Elle a utilisé les ateliers d'Europe de l'est à bas coût pour faire du made in Allemagne, tout en pratiquant une déflation salariale forte... La conséquence est une Europe fonctionnant à la concurrence sociale et fiscale. En outre, les pays devraient être sanctionnés quand ils font de l'excédent car l'objectif de l'Union est un commerce équilibré ».

« Comment exiger de la Grèce un excédent de 3%
quand son PIB a baissé de 25% ?
C'est irréaliste et injuste »

Ludovic Fagaut répond : « c'est le même euro pour tout le monde », mais Allenbach abonde dans le sens de Mme Ternant à qui il donne « raison : si l'Allemagne était restée avec son mark et la France avec son franc, on aurait dévalué à tour de bras, vendu davantage et l'Allemagne moins... Mais la contrepartie de l'euro, c'est que la France peut emprunter moins cher... »

Peut-on s'appuyer là dessus pour se projeter ? Quelles peuvent être les perspectives économiques, sociales et fiscales ? Les divergences se font jour selon l'orientation politique. Ludovic Fagaut n'a « pas peur d'une Europe à plusieurs vitesses » et critique la « concurrence fiscale entre états qui constitue une faille entraînant une compétition déloyale ». Il s'appuie sur l'article 117 du traité de Rome, assure que le CETA « pourrait être un bon accord si les normes étaient équivalentes, ce qui n'est pas le cas en agriculture... » Yves Lagier traduit : « c'est du souverainisme dans le bon sens du terme... »

Pour Barbara Romagnan, « l'Europe à deux vitesse existe déjà ». Elle est favorable à la reconfiguration de la dette grecque : « comment exiger un excédent de 3% quand son PIB a baissé de 25% ? C'est irréaliste et injuste ». Elle fait le parallèle avec la « suppression des dettes française et allemande après la Seconde guerre mondiale ». Eric Alauzet est pessimiste : « l'harmonisation sociale et fiscale n'est pas un sujet pour l'Europe qui renvoie la question aux états, ce qui empêche la convergence ». En bon libéral utilisant l'argument fédéral, Jean-Philippe Allenbach ne voit en effet pas où est le problème : « pourquoi n'y aurait-il pas des impôts nationaux différents selon les pays en fonction de leur gestion ? »

Dans la salle, Julien Réa est « étonné » que les orateurs n'abordent pas « la question des moyens quand le budget de l'Union est de 150 milliards et que celui de la France - hors Sécu - est de 380 milliards ». Eric Alauzet répond : « la majorité des formations politiques s'opposent à l'augmentation des moyens, on va donc dans un autre sens... » Il voit cependant une lueur d'espoir : « il y a eu un changement de cap il y a un an pour que 60 à 80 milliards soient investis dans l'économie réelle... Mais je constate aussi que tous les candidats à la présidentielles proposent d'augmenter le budget de la défense... »

On se souvient que cette question est l'un des rares points de divergence entre Hamon et Mélenchon, ce dernier voyant en l'Europe de la défense, l'accroissement du risque de guerre... Ce qui revient à considérer que la paix, promesse initiale, repose sur les autres promesses que sont la démocratie et la prospérité, l'une mise à mal par les consultations bafouées, l'autre par une répartition bien peu fraternelle.

 

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