Philippe Poutou, l’ouvrier candidat qui ne veut pas être élu

Pour le candidat du NPA en meeting à Besançon devant 300 personnes après une étape à Sochaux, « l'anticapitalisme commence par la critique ». Il estime que les mobilisations sociales sont plus déterminantes que les élections pour changer la vie.

poutou

Ils sont environ 300 ce mardi 28 mars à avoir investi le petit Kursaal de Besançon pour entendre le seul « ouvrier candidat » de l'élection présidentielle, Philippe Poutou. C'est deux fois moins que lors de la campagne présidentielle de 2012 où le parterre du Grand Kursaal était plein, se souvient un ancien du NPA passé à Ensemble, une formation qui soutient Jean-Luc Mélenchon.

A la tribune , Lucie ne fait pas la fine bouche en ouvrant le meeting : « On est content, on a eu une couverture médiatique quasi nulle ou marquée par un certain mépris ». Elle râle un peu contre « la municipalité PS-Macron qui a imposé une société de sécurité ».

A ses côtés, l'un des dix-neuf gardés à vue de la Saint Valentin, Jean-Baptiste, étudiant en première année de lettres qui avait participé à la fameuse action de blocage du conseil d'administration de l'université. « Mes attentes d'une faculté émancipatrice ont été biaisées par les conditions d'études : amphis surpeuplés, manque de chauffe, vétusté des locaux... » Il critique les « réductions budgétaires » et « la sélection » qui touchent « les étudiants les plus précaires : 46% des étudiants sont salariés... »

 « Des urgences psychiatriques où un lit sur cinq est réservé au personnel »

Infirmière au CHU « malade de l'austérité », Colette lui succède. Elle dénonce l'ONDAMObjectif national de dépense d'assurance maladie qui « n'a augmenté que de 2,1% quand les besoins sont en hausse de 4,3% ». Elle entend mettre son auditoire « dans l'ambiance » en parlant « d'opérations repoussées » à cause de l'épidémie de grippe, « des attentes de plusieurs heures aux urgences ou un patient a vomi sur son voisin de brancard », des violences dont « un tiers entre collègues », des urgences psychiatriques dont « un lit sur cinq est réservé au personnel »...

Quand vient de tour de Philippe Poutou de parler, le climat est campé. C'est une démonstration que « nos préoccupations vont bien au-delà des échéances électorales ». Car il le dit d'emblée : « je ne veux pas être président de la république. On peut me demander ce que je viens alors faire ici ». Eh bien, tout simplement dire : « ce n'est pas normal de vouloir être président ! Nous sommes contre cette fonction antidémocratique. Ce ne sont pas les élections qui changent la vie, cela se joue ailleurs, il faut se prendre en main... » On croirait entendre le jeune anarchiste qu'il était avant 20 ans, avant d'entrer à LO, d'en être exclu, de rejoindre la LCR puis le NPA...

Pourquoi est-il là ? Pour « faire entendre d'autres idées, la voie de la révolte... » Celle des « exploités ». Plus tôt dans la journée, il est allé distribuer des tracts avec ses camarades à la portière de l'usine PSA de Sochaux.

« La clause humanitaire
profite aux milliardaires... »

Philippe Poutou a un débit de parole rapide et régulier, un côté nature dans l'expression, un humour qui fait rire les siens. Exemple : « Le Roux a démissionné... parce qu'il est honnête ». Pas comme « Cahuzac, ou comme Dassault qui profite de son âge pour ne pas aller en prison alors que des prisonniers basques très malades y sont depuis trente ans. La clause humanitaire profite à des gens de leur milieu, des milliardaires... »

Il dénonce sans cesse, la « confusion public-privé », la « collusion politique-finances-affaires-médias », les « politiciens corrompus dont il faut se débarrasser », « l'extrême-droite qui cherche à faire croire qu'elle est différente mais est dans les même magouilles : il y a une douzaine de mis en examen au FN... »

En liens avec « la « rigueur », « la dette » et la « logique de la compétitivité », il évoque les « disparitions de centres d'IVG, les fermetures de bureaux postaux et de lignes SNCF », dénonce encore les « conditions de travail, les suicides dans les services publics, les entreprises et parmi les paysans, les revenus qui baissent et les vies brisées... » Poutou s'insurge que les journalistes des grands médias ne s'étonnent pas que Fillon annonce 500.000 suppressions de postes de fonctionnaires : « il dit ça tranquille à la télé et passe pour crédible ! »

« On nous dit qu'on est des petits candidats,
mais on n'a pas de petites idées »

On l'aura donc bien compris, Philippe Poutou ne fait pas la chasse aux électeurs. D'ailleurs, un militant du NPA nous dira plus tard que voter pour lui est une manière de s'abstenir ! On pourrait ajouter : tout en participant. « On nous dit qu'on est des petits candidats, mais on n'a pas de petites idées », poursuit le candidat. Il affirme que l'économie doit « répondre aux besoins, mais quand on dit ça on nous dit que ce n'est pas sérieux ! On est prisonnier de leur leur système. Mais on dit qu'il y a moyen d'interdire les licenciements avec la réduction du temps de travail et le retour de la retraite à 60 ans, 55 ans pour les travaux pénibles. D'où sortent-ils l'impossibilité de partager ? C'est parce qu'ils ont organisé l'économie à leur profit ».

Partant de là, la bataille consiste à « convaincre que la population doit se battre contre les exploiteurs ». Le revenu minimum de Benoît Hamon est critiqué car il est « sous le seuil de pauvreté ». Il parle « égalité des droits entre hommes et femmes, pour les homosexuels », est pour « l'accueil humanitaire » des migrants. Il voit dans le mouvement social guyanais l'irruption dans la campagne de la « question sociale ». Il (se) demande « comment passer de la résignation à l'action », interrogation lancinante. Sa réponse, c'est « un outil pour transformer, un parti à mettre en place... »

« C'est du mépris de classe... »

Vient ensuite un long temps d'échange avec la salle qui relaie « les luttes » locales, du squat solidaire pour migrants dont « le droit d'hébergement n'est pas respecté » aux droits d'inscription à l'université. Il y a aussi des critiques : « je n'entends pas de discours anticapitaliste, seulement un discours sur les inégalités qui est repris par tout le monde, y compris l'extrême-droite », dit un jeune homme. Un autre revient sur la fouille policière subie par Philippe Poutou le 19 mars : « si ça avait été Fillon, on en parlerait pendant six mois, là rien. C'est du mépris de classe... »

Le candidat répond au second en souriant : « je ne sais pas si les policiers ont vu qu'ils fouillaient un candidat ! » Au premier, il assure être réellement anticapitaliste même si « on ne discute pas des soviets et prendre les armes alors qu'on l'a dans la tête. Mais le dire maintenant ne serait pas productif. Alors on parle plutôt dans la campagne de programme de transition... Quand les gens crèvent la dalle dans la rue, le revenu universel n'est pas si mal... L'anticapitalisme commence par la critique ».

Ils seront quelques uns à dire plus tard leur malaise à propos de cette sortie sur la violence insurrectionnelle. Dans la salle, le député écolo Eric Alauzet a écouté les interventions avec attention. Le meeting se termine par une Internationale fredonnée comme une berceuse malgré quelques poings levés. Au sortir de la réunion, on croise un étudiant rencontré le 29 janvier au siège bisontin du PS lors de la victoire de Benoît Hamon à la primaire socialiste. Il était alors enthousiaste, il est dégoûté, consterné, glisse qu'il a quitté le « climat anxiogène » du PS, qu'il est douché par les tergiversations de « la direction du parti » à soutenir celui qui veut faire battre le cœur de la France.

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