« Ouf, la gauche retravaille ! »

Qu'attendre de l'élection de François Hollande ? Un débat nourri s'est tenu entre présidentielle et législatives à Besançon à l'invitation d'EPI, club de réflexion proche du PS.

Les raisonnables espoirs que l'élection de François Hollande suscite à gauche sont solidement encadrés par de tenaces interrogations. C'est ce qui sort du débat "sorti du sac, sorti du cœur" organisé mercredi 30 mai par le think tank socialisant EPI, l'espace politique d'innovation de Besançon, en présence d'une quarantaine de personnes qui ont presque toutes pris la parole.
Il y a d'abord une peu passionnée controverse pour savoir si le 6 mai a vu la victoire de Hollande ou la défaite de Sarkozy ! On parle surtout de soulagement, de point de départ, de condition minimale et nécessaire pour que tout redevienne possible. On se dit qu'on n'aurait "pas supporté" un second mandat, cinq années d'"humiliation" supplémentaires. On pointe l'application par Sarkozy d'une partie du programme du Front national. Et si c'était justement ça qui avait fait perdre Sarkozy, qui fera immanquablement perdre les législatives à la droite ? Elles ne sont pas encore gagnées par la gauche, craignent certains. Et puis, rappellent plusieurs voix, il ne faut pas oublier la montée de l'extrême droite dans plusieurs payas européens.
Diverses analyses du vote FN reviennent comme une obsession. On a beau dire, comme Michel, qu'on "en a marre" de parler et d'entendre parler du FN, on y revient souvent : il faut comprendre, il faut répondre. Norbert suggère d'entendre les mots d'électeurs potentiels du FN comme assistanat, un autre Michel entend saisir leur dialectique : "ils seraient invisibles et nombreux" à râler contre les "élites protégées". Roland moque ce directeur de service de la ville qui ne veut pas remplacer sa voiture de service en panne par une Clio... Faut-il pour autant se "colleter les questions identitaires" ? Frémissements dans l'assistance qui a un mauvais souvenir avec le ministère de l'identité nationale... Elle hoche la tête quand elle entend Maurice dire que les incivilités des ados et jeunes adultes "sont une machine à fabriquer du FN".
On entend aussi des analyses plus sociologiques : "ce n'est pas contre le FN qu'il faut lutter mais contre les situations de précarité", assure Jean-Jacques. Historiques : "le vote FN est fluctuant, urbain en 2002, rural et péri-urbain en 2012, correspond à l'implantation de la droite...". Culturelles : les électeurs péri-urbains du FN sont "en insécurité sociale et économique mais aussi culturelle, un pied dans la tombe, l'autre sur une peau de banane... Depuis 1981, le monde culturel, avec la victoire de la gauche, ne s'est pas préoccupé de ce public là. On est sur ce plan un peu comme en Allemagne des années 1930", pense Daniel. Judicieuse piste que celle de cette fracture culturelle qui va jusqu'à empêcher de se parler en se comprenant. N'a-t-elle pas été entretenue par la privatisation de TF1 et la marchandisation du divertissement, voire de l'information ?
Martine s'étonne du fort vote FN des artisans constaté lors des réunions de familles. Jean évoque un sondage indiquant que le vote ouvrier va davantage au FN qu'au Front de gauche (d'autres sondages sont moins affirmatifs). Plusieurs pointent ce qui leur semble une responsabilité des syndicats (de salariés) qui ne s'intéresseraient pas assez aux TPE (toutes petites entreprises), ne défendraient que les salariés à statut, pas plus d'ailleurs que "la gauche n'aborde sérieusement cette question"... Historien, Jean-Paul rappelle "tout ce qu'on a gagné avec le syndicalisme". Plusieurs voix s'expriment en faveur d'une aide du gouvernement au développement du syndicalisme. Mais alors "pas du syndicalisme de lutte de classe, mais responsable", dit Christian, lui-même syndicaliste ! Jean-Louis préfère pointer la représentativité discutable des syndicats patronaux et redoute la réitération de l'attitude du PS de 1981 "qui se pensait comme le délégué syndical de tout le monde". Pierre, militant du PS, veut quant à lui "ne pas opposer syndicalisme et politique". Quelques uns rappellent que la répression syndicale existe encore...
L'emploi est en filigrane de toutes les interventions, explicite dans certaines. On est à la recherche "d'idées innovantes : on a eu les 35 heures, il faut trouver autre chose mais quoi ? En tout état de cause, "une dynamique qui ne serait pas récupérable dans 5 ans" après un éventuel retour de la droite. "Les vastes chantiers de la lutte contre le gaspillage énergétique sont une piste d'emplois à invente : le bâtiment consomme pour un milliard d'euros d'énergie par an dont 80% quittent la région, dit Gérard, en spécialiste. La perspective de "la croissance" invoquée par François Hollande interroge Patrick, militant Vert, qui aurait préféré entendre parler d'une "autre croissance", Christian parle d'une "croissance intelligente". Chacun sent bien la nécessité d'encourager la production plutôt que la spéculation et de nouvelles bulles... Michel voudrait une évolution des missions de la banque centrale européenne pour qu'elle puisse "prêter aux États".
On parle assez peu de la Grèce. On aurait pu le faire davantage, par exemple pour infirmer une affirmation entendue selon laquelle le Front de gauche serait nationaliste alors que c'est lui qui a exprimé la plus forte solidarité avec les Grecs. En fait, ce reproche nationaliste est un peu anachronique : il vise plutôt le PCF des années Marchais...
Optimiste, un militant associatif espère que la gauche videra un peu les prisons, ce qui renvoie au bilan sécuritaire des trente dernières années si l'on suit l'analyse du sociologue Nicolas Bourgoin, et plus particulièrement des 61 lois votées ces dix dernières années. Il souligne notamment que ce n'est pas le nombre de condamnés qui a augmenté, mais la durée moyenne des peines : elle est passée de 4 mois en 1975 à 8 mois en 2007 et 11 mois en 2011...
De nombreux autres thèmes ont été cités dans la discussion de près de trois heures. Gérard souligne l'importance idéologique de la bataille du "vocabulaire". Il préfère parler de "licenciements plutôt que de plan social", de "cotisations sociales plutôt que de charges patronales". Pour Jean-Claude, longue carrière de syndicalisme ouvrier, "la classe ouvrière n'est pas révolutionnaire, elle est même plutôt conservatrice", quant aux questions de pouvoir, il les voit aussi bien dans les partis que dans les syndicats.
Chacun aura aussi dit son soulagement de voir revenir par le sommet de l'État quelques notions incontournables : parité, diversité, morale... et, enfin, "le débat à gauche", signe que "la gauche retravaille". Qu'elle sort de la sidération.

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