« On choisit le monde dans lequel on vit trois fois par jour »

Les militants anti-TAFTA restent mobilisés. A Besançon devant 200 personnes, le député européen Patrick Le Hyaric (PCF-GUE) a commenté l'actualité de la discussion parlementaire avant le vote de l'assemblée de Strasbourg le 10 juin sur le projet de traité de libre échange avec les USA.

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Alors que la commission commerce international du Parlement européen venait de soutenir (28 pour, 13 contre) le projet de traité de libre échange avec les USA, assorti de quelques garanties de protection des données personnelles, le député communiste européen Patrick Le Hyaric intervenait jeudi soir devant 200 personnes à Besançon, invité du collectif Stop-Tafta. « Ce matin, le socialiste Emmanuel Maurel a voté avec nous... Il faut obtenir que les socialistes votent non avec nous », tentait-il de positiver en faisant référence au vote de la séance plénière de l'assemblée de Strasbourg, le 10 juin.

Car Maurel est le seul socialiste à avoir voté contre le texte alors que le PSE s'était jusque là positionné contre le mécanisme de règlement des différends. La perspective d'une procédure d'appel ou la création à terme d'une cour permanente semble avoir emporté l'adhésion des socialistes européen. « Il y a trop de formules ambiguës sur le mécanisme d'arbitrage, trop de reculs par rapport aux lignes rouges qu'on s'était fixées », a expliqué Emmanuel Maurel à Médiapart.

« L'actuce de la Commission européenne »

Directeur du quotidien L'Humanité, Patrick Le Hyaric est l'auteur du livre Grand marché transatlantique Dracula contre les peuples (Editions de l'Humanité, 6 euros) qui cite en exergue 1984 de Georges Orwell : « Nous allons vous presser jusqu'à ce que vous soyez vides, puis nous vous emplirons de nous-mêmes ».

A Besançon, Le Hyaric poursuit : « On n'est pas au bout de nos peines ». Il décrit la nouvelle « astuce » de la Commission européenne pour tenter de faire passer le traité transatlantique... sans vote : « faire passer le texte de l'accord de libre échange avec Singapour, avec des dispositions sur les normes et un tribunal arbitral, devant la Cour européenne de justice et obtenir une délibération disant qu'il n'y a pas de problème. Ensuite, on nous dirait qu'une jurisprudence empêcher de voter le Tafta ou le Ceita ». Conséquence : « le débat entre la Commission et le Parlement consiste à faire en sorte que le Parlement ne légifère plus mais donne seulement son avis, comme le Conseil économique et social... »

Ce discours très technique est écouté sans moufter par le public qui commence à être rodé par le labyrinthe qui constitue la politique européenne. Patrick Le Hyaric connecte le tout avec la politique : « Nous vivons un moment historique particulier. Ils ont besoin de ça car leur crise conduit à une contradiction fondamentale : baisser la protection sociale et les salaires entraîne une baisse des débouchés sur les marchés alors qu'il faudrait justement regagner des parts de marché. Les multinationales veulent les chercher ailleurs en amplifiant la guerre économique... »

« En bon français, ça s'appelle la lutte des classes ! »

Il met l'accent sur la tendance à la diminution du poids de l'économie occidentale dans l'économie mondiale, sur la banque de développement des pays dits BRICS qui « concurrence le FMI », sur leur « accord de Singapour qui est un embryon de concurrent de l'OTAN. Ce sont des forces contraires à leur projet : il y a une lutte internationale des citoyens contre les politiques des mandataires des financiers, en bon français, ça s'appelle la lutte des classes... »

Une dizaine d'interventions et de questions viennent ensuite de la salle. Bernard Sérafinovski signale, comme lors de chaque réunion sur le sujet, l'initiative citoyenne prévue par le traité de Lisbonne lancée sur le traité mais « refusée par la Commission européenne : il fallait 1 million de signatures, on en est à 1.920.000 ! Il faut atteindre 2 millions d'ici le 26 octobre pour démontrer que les peuples d'Europe ne se désintéressent pas du sort qui leur est réservé ».

« L'industrie de l'amidonnerie m'a contacté pour me dire : continuez ! »

Le tribunal arbitral fait toujours autant tousser. Le Hyaric explique qu'il en existe des dizaines, basés sur des accords internationaux. Il donne l'exemple de la plainte de Véolia contre l'augmentation du salaire minimum décidée par Égypte parce que « s'opposant à son droit d'investir dans le marché des déchets ». Le député pointe les votes du Parlement qui « anticipent le Tafta, sur les OGM ou sur l'autorisation de l'acide lactique pour traiter la viande d'abattoir parce que les USA le font déjà... » Il assure que des filières industrielles sont opposées au Tafta : « le patronat automobile française est contre car il y aurait une confrontation directe avec l'industrie automobile américaine. L'industrie de l'amidonnerie m'a contacté pour me dire : continuez ! Il y a un spectre très large pour rassembler ».

Dans la salle proche de Planoise, le grand quartier populaire bisontin, on voit des têtes nouvelles par rapport aux réunions publiques précédentes. Un jeune s'enflamme avant d'être applaudi : « Je ne connaissais pas ce traité. Il faut bloquer la rue, faire des barricades, refaire 1789... Notre hymne est celui de la Révolution et on se laisse faire ! » Un autre jeune homme interroge sur la position de la France. Le Hyaric répond sur la volonté de François Hollande d'aller vite, rappelle : « le rapport de forces n'est pas impossible à mener, on les a battus sur l'AMI quand, en réponse à Robert Hue demandant à l'Assemblée si on "continuait", le Premier ministre Lionel Jospin avait répondu "non". On les a battus sur le Traité constitutionnel européen... »

« On choisit le monde dans lequel on vit trois fois par jour »

Patrick Le Hyaric parle d'Europe, des salaires minimum variant de 103 euros en Roumanie à 1180 en France en passant par 580 au Portugal : « ça ne peut pas marcher si les niveaux de protection sociale et de salaire ne sont pas harmonisés vers le haut, sinon c'est de la concurrence libre et très faussée ». Il invoque la Grèce où « ce que fait Tsiprsa est un pied assez large dans la porte, mais les banques ne veulent pas que ça réussisse ». Il parle de l'Espagne où monte « l'unité de la gauche et du mouvement social ».

Il parle encore de François Hollande et d'Angela Merkel : « si Hollande avait changé le traité budgétaire européen, cela aurait changé beaucoup de choses... Aujourd'hui, les choix sont dictés par l'Allemagne. Je vois dans ma commission des affaires sociales où un député porte-parole de Merckel vient faire pression sur les élus du PPE : un jour, on l'a battu et il nous a traités d'imbéciles. Je lui ai demandé s'il voulait que ça soit au procès-verbal... » 

Marine, jeune militante du collectif, conclut avec enthousiasme : « On est désarçonné par le Tafta ? Mais il ne faut pas oublier notre devoir de consommateur : on choisit le monde dans lequel on vit trois fois par jour ». Lors des repas...

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