Marie-Guite Dufay à la recherche des universitaires

Animant un café-débat à Besançon sur les questions d'enseignement supérieur, la candidate socialiste a défendu son bilan de présidente tout en assurant que la fusion des régions puise son origine dans le rapprochement des universités de Franche-Comté et de Bourgogne. Mais rien n'est simple avec les approches qui diffèrent selon qu'on enseigne en sciences humaines, en math-physique ou en médecine, à Dijon, Belfort ou Besançon...

Marie-Guite Dufay aux universitaires : « La BPI va là où les banques ne veulent pas aller pour prendre les risques avec ceux qui innovent... » Photos DB

Elle était la veille en campagne sur la marché de Corbigny, dans la Nièvre, où les difficultés de l'élevage l'ont marquée. Marie-Guite Dufay animait jeudi 15 octobre une réunion presque intimiste au Pixel, le café de la Cité des Arts voulue par son prédécesseur Raymond Forni. Une quarantaine de convives y ont quand même bu un verre, rarement deux, pour un échange de vues démontrant que le rapprochement n'est pas gagné. Comme François Hollande entendant mettre l'accent sur la jeunesse, la présidente-candidate boit « à la santé des jeunes... qui demandent toujours plus ». Élise Aebischer, 21 ans, étudiante en géographie et onzième sur la liste PS du Doubs, vient, dans une langue dont les socialistes ont le secret, de saluer tous les « efforts déjà faits » tant par le ministre pour la vie lycéenne » que par sa tête de liste. « Tu peux faire beaucoup », ajoute-t-elle à l'intention de la présidente-candidate, en suggérant de généraliser les réductions à 75% dans les TER et d'étendre la carte avantage-jeunes à la Bourgogne.

Marie-Guite Dufay sourit : « On était allé loin sur les tarifs des TER, s'il faut aller plus loin, on verra... On visera la gratuité des transports scolaires dans les huit départementssix l'ont déjà : Côte d'or, Doubs, Jura, Nièvre, Saône-et-Loire, Territoire de Belfort... Elise, tu seras dans les discussions, tu apprendras que tout n'est pas possible, que les budgets ne sont pas extensibles ». Puis elle passe à son propos de campagne du jour : « il n'y a pas de grande région sans une université forte. Au risque de choquer ceux qui ne sont pas convaincus, il y en a dans la salle, c'est le rapprochement des universités qui est un des moteurs du rapprochement des régions... Il faut faire venir des chercheurs, des étudiants ». Elle défend son bilan et celui de François Patriat : « Sans aucune compétence, les deux régions ont mis des moyens importants pour la rénovation du campus de Dijon ou le projet d'éco-campus à Belfort. Nous avions annoncé que nous mettrions 20 millions d'euros sur les universités sur ce mandat, nous avons été au rendez-vous. Les régions ne peuvent pas considérer que leur avenir est distinct de celui de leurs universités ».

« On est dans la cour des grands ! »

Elle a invité Sophie Béjean, coauteur avec Bertrand Monthubert, ancien président de Sauvons la recherche, d'un rapport intitulé Pour une société apprenante  (voir ici) et rendu en septembre à François Hollande. Ancienne présidente de l'université de Bourgogne, battue aux élections de 2012, elle est désormais présidente du conseil d'administration du CNOUS et du Comité pour la stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES). « On nous a demandé ce que pouvait être l'enseignement supérieur dans dix ans, son rôle dans la société, l'économie, comme peut-il être en phase avec la jeunesse, utile pour répondre aux défis des développements sociaux... » Elle dresse des perspectives dont l'une est 60% d'une classe d'âge diplômée du supérieur. Elle connaît les « défauts du système éducatifs français qui reproduit trop les inégalités sociales », propose de se donner des objectifs, de diviser par deux l'écart séparant en 2010 les 28% d'enfants d'ouvriers et des 68% d'enfants de cadres diplômés du supérieur. Sur le territoire de la grande région, elle défend l'i-site « construit pour la Bourgogne-Franche-Comté » auquel la COMUE est candidate : « ce qui compte, c'est le projet ».

Au premier rang, le président de l'université de Franche-Comté, Jacques Bahi, opine en hochant la tête : « la catégorie i-site a été inventée pour la Bourgogne-Franche-Comté car nous n'avions pas la taille critique ». Marie-Guite Dufay ajoute : « On n'est pas dans la cour des grands, mais on a des perspectives ». Jacques Bahi la coupe : « On est dans la cour des grands ! » Puis s'adresse à Sophie Béjean : « Que penses-tu du projet i-site et de la candidature ? Il ne s'agit pas de créer un petit monde élitiste à côté des autres... » Réponse de la présidente de la StraNES: « Le risque avec ce type de projet, c'est des gens portent une vision élitiste, ce serait un moyen de capter et concentrer les ressources de l'Etat sur quelques pépites qui se développeraient au détriment des autres. Ce n'est pas en développant l'élitisme qu'on va porter tout le monde vers le haut. Il faut garder le lien formation-recherche-innovation pour garder la continuité licence-master-doctorat ».

« J'entends votre regret... »

Mine de rien, ces échanges entre initiés montrent les forces contraires qui agitent le monde universitaire depuis toujours, la contradiction entre ceux qui privilégient la recherche appliquée et auraient l'oreille des milieux économiques, et ceux qui défendent la recherche fondamentale au service du savoir, de la connaissance, des citoyens. Jacques Bahi l'avait affirmé la veille en présentant la rentrée universitaire (voir ici), il entend défendre un partage des moyens entre toutes les composantes de l'université oeuvrant au projet. Que se passerait-il si l'université fédérale Bourgogne-Franche-Comté n'était pas retenue pour la manne de l'i-site ? Y a-t-il un plan B ? Marie-Guite Dufay ne veut pas y penser et balaie la question de Factuel : « On n'y est pas. On fera tout pour qu'elle soit retenue ». Gouverner, c'est pourtant prévoir, même un échec. Conduirait-il à des engagements plus importants de la grande région si elle était élue ? C'est à cela qu'elle ne veut pas répondre, du moins aujourd'hui. Surtout quand on serine qu'il n'y a plus d'argent public.

Ancienne présidente de l'université de Franche-Comté, Françoise Bévalot, désormais membre du CESER, se plaint du « plus petit PIB » de Franche qu'aura la grande région, « regrette que les universités n'ont pas été invitées lors des réunions » des conseils régionaux, aimerait bien que « mondes de la recherche et de l'économie se connaissent entre eux... » Marie-Guite Dufay balaie aussi la plainte : « On ne se posait pas la question du petit PIB de la Franche-Comté seule... C'est vrai qu'il a beaucoup à faire entre recherche et économie, mais on n'a pas à rougir de l'incubateur... J'entends votre regret... »

« Ne pas avoir le nez sur le guidon du productivisme »

Ancien doyen - on dit aujourd'hui directeur - de la fac de lettres, l'historien Antonio Gonzales émet des doutes : « le projet i-site ne peut réussir que s'il embarque tout le monde, que s'il a un effet levier et ne consacre pas seulement ce qui marche aujourd'hui. Les sciences humaines et sociales avaient été associées au départ, elles ont très vite été marginalisées. Or, elles représentent une dimension fondamentale car elles permettent le retour sur expérience, font réfléchir aux dynamiques de ce qu'on met en place. Les questions posées par les scientifiques doivent aussi l'être avec la profondeur historique, cette expertise permet d'améliorer les les orientations scientifiques. Il ne faut pas avoir le nez sur le guidon du productivisme. Il ne peut pas y avoir de progrès sans un Einstein, un cinglé tout seul dans son coin. Jack lang défendait un élitisme pour tous, c'est possible seulement dans un jeu où les données sont claires. Je regrette que sur le plan politique ou universitaire, je ne voie pas de clarté : peu de choses emportent l'adhésion ».

« Il n'est pas trop tard, l'i-site sera ce qu'on en fera », dit Jacques Bahi. « Embarquez ensemble, c'est important pour tous. On est en pleine transformation, en pleine mutation », dit Marie-Guite Dufay. Certes, mais quelle transformation ? Quelle mutation ? Après sa critique du libéralisme « nez sur le guidon », Antonio Gonzales pointe un autre problème : « la nouvelle région ne peut fonctionner que s'il y a égalité entre Bourgogne et Franche-Comté, or de très mauvais signes sont donnés avec le partage des administrations ». Marie-Guite Dufay qui a accompagné le mouvement sans consulter personne auparavant, encaisse : « J'entends très bien ».

Dépasser l'opposition recherche appliquée - recherche fondamentale...

Professeur de psychologie cognitive, André Didierjean poursuit l'offensive : « la politique de recherche de l'actuel gouvernement est dans la continuité du précédent, dans le vernis utilitariste. On n'a pas inventé l'électricité en cherchant à améliorer la bougie ! Les défis sont sociétaux. On voit bien qu'en sciences humaines et sociales la recherche appliquée est en lien direct avec le monde socio-économique ». Marie-Guite Dufay est sur la défensive : « Il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas que de la recherche appliquée, mais aussi de la recherche fondamentale. Si le ressenti est que ce n'est pas suffisant, c'est légitime, mais c'est le message que je fais passer... » Patrick Bontemps, médecin au CHUR et vice-président du conseil régional, vient en soutien : « la place des sciences humaines et sociales dans les appels à projets est importante. Des projets de recherche sont accompagnés sous couvert du conseil scientifique de l'université ».

Ancien syndicaliste dans l'industrie, Jean-Claude Moniotte sursaute en entendant Antonio Gonzales : « Penser que la Franche-Comté est trop industrielle me fait peur. C'est grâce à la machine-outil que les Allemands sont à la première place... » L'historien répond : « Les jeunes angoissent, ne trouvent pas de boulot. La Bourgogne comme la Franche-Comté perdent des jeunes qui partent pour avoir des perspectives... A la fin des années 1950, trois villes françaises étaient dans les mêmes perspectives d'évolution : Grenoble, Rennes et Besançon... »

Antnio Gonzales veut dépasser l'opposition des recherches appliquée et fondamentale. Il suggère un « levier politique sur lequel devra jouer le (ou la) futur(e) président(e) pour le développement économique mais aussi la future alternative économique : la Franche-Comté est trop industrielle, n'a pas su développer la terciarisation alors que l'industrie est de moins en moins productive d'emplois avec la robotisation. Notre tissus scientifique créé peu d'emplois. Il faut réfléchir à ce que nous voulons, à l'irrigation complète... » Patrick Ayache, jusqu'à ce jour directeur général des services de la ville de Besançon, intervient pour la première fois publiquement comme candidat : « On a le sentiment de défendre un projet fort pour l'université, mais l'avenir appartient plus aux deux villes qu'à la région. Je sens progresser trop doucement la COMUE : ce n'est pas à la région d'être fer de lance, mais c'est aux universitaires de la booster, de dire comment va se structurer la carte des formations... »

« Utilisez-moi : je suis administratrice de la BPI ! »

La question est « pertinente » pour la professeur de médecine Macha Woronoff qui veut « réanchanter les études, car en santé, on casse les étudiants en première année ». Sophie Béjean casse quant à elle l'éventuelle propension au consensus : « tous les projets ne sont pas équivalents. Quand on dit coopération, on ne dit pas concurrence. Il s'est passé quelque chose le 7 janvier ! Réfléchissons à ce qu'il se passe dans le monde. Réfléchissons à la future grande université qui un jour existera ». C'est justement le genre de phrase qui inquiète terriblement à Besançon, surtout de la part d'une Bourguignonne... Jacques Bahi lui répond indirectement en commençant par s'adresser à l'impétuosité du manager Patrick Ayache désormais candidat : « la COMUE ne va pas lentement, mais au rythme du calendrier légal, normalement. On en est à un conseil d'administration provisoire. La question importante, c'est demain, il faudra accélérer... Nous défendons ce qui marche dans un système fédéral, nous avons besoin de préserver les sites ». Mais qui sera là demain ?

Les relations entre les deux universités sont loin d'être faciles et l'on comprend mieux pourquoi les Comtois ont préféré la fédération à la fusion quand on entend Macha Woronoff : « je siège au conseil d'administration provisoire de la COMUE, il faut s'accrocher pour la confiance ! »  Jacques Bahi l'appuie : « C'est le moment de se battre pour que demain soit meilleur... » Directeur de l'Établissement français du sang, Pascal Morel témoigne : « Des succès scientifiques débouchent sur des succès économiques et de l'emploi... Nous sommes une des rares régions où l'université attend de la région ». Il  appuie Françoise Bévalot sur le « petit PIB car on ne prête qu'aux riches ». Il défend le triptyque « entreprises-recherche fondamentale, recherche applique ». Marie-Guite Dufay opine : « Dans l'écosystème de l'innovation, c'est ce à quoi l'on tend ».

Pascal Morel insiste : « sans le concours de bailleurs de fonds locaux, des projets nous quitteront ». Marie-Guite Dufay sort l'atout qu'elle avait dans sa manche : « C'est pour cela que la Banque publique d'investissement a été mise en place. On a créé un fonds d'amorçage avec l'Alsace et la Bourgogne... La BPI va là où les banques ne veulent pas aller pour prendre les risques avec ceux qui innovent... Les entreprises ont besoin de capitaux. Il faut pousser la BPI qui a parfois des réflexes bancaires, mais utilisez-moi : je suis administratrice de la BPI ! »

 

 

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