Loi El Khomri : des socialistes désarçonnés

Le premier fédéral du Doubs, Nicolas Bodin, désapprouve le recours du 49.3 pour faire passer le projet sans vote. Le député Frédéric Barbier avait, lundi 9 mais, soit avant l'annonce du passage en force, des mots très durs pour un texte qui « favorise des accords à la carte pour chaque entreprise en marginalisant les accords de branche ». Le député écologiste Eric Alauzet n'aurait pas voté la loi, mais n'approuvera pas la censure.

« Ni béni oui-oui ni frondeur ». C'est ainsi que se définit Frédéric Barbier dans un compte-rendu de mandat qui étrillait, lundi 9 mai, le projet de loi El Khomri. Dès le début du texte de 27 pages (lire ici), il fait part de des « impressions, convictions et doutes », et affirme vouloir « reconquérir le monde du travail que la gauche n'a pas su rassurer » car « les salariés attendent de nous la préservation du modèle social à la française ».

C'est l'expression d'un doute, assurément, d'expliquer qu'il est « parfois difficile d'assumer une politique gouvernementale qu'[il] ne partage pas toujours » et consiste bien souvent en un « numéro d'équilibriste permanent qui peut [l]'irritrer et [lui] peser parfois ». Il reprend à son compte l'héritage « calamiteux » des années Sarkozy pour mieux défendre un bilan où il sent poindre « la compétitivité retrouvée des entreprises dans l'industrie ».

Mais c'est pour fondre sur le projet de loi travail, du moins l'idéologie qui l'a vu naître : « je n'accepterai jamais tout ce qui concourt à renforcer l'ultralibéralisme dont la pensée unique repose sur une vieille idée de la droite rétrograde et réactionnaire : la remise en cause du modèle social français (...) qu'il serait nécessaire de détricoter, de défaire les acquis sociaux et les grandes conquêtes ouvrières ».

Un texte qui « défend
les intérêts d'une caste »

Il estimait lundi le projet « mal ficelé, mal engagé, ne contentant personne et surtout pas les salariés (...), défendant les intérêts d'une caste et rendant un bien mauvais service aux TPE-PME qui ne sont pas cotées en bourse comme les grandes entreprises du Cac 40 ».

Frédéric Barbier est donc « très réservé » sur la nouvelle mouture du texte qui « divise et clive au lieu de faire consensus », et ne « crée pas, pour l’instant, les conditions pour placer l’emploi au cœur d’un dispositif qui associe à la fois plus de souplesse pour les entreprises et plus de sécurité pour les salariés ». Ce faisant, il rejoint la critique des syndicats mobilisés contre le texte en trouvant tous les maux à la remise en cause de la hiérarchie des normes - qu'il ne cite pas - mais explique ainsi :  Ce projet favorise des accords à la carte pour chaque entreprise en marginalisant les accords de branche. Vous pouvez par exemple avoir des entreprises de la même branche à Technoland qui auraient un statut différent. Des horaires travaillés 39h, payés 35, une autre fera ses 35h, d’autres qui vont faire 40h hebdomadaire avec des heures supplémentaires payées 10% dans un cas, 20% dans d’autres et rien pour celui d’à côté. Cela ne me semble pas acceptable. »

Le député explique qu'il a tenté de faire évoluer le texte en intervenant avec le sénateur Martial Bourquin, sans trop de résultat pour le moment.

Nicolas Bodin : « un sentiment de passage en force »

Un autre socialiste, soutien du gouvernement, est lui aussi dans le doute. C'est le premier fédéral du Doubs, Nicolas Bodin, adjoint au maire de Besançon. Dans un bref communiqué, il dénonce l'utilisation du 49.3 qui donne « le sentiment d'un passage en force laissant présager une crispation durable dans l'opinion ».

Approuve-t-il le texte ? « On peut se demander ce qu'il est devenu. Il évolue tous les jours et c'est compliqué d'avoir une opinion. Je regrette l'absence de travail en amont avec les syndicats ».

Le communiqué de Nicolas Bodin souligne que « le projet initial aurait vraisemblablement obtenu une majorité rassemblant une grande partie de la gauche et de la droite parlementaires ». C'est à dire une majorité d'idées différente la majorité ayant remporté les élections de 2012... Le premier fédéral, que nous avons interrogé, en convient : « c'est un paradoxe... ».

Avez-vous consulté les instances fédérales du PS du Doubs ou des grands élus comme le maire de Besançon ou des parlementaires, avant d'écrire votre communiqué ?
« Non, c'est ma position. Je pense que les gens sont désarçonnés. Certains pensent que cela aura des graves conséquences électorales... On peut être en accord avec le texte, mais en opposition sur la forme ».

Regrettez-vous l'absence de posture sociale-démocrate du gouvernement ?
« On n'est pas habitué au dialogue social en France. Je constate qu'il n'y a pas eu de rencontre syndicats-gouvernement avant. Ça pose un vrai problème. Mais il faudrait aussi que les organisations syndicales s'engagent à négocier à l'avenir ».

Ces difficultés n'étaient-elles pas prévisibles quand on voit que le local du PS a été tagué alors même que vous discutiez avec une délégation d'opposants à la loi ?
« On ne peut pas dialoguer avec des tags "parti national socialiste". Mais on a pu dialoguer sans être d'accord sur tout ».

Quel est votre état d'esprit après quatre de présidence Hollande ?
« Ce n'est pas facile d'être premier fédéral ! Le PS commence à faire le bilan de l'action de François Hollande, ça va durer trois ou quatre mois. Quand on commence à lire les fiches, on voit que beaucoup de choses ont été faites mais on les a oubliées. Le bilan est intéressant. Je ne suis pas dans l'état d'esprit d'une motion de censure. Mais en politique, il faut savoir allier le fond et la forme... »

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