L’esprit des « luttes » au forum social de Dole

Incertitude quant au retour en régie publique de l'eau et fermeture du service réanimation de l'hôpital à Dole, opposition au projet de Center parc de Poligny, le quatrième forum social de la sous-préfecture du Jura a été l'occasion de critiquer le néolibéralisme. Pour l'économiste Jacques Rigaudiat, il y a 250 milliards d'euros de marge de manoeuvre...

Jacques Rigaudiat, forum social Dole

« J'ai fait mes études d'infirmière il y a 60 ans... Je suis de la génération qui a transformé l'hôpital. J'ai connu les salles communes où quand on faisait une piqûre en pleine nuit, on réveillait dix ou vingt personnes... Et maintenant, ils veulent le passer au privé ! C'est comme si on venait nous prendre notre maison. Je me battrai jusqu'au bout ». Ainsi parle Colette Charbonnier à la fin du Forum social de Dole où elle tenait un stand du collectif qui s'est mis en place pour s'opposer à la fermeture, effective depuis le 1er avril, du service de réanimation de l'hôpital public. Quatre manifestations, une pétition signée par 8000 personnes dont 2000 en ligne, ont marqué le refus de la décision de l'ARS qui pourrait avoir des conséquences en chaîne sur l'activité, notamment la chirurgie et les urgences, de l'établissement.

«Nos marges, c'est 250 milliards d'euros»
Jacques Rigaudiat est économiste, magistrat à la Cour des comptes et militant de la Fondation Copernic. Initié à la politique au PSU de Michel Rocard en 1969, il l'a suivi au PS puis à Matignon où il a plus tard conseillé Lionel Jospin. Il s'est « mis en congé » du PS après le vote interne du parti en faveur du oui au référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005, a milité pour le non, a participé à la fondation du NPS, puis adhéré au Parti de gauche le lendemain de sa création par Jean-Luc Mélenchon. Il l'a récemment quitté et rejoint le PCF...

« Malgré les apparences, nous ne sommes pas en crise financière, mais en crise économique depuis le premier choc pétrolier et la politique d'extraversion : on ne produit plus pour soi, mais pour vendre à l'extérieur. On exportait 12 à 14% de notre production dans les années 1960, on exportait 28,5% en 2012... Déjà la notion de compétitivité figurait dans le 6e plan (1970) pour vendre à l'extérieur ».

Pour Jacques Rigaudiat, une conséquence a été la fin du « compromis fordien » qui faisait croître parallèlement salaires et gains de productivité : « le pouvoir d'achat augmentait de 5 à 6% et entretenait la production...  Depuis ce temps, la part des salaires a perdu 10 points de PIB au profit des profits, parallèlement au changement de mode productif : quand les profits croissent plus vite, il y a surexploitation des conditions de travail, c'est le passage du taylorisme au toyotisme : la flexibilité du travail, l'intérim, la précarité... En 1982, il y avait 4% de l'emploi en CDD, aujourd'hui c'est 8%, mais pour les femmes c'était 6% en 1982 et 12% aujourd'hui... La conséquence, c'est la montée de la pauvreté : plus de 8 millions de personnes en France, soit 14% de la population. Il y a encore plus de pauvreté en Allemagne avec les jobs à 1 euro, la sous valorisation des emplois dans les services : moins 20% par rapport à l'industrie alors que c'est moins 5% en France. Je soutiens que la crise financière est la conséquence de la transformation des structures de l'économie réelle dans les trente dernières années ».

Il situe le début du processus en 1971 avec la fin des accords de Bretton Woods et de la convertibilté du dollar. Viennent ensuite « la montée du néolibéralisme et la dérégulation : seulement 10% des 8000 milliards d'euros sont en lien avec l'économie réelle... » Donc 90% dans « l'économie casino ». CQFD. « Le développement de l'informatisation des mouvements de capitaux » a fait le reste en permettant des taux de rendement de 15%, ce faisant les capitaux se « retiraient de l'économie réelle ».

Pour Jacques Rigaudiat, la « crise sociale est là où il y a de l'abstention » aux élections. Il implore la gauche « d'arrêter de regarder les chiffres [du chômage] en moyenne. Celui des cadres supérieurs est passé de 3,2% en 1982 à 3,7%, celui des ouvriers qualifiés de 6,2% à 11%, celui des ouvriers non qualifiés de 9,8% à 20,4%... » Appliqués pour les femmes et les jeunes, ces taux montent à 60% voire davantage dans certains quartiers, ceux où l'abstention atteint des records. « Le chômage a été inventé en 1904 pour en finir avec la pauvreté. Nous revenons au 19e siècle... »

Le militant de la fondation Copernic ne reste pas non plus béat devant les 85% de CDI parmi les emplois salariés. Il sort un autre indicateur de sa manche, la DMMO ou déclaration des mouvements de main d'oeuvre : « c'est terrifiant : au troisième trimestre 2013, le taux de rotation de la main d'oeuvre était de 54%, c'est à dire que plus de la moitié des salariés changent de boîte chaque année, 17,7% dans l'industrie, 65,4% dans le tertiaire. En 1999, ce taux était de 40%... Il y a une très grande sous-estimation de la situation des gens des couches populaires, notamment des femmes, de la part des politiques ».

Il est persuadé que la situation n'est pas figée, mais considère qu'un minimum de volontarisme politique est nécessaire : « il n'y a pas d'autre solution que de désobéir aux traités et institutions européens ». Comment ? « En ayant recours à l'opt-out au titre de nos intérêts propres. Par exemple en récupérant les 100 milliards sur 230 du livret A qui ne vont pas au logement social depuis la loi de modernisation de l'économie de 2008 qui a ouvert le livret A aux banques... » Et puis Hollande n'est pas obligé d'accepter le TSCG, il a été élu sur un programme différent, il doit accepter d'aller au bras de fer, au rapport de force politique... Nos marges, c'est 250 milliards d'avantages fiscaux dont on peut récupérer une part, 1450 milliards d'encours d'assurance vie dont on pourrait placer 10% à la Caisse des dépôts et consignations... »

Rigaudiat suggère aussi que la Cinquième République est un problème quand elle n'a pas de contre-pouvoir à l'américaine : « nos institutions permettent d'être autiste : on ne change pas une politique qui perd... Et il n'est pas possible de continuer l'Union européenne avec des gens désignés. Pour sortir de la crise, le projet est plus politique qu'économique ».

Lors du débat avec la salle, la question de la sortie de l'Europe a été posée. Rigaudiat n'y est pas favorable : « c'est un leurre, nous faisons les deux tiers de notre commerce extérieur avec l'UE ». Quelqu'un l'a interrogé sur « la décroissance et la sobriété heureuse ». Il n'est « pas d'accord, c'est un projet personnel, pas un projet politique ! »

Que votera-t-il aux élections européennes ? « Front de gauche ». Il est d'ailleurs favorable à une alliance FG, EELV et gauche du PS qui a selon lui vocation à être majoritaire, du moins à gauche...

« Vous vous rendez compte : il a fait moins 28 au Fied durant l'hiver 2009 et ils font faire une bulle tropicale où il fera 29 degrés en pleine forêt de Poligny ! Ce center-parc, c'est n'importe quoi, une bulle tropicale, c'est du délire ». Ainsi s'exclame Guy Mottet. A 60 ans, il avait décidé d'arrêter sa vie de militant à la Confédération paysanne en même temps que son activité professionnelle. Le projet de center-parc lui fait reprendre du service. Il est assez remonté, notamment contre son propre frère, maire de Plasne, qui ne l'a pas invité à une réunion d'information sur le projet avec Pierre&Vacances... Une association vient d'ailleurs de se créer pour contrer le projet et a pris pour nom Le Pic noir, oiseau symbolique des forêts jurassiennes...

La visite du nouveau maire, Jean-Marie Sermier

Ces deux attitudes pourraient résumer l'esprit de lutte d'un forum social qui se veut un espace de rencontres et de convergences d'initiatives et d'alternatives pour un « autre monde ». Le collectif pour le retour de la gestion de l'eau dans le giron public était aussi sur les dents après la victoire de Jean-Marie Sermier (UMP) à l'élection municipale alors que le principe de la régie a été voté en décembre dernier. Que fera la nouvelle équipe ? « Remettre en cause la démarche sans le dire comme ça », dit Catherine Creuze. Lors de son installation, le nouveau maire n'a fermé aucune porte...

Jean-Marie Sermier a en tout cas fait une petite visite au forum lors de la première journée, au tout nouveau centre social des Mesnils-Pasteur. Axel Fricke, l'organisateur du forum était désabusé : « 70% d'absentions dans le quartier ». L'ancien adjoint adjoint à la culture, Christian Parent, aussi : « On a fait 60 millions d'investissements sur le quartier et on n'y a que quelques voix d'avance... » Jean-Marie Sermier n'a qu'un mot quand on l'interroge sur cette désaffection des urnes : « il faut réinvestir le quartier ».

Débats, théâtre, perspectives...

Le forum a aussi été l'occasion de débattre. En riant avec Boum Bulle Crack Crise et Badaboum, la théâtrale « conférence gesticulée » de Jean Ganzhorn destinée à constituer un cours d'économie politique avec des mots simples : convainquant pour son décriptage des rapports économiques entre riches et pauvres, parfois très poétique et touchant, souvent drôle, le propos manque de temps en temps sa cible avec un discours économique pas toujours très clair.

Très concrètement le samedi, sur le thème de la finance solidaire, et plus particulièrement sur la constitution d'un groupe de travail régional sur les monnaies complémentaires avec Jean-Jacques Bret et Hervé Maillot. De manière plus théorique, dimanche, avec la conférence de « l'économiste atterré » Jacques Rigaudiat.

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