Les lourds chantiers sociaux de la fusion des régions

De la double hiérarchie pesant sur les anciens personnels TOS de l'Education nationale intégrés aux collectivités territoriales en 2007, au plan lycées et à la fusion des régions en passant par une ambiance jugée lourde par certains, le dialogue social a du pain sur la planche au Conseil régional.

Catherine Salvadori et Gilles Roussel, militants CGT au Conseil régional de Franche-Comté.

Saviez-vous que les agents des 58 lycées et 110 collèges publics de Franche-Comté dépendent d'une double hiérarchie ? Depuis 2007, date à laquelle ils sont passés du statut de fonctionnaires de l'Éducation nationale à salariés du Conseil régional ou des Conseils généraux, ils subissent deux autorités : celle de la région ou du département qui les emploie, et celle du proviseur ou du principal qui assume l'autorité dite fonctionnelle. Pour la CGT du Conseil régional, cela se passe mal dans une vingtaine de lycées. « Certains proviseurs ne respectent pas les directives de la présidente de région », explique la secrétaire du syndicat, Catherine Salvadori, agent de restauration au lycée agricole de Mancy à Lons-le-Saunier.

Vice-président du Conseil régional en charge du personnel, Patrick Bontemps veut bien admettre que la double hiérarchie « pose problème ». Mais il conteste le nombre d'établissements : « il y quelques difficultés dans trois lycées ». Ceux-là mêmes que cite le syndicat : les Haberges à Vesoul, Viette à Montbéliard, Édgar-Faure à Morteau. La double autorité peut être gênante : « Il arrive que des informations parviennent aux agents alors que les chefs d'établissements ne les ont pas », fait remarquer Joël Marchandot, principal du collège Victor-Hugo de Besançon et secrétaire académique du SNPDEN-UNSA, syndicat majoritaire chez les proviseurs, censeurs et principaux. 

Un logiciel pour les emplois du temps

« Les impasses de la double autorité », signalées en 2010 par un rapport sénatorial
La double hiérarchie est considérée depuis plusieurs années comme une difficulté. Un rapport sénatorial de 2010, signé par Claude Jeannerot et Eric Doligé, sur le transfert des TOS des collèges de l'Etat aux Conseils généraux, avait même signalé craindre qu'elle conduise à des impasses, notamment en cas de conflit entre les deux autorités. Voir ici.

Le premier souci géréré par cette double hiérarchie concerne l'aménagement du temps de travail. « Des proviseurs ne font pas les emplois du temps des agents qui ne savent pas quand ils travaillent et n'ont pas leurs congés à l'avance, se voient refuser des récupérations, notamment quand ils ont été en maladie durant leurs congés », souligne Mme Salvadori. Patrick Bontemps acquiesse : « On va installer un logiciel d'emploi du temps dans les lycées, c'est vrai que par endroits, c'est mal fait ».

Catherine Salvadori aurait plutôt tendance à considérer les soucis du point de vue relationnel : « A Mouchard où les problèmes étaient récurrents, ça s'est amélioré avec l'arrivée d'une nouvelle direction... Certains proviseurs refusent parfois les équipements de protection individuelle imposés comme les chaussures de sécurité en cuisine ou à la plonge ». Sur ce point, Patrick Bontemps minimise largement : « la plupart des lycées sont sensibilisés à la sécurité car responsables. D'ailleurs, le budget des équipements de protection individuelle ont été sanctuarisés pour ne pas être noyés dans la masse ». Ce qui signifie qu'ils ont dû l'être...

Responsabilités diluées

La CFDT, premier syndicat au Conseil régional
Alors que les élections professionnelles se tiennent le 4 décembre, voir ici les résultats du dernier scrutiin.

Gilles Roussel, de l'équipe mobile de maintenance de Haute-Saône et élu CGT au CHSCT, est sévère pour cet héritage de la décentralisation : « la double hiérarchie a dilué les responsabilités. L'autorité hiérarchique régionale n'a pas les mains libres pour faire passer ses directives. C'est ressenti par les agents comme une perte d'autorité ».

Il donne l'exemple des risques psycho-sociaux : « quand quelqu'un souffre d'une maladie, la DRH de la région est informée par le médecin du travail ou l'assistance sociale. L'administration régionale a toutes les informations pour décider des directives salvatrices, mais pour les faire appliquer, il faut passer par l'autorité organisatrice, le chef d'établissement, sur qui la région n'a pas autorité ». Il dépend en effet du rectorat. « On avait demandé une table ronde avec la région et le rectorat il y a trois ans, on nous l'avait annoncée, mais ils se renvoient la balle », déplore Catherine Salvadori. A entendre Patrick Bontemps, la situation est débloquée : « on va mettre au point une charte avec le recteur, elle est en cours d'élaboration. On a eu un temps une fin de non recevoir du rectorat, mais il a finalement accepté ». Ces travaux sont conduits, précise Joël Marchandot (SNPDEN), « entre recteurs et collectivités à partir d'une charte nationale type ».

Les fusions « portes ouvertes aux délégations de service public »
Fusion des services de restauration ou d'hébergement, plan lycées, fusion des régions... Ces perspectives de changements inquiètent les syndicats. « Il y avait 63 lycées quand on est arrivé, on est à 58 aujourd'hui, 55 en 2017, et sans doute 53 voire moins à brève échéance », dit Catherine Salavdori. 
Elle pense aussi aux fusions de services : la cuisine centrale du lycée Duhamel de Dole livrera les lycées Nodier et Prévert, l'hébergement et la restauration du lycée agricole Meunier de Vesoul concernera les lycées Pontarcher, Belin, des Hebreges et du Luxembourg...
« Dans le plan lycée, il y a une cuisine centrale par secteur, c'est la porte ouverte aux délégations de service public. Ce qui nous a sauvé jusque là, c'était les petites structures », souligne Gilles Roussel en expliquant ses craintes : « une loi dit que les collectivités ne peuvent pas être prestataires de services. Or, la région a fait une cuisine à Lure pour 1600 repas alors qu'elle en sert 1000 aux lycéens. Elle cherche donc à optimiser : à partir du moment où on recherche d'autres clients, le cuisinier ne pouvant pas faire les mêmes repas à la même heure pour tout le monde, il y aura besoin d'une réorganisation que la région n'a pas le droit de faire ». 
Quant à la fusion des régions, beaucoup s'interrogent : « il y aura mobilité, mais ce n'est pas à l'ordre du jour », dit Catherine Salvadori qui pense que la fusion des services se fera « dans les six mois » suivant les élections régionales de décembre 2015. Le calendrier empêche selon elle « l'exécutif de se positionner » et annonce une année 2015 difficile.

Le « triumvirat Da Costa-Dufay-Bontemps »

La gestion des promotions pâtit également de cette double hiérarchie. « Quand un agent peut avoir de l'avancement, le chef d'établissement donne un avis favorable ou défavorable alors que ce n'est pas son rôle. On le signale quand le dossier arrive en commission paritaire, mais les élus politiques disent : "on ne va pas discréditer le proviseur" », dit Gilles Roussel (CGT). « On suit l'avis du proviseur, c'est légitime et indispensable », confirme Patrick Bontemps.

Gilles Roussel estime que l'autorité n'est plus double, mais parfois triple quand « en commission paritaire ou en CHSCT, l'élu défend son panache et n'a pas le même discours que le DRH ! On a face à nous un discours politique et un discours organisationnel... » Pour sa part, Dominique Aubry-Frelin (CFDT) va jusqu'à affirmer qu'élus et administration appliquent « leurs propres règles » sous l'égide du « triumvirat Da Costa, Dufay, Bontemps ». Autrement dit, le directeur général des services, la présidente et le vice-président...

Administration régionale, élus, rectorat... Cela fait beaucoup de chefs ! Et cela porte en germe des conflits potentiels dont l'hypothèse est mentionnée par le rapport sénatorial d'Eric Doligé et Claude Jeannerot en 2010. « Avec deux autorités, on peut comprendre que les agents le vivent comme une distance supplémentaire abvec l'employeur », analyse Joël Marchandot (SNPDEN).

« Les agents sont démotivés »

Dominique Aubry-Frelin (CFDT) : « Depuis 2010, les gens chialent dans mon bureau... »
« Il y a un système mis en place par la loi, mais ils appliquent leurs propres règles. Exemple : un agent est mécontent de sa note et fait une lettre pour saisir la commission administrative paritaire. Mais on n'a pas eu copie de la lettre quand on a siégé ! »
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Il n'est alors pas difficile de penser que tout se passe comme si le rôle de l'élu dans les instances consiste à « éviter que soit mis en évidence les conséquences de ses décisions », dit Gilles Roussel. Autrement dit, comme s'il s'agissait d'affirmer des principes plutôt que résoudre des situations concrètes.  Du coup, cela vide de contenu les instances de négociations et de dialogue social. A tout le moins, les représentants du personnel se sentent dépossédés de leurs responsabilités. Un exemple : 342 agents remplissaient les conditions pour une promotion. La région ayant décidé de n'en accorder que 10% avant d'accepter 15%, il revenait à la commission paritaire de discuter des critères permettant de faire les choix au cas par cas.

« Notre position est de privilégier l'ancienneté et ceux qui sont proches de la retraite, mais les élus ont décidé de ne mettre un avis favorable qu'à 10% des agents et un avis défavorable aux 90% autres malgré des avis favorables des chefs d'établissements. On n'a pas pu avoir de discussion comme c'est la règle en CAP, les agents sont remontés, démotivés », s'insurge Catherine Salvadori (CGT). « C'est le problème de la fonction publique territoriale où seul le profil du poste compte », analyse Gilles Roussel qui regrette le temps de l'Éducation nationale : « c'était encadré par des critères respectés par tous. Aujourd'hui, il n'y a plus de critères, cela met la suspicion dans la tête des personnels ».

Patrick Bontemps n'est pas d'accord : « on est passé de 10 à 15% de promotion sur proposition de l'UNSA, c'est un vrai plus qui coûte 200.000 euros. Et ça a été discuté, mais pas comme le veulent certains syndicats car on aurait créé un système inéquitable. On ne peut pas être d'accord sur tout, mais on considère qu'une réunion par mois de deux heures, avec des points d'ordre du jour venant de nous et des syndicats, c'est du dialogue social ».

Pour la CGT, la problématique est la même avec le recrutement : « avant, il y avait des jurys avec des représentants syndicaux, il y avait un système de points, ça donnait de la transparence. Maintenant on n'y est plus, ça n'existe plus », dit Gilles Roussel en citant l'exemple d'un électricien ayant vingt ans d'ancienneté postulant sur un autre poste d'électricien : « il n'a pas été retenu parce qu'il n'a "pas le profil du poste", et ce n'est pas forcément un électricien qui a eu le poste... ».

 

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