L'activité des comptes facebook des Gilets jaunes ne ralentit pas. Si les occupations de ronds-points cessent pour cause d'arrêtés préfectoraux les interdisant, le mouvement ne reflue pas. Il se repositionne. C'est ce que l'on constate dans le Jura où les occupants du rond-point de Parcey, au sud de Dole, ont déménagé chapiteau et pancartes mardi 18 décembre sur le terrain prêté par un sympathisant de Vilette-les-Dole, en bordure de la route départementale. Ceux qui tenaient le rond-point d'Innovia ont levé le camp pour le carrefour de la chimie à Tavaux. Quant aux Gilets jaunes du rond-point de Rochefort-sur-Nénon, ils emménagent leur barnum à deux pas, en contrebas...
Ce repli tactique était prévisible. Il est parallèle à l'installation dans des formes nouvelles d'organisation. « Ça ne démobilise pas, contrairement à ce qu'ils disent à la télé », nous expliquent Guy et Denis à Vilette-les-Dole en se réjouissant que soixante personnes aient participé au déménagement du rond-point : « ça a été vite ! On est organisé. Macron voulait réunir la France, c'est en train de réussir... Ce n'est pas qu'une partie de plaisir, mais on sent que c'est utile. On discute entre nous la journée, on réunit une fois par jour pour décider ce qu'on fait le lendemain... » Et pas besoin de passer des heures sur les revendications : « elles sont connues : pouvoir d'achat et RIC... »
« Structurer le mouvement, coordonner l'action, établir les liaisons... »
A Vesoul, une association a été créée et doit déboucher sur l'ouverture d'une « maison des gilets jaunes », comme l'explique France 3 ici. Céline Roy, qui a été condamnée à de la prison avec sursis et au retrait de son permis de conduire pour blocage, en fait partie et poursuit son combat sous d'autres formes. A Lons-le-Saunier, une permanence se tient quatre matinées par semaine à la maison des associations et des réunions d'orientations se sont tenues. Il s'agit de ne s'appuyer sur aucun modèle existant, associatif, syndical ou politique car « il faut parler d'une seule voix », explique Florian Girard, élu « rapporteur » il y a trois semaines lors d'une de ces réunions par une quarantaine de personnes.
Il sent bien que le mouvement cherche des solutions pour que ceux qui parlent en son nom aient une « meilleure représentativité : on essaie de faire en sorte qu'il n'y ait pas de hiérarchie entre rapporteurs », ajoute Florian. La parité a d'emblée été instaurée et l'on songe à faire tourner les rapporteurs. Pour l'instant, leur rôle consiste à « faire remonter les doléances au délégué départemental », Fabrice Schlegel. Il s'agit aussi de « se coordonner avec les Gilets jaunes motivés qui sont là en permanence dans le but de structurer le mouvement, coordonner l'action, établir les liaisons avec Dole, Champagnole, Saint-Amour... »
Comment y parvenir sachant que si des revendications sont convergentes, d'autres paraissent antagonistes, sinon contradictoires ? Les doléances des gilets jaunes petits entrepreneurs contre les « prélèvements obligatoires », comme le souligne Fabrice Schlegel dans un débat sur France 3, peuvent être considérés comme en porte-à-faux avec le principe de la Sécurité Sociale. A moins, suggestion de piste de réflexion, d'instaurer une première tranche de revenu exempt de cotisation, ce qui aurait sans doute pour effet de relever le plafond de la dite Sécu...
Florian Girard, que nous avons rencontré lundi 17 sur le rond-point du Rocher, n'élude pas la difficulté. Il en fait un sujet de débat. A l'entendre, il s'agit de ne s'appuyer sur aucun modèle existant, associatif, syndical ou politique car « il faut parler d'une seule voix. D'où l'intérêt de nous structurer pour nous rassembler ».
Un gendarme en retraite : « Quand les gens un peu chauds
voient le gouvernement droit dans ses bottes, ils sont exacerbés... »
Tout en préparant déjà l'acte VI, le mouvement est obligé de se penser, de se projeter dans la durée, ne serait-ce pour tenir les trois ou quatre mois du débat national lancé par Emmanuel Macron. A moins que ce processus, là aussi, ne soit pas investi. En tout cas, il y a là matière à discuter car les analyses peuvent être nombreuses, sinon le devenir. Pour l'heure, les Gilets jaunes que nous rencontrons sont toujours remontés, décidés à ne pas lâcher.
Aux observateurs qui penseraient que tous les activistes disent cela avant de finir par laisser tomber, on fera observer qu'on n'a jamais vu ce type de mouvement. La discussion que j'ai eu autour du braséro de Villette-les-Dole avec un gendarme à la retraite et son épouse, tous deux en gilet jaune, en est une illustration saisissante. « Le Progrès a dit qu'on était 600 à manifester samedi, notre responsable a compté 850 », s'insurge la dame en ajoutant : « Quand on voit qu'ils bloquent les gens sur l'autoroute pour qu'ils ne manifestent pas afin de dire qu'il n'y a personne... »
Sur le fond, leurs raisons d'être mobilisés sont les mêmes que celles de tous les retraités que nous avons rencontrés. L'ancien gendarme évoque l'augmentation de la CSG de 60 euros par mois et rappelle que « droite et gauche n'ont pas ré-indexé les pensions ». Il a aussi appris quelque chose : « depuis que je suis sur le rond-point, je vois la misère, et pas seulement celle des chômeurs, mais aussi celle des gens qui bossent... On manque aussi de services publics, par exemple dans l'agroalimentaire, ils font leurs contrôles eux-mêmes, regardez Lactalis... »
J'ose une question qui m'avait été renvoyée comme « provocatrice » par un policier d'active à qui je la posais il y a quelques jours : le gendarme en retraite comprend-il que des gens se mettent à casser ? « Oui ! Je n'avais jamais fait de manif. Il y a les gens un peu chauds qu'on arrive à contenir, mais quand ils voient le gouvernement droit dans ses bottes, ils sont exacerbés... »