Les Gilets jaunes plusieurs fois gazés à Besançon

Samedi après-midi, les manifestants voulaient rencontrer le préfet qui, le matin même, avait fait dégager sans sommation le barrage filtrant du rond-point de Valentin. Devant la préfecture, un dispositif avait un temps constitué une nasse qui aurait pu être très dangereuse en cas de panique. Le nuage de lacrymogènes a atteint le marché de Noël de Granvelle et touché des familles...

Samedi, peu avant 15 heures 50. Une nouvelle salve de lacrymogènes fait refluer les manifestants. (Photos Daniel Bordur)

Samedi 8 décembre. Un solide cordon de policiers en tenue anti-émeute est stationné devant le portail de la préfecture, largement masqué par la bâche recouvrant l'échafaudage des travaux de la façade. Vingt mètres devant, un cordon de gendarmes mobiles, également casqués, munis de boucliers et harnachés, barre l'accès au parvis semi-circulaire qui marque le carrefour des rues Charles-Nodier et de la Préfecture.

Le millier de manifestants qui s'est engouffré peu avant 14 heures 45 dans la rue de la Préfecture s'arrête. Quelques uns restent à l'arrière, au niveau de la place Granvelle et de son marché de Noël. Les premiers rangs sont au contact des gendarmes. L'objectif des Gilets jaunes est de voir le préfet en personne. Ce dernier, qu'ils ne verront pas, propose de recevoir une délégation. Quatre manifestants franchissent le barrage d'uniformes, mais très vite les autres s'offusquent : « Pour qui se prennent-ils ! », « Le préfet, qu'il descende ! », « Pas de délégation, on est tous ensemble ! »

14 heures 55. Entre gendarmes et policiers, l'auto-proclamée délégation ralentit, s'arrête, hésite, fait demi-tour et réintègre la masse des Gilets jaunes. L'ambiance était chaleureuse, elle devient bouillante. « On est des salariés ! On est des ouvriers ! », crient des manifestants aux gendarmes. Ça pousse un peu, pas très fort. Ceux-ci résistent. Des poings se lèvent de colère. Ça crie, ça pousse encore.

« Allez chercher le vin chaud ! »

15 heures. Les gendarmes reculent en biais, de façon à laisser le champ libre vers Chamars. La pression retombe un peu, la foule emplit la moitié du parvis de la Préfecture. Avantage non négligeable de la situation : la nasse est rompue et une échappatoire est possible. Une part du danger potentiel d'un éventuel mouvement de panique est écartée. Un rigolard lance « Allez chercher le vin chaud ! » Très vite, le face à face entre forces de l'ordre et manifestants reprend, moins électrique qu'un instant auparavant.

Des échanges s'instaurent avec des agents. Une jeune femme lance à un jeune policier : « Vous avez le droit de ne pas obéir à un ordre illégal... » Il sourit, elle poursuit : « Pourquoi vous nous empêchez de passer ? » Une autre ajoute : « On est dans le même camp ». La première insiste : « T'as pas peur pour tes parents ? Ou tes enfants ? » Le policier répond : « Si c'est tout le temps comme ça, ça se passera bien... »

La jeune femme continue : « C'est notre droit ! Notre droit de manifester ». Le policier répond : « Ça ne se passe pas comme ça, je vous expliquerai une autre fois ». A deux pas, une autre discussion entre un petit groupe et un commandant de police, également équipé et casqué : « Vous nous empêchez d'avancer ! » Il interroge : « pourquoi faire ? » Elle : « aller dans la préfecture ». Lui : « vous y ferez quoi ? » Elle : « discuter... »

« Et Benalla, il est où ? »

Derrière les premiers rangs, un slogan repris par plusieurs dizaines de Gilets jaunes s'adresse aux forces de l'ordre : « Les casseurs sont derrière vous ! » 15 heures 20. La tension remonte, une poussée tente d'enfoncer le dispositif. Des policiers empoignent matraques et bombes lacrymogènes. Un premier jet est envoyé sur les manifestants, mais le vent rabat le gaz à son envoyeur.

A quelques mètres, sur le côté où je suis posté, c'est à peine plus calme. Un vieux Gilet jaune lance à un jeune policier en désignant son équipement : « range la ! range la ! On n'est pas des voyous ». Un manifestant s'énerve et lance aux policiers : « Sortez les flingues, allez-y ! » Un de ses amis s'interpose : « Calme toi ». Un autre slogan est scandé : « La police avec nous ! La police avec nous ! » On entend un cri, sardonique : « Et Benalla, il est où ? »

15 heures 35, des bouteilles en plastique et des œufs sont lancés en direction des cordons des forces de l'ordre. Un second jet de gaz lacrymogène provoque un nuage plus dense, irritant la gorge, piquant les yeux. La foule reflue, se partageant entre la direction de Chamars et la rue de la Préfecture. Un demie-heure plus tard, un groupe de Gilets jaunes revient par la rue Mégevand tandis qu'une partie de ceux qui avaient fui par la rue de la Préfecture retournent au contact et essuient un nouveau gazage...

« C'est la dictature
du capitalisme et du CAC 40... »

Il y a encore 200 à 300 Gilets jaunes autour du carrefour des rues Mégevand et de la Préfecture. La colère est montée d'un cran. « Quelle honte », dit une femme. « Bandes de connards », crie un homme. « Ma langue est en feu », lance un jeune à ses copains. Un Gilet jaune est furieux : « C'est catastrophique. On a quoi nous (il montre ses mains) ? Voilà comment le peuple est remercié. On vient avec des doléances, on nous balance des lacrymo. On nous parle de dictature, mais elle est où ? Là, c'est la dictature du capitalisme et du CAC 40... »

16 heures 24. Un nouveau jet de grenades lacrymogènes fait reculer plusieurs dizaines de manifestants s'étant avancés en direction de la Préfecture. Poussé par le vent, le nuage envahit la place Granvelle. Les manifestants refluent vrue Megevand ou jusqu'à la Grande rue. Une jeune femme quitte en courant le marché de Noël, tenant par la main ses deux jeunes enfants en pleurs. Un très jeune mère se sauve avec son bébé hurlant dans les bras. Des manifestants se mettent du sérum physiologique dans les yeux pour se soulager. Le marché de Noël ferme plus tôt que prévu.

La rage n'a pas quitté les plus remontés qui repartent rue de la Préfecture. Un camion de pompiers passe sous les applaudissements. Il viendra prendre en charge un manifestant blessé au pied par une grenade. On entend crier « CRS-SS ». Trois nouveaux gazages ont encore lieu à 16 heures 38, à 16 heures 41 et 16 heures 50. Entre les deux derniers, un jeune Gilet jaune s'écrie en haranguant ses amis : « Faisons des allers-retours pour les épuiser... »

La nuit tombe. Les quelques dizaines de manifestants restant finissent par renoncer. « Samedi prochain on reviendra, on ne va pas s'arrêter là, on n'a pu parler à personne », s'étrangle l'un. Quelques uns tentent un dernier assaut. A l'arrière, on les met en garde : « Attention, revenez, les flics sont cachés dans des porches latéraux... » A Besançon, huit personnes auront été interpellées ce samedi, et trois à Valentin lors de l'évacuation matinale et musclée du rond-point.

 

- « Vous nous empêchez d'avancer ! »
- « Pourquoi faire ? »
- « Aller dans la préfecture ». 
- « Vous y ferez quoi ? »
- « Discuter... »

 

« Range la ! range la ! On n'est pas des voyous »

 

Capsules de grenades lacrymogènes ramassées par des manifestants.

 

 

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