La salle est peu éclairée, il est difficile de se frayer un chemin jusqu'à l’isoloir. Une vieille dame savoure ce moment et prend le temps de prendre chacun des bulletins de manière méthodique. La satisfaction et la fierté se lisent sur son visage. « A voté ». Elle quitte la salle aussi calmement qu'elle est arrivée, la sensation du travail bien fait en plus. Cette dame, qui préfère garder l'anonymat, nous dit être heureuse d'avoir pu en temps qu’Algérienne, effectuer son devoir aussi simplement. « C'est la démocratie », dit-elle.
Voter, Louardi l'a effectué lui aussi. Ce Franco-Algérien défend un candidat et le fait savoir : « Il faut voter pour Chaabna, c’est le seul qui défend les intérêts des Algériens vivants en France ». Le candidat indépendant se bat ainsi pour une baisse du prix des billets d’avion vers l'Algérie, une assurance pour le rapatriement des corps, la recherche d'investisseurs étrangers vers l'Algérie grâce notamment à un salon annuel de l'immobilier en France.
Rafik est venu voter avec son père et son fils. Comme Louardi, il a également glissé un bulletin de vote lors du premier tour de l'élection présidentielle française. « C'est un devoir de citoyens, que je dois transmettre à mon fils, c'est important. L'un n'empêche pas l'autre au contraire », explique t-il l'air amusé.
« J'ai voté aux deux élections »
Khemissi Hakkar est lui aussi devant le bureau de vote. Arrivé en France en 1957, c'est par choix, et par fierté patriotique, qu'il a décidé de garder sa nationalité algérienne. « Je renouvelle ma carte de séjour, je suis toujours en règle. Mes frères sont français, moi je préfère n'être qu'algérien ».
Responsable au commissariat électoral monsieur Belladj voit ces élections comme un moyen de faire vivre la communauté algérienne de France. « Un arbre a ses racines », précise t-il. Ce père de famille est très attaché à la France et à ses valeurs républicaines : « bien évidemment j'ai voté aux deux élections, ma fille fait partie d'un bureau qui soutien un des candidats au second tour des élections présidentielles françaises ». S'agit-il de Marine Le-Pen ? Il répond en souriant : « Ce candidat est un homme »...
Impossible de connaître la participation locale
Malgré nos multiples requêtes, deux visites et quatre appels téléphoniques, il nous a été impossible d'avoir le chiffre officiel du nombre de participants à ce scrutin. Motif invoqué lors de notre dernière tentative : « vous n'êtes pas un journaliste habilité par le ministère des affaires étrangères algériennes », nous fait dire la consule par son secrétariat. Impossible donc d'évaluer l'attractivité de ce vote d'un point de vue local. Outre Méditerranée, deux Algériens sur trois ont boudé ce scrutin « joué d'avance ». D'après les dernières estimations ce sont les partis de la majorité actuelle, le Front de Libération Nationale (FLN) et le Rassemblement National Démocratique (RND), qui sont les grands gagnants. Ils obtiennent respectivement 164 et 100 sièges sur les 462 de l'Assemblé Populaire Nationale Algérienne. De nombreux partis dénoncent des fraudes et évoquent un « bourrage des urnes ».
Cette méfiance du peuple algérien pour sa démocratie, Jacques Fontaine la connaît bien. Cet homme de 69 ans se définit comme un géographe, au sens géopolitique du terme. Maître de conférence à l'Université de Franche-Comté, cet amoureux de l'Algérie explique ce phénomène par quelques dates historiques précises.
Pour lui tout commence après la Seconde Guerre Mondiale. Le parti indépendantiste gagne les élections que les autorités coloniales annuleront. Elles donneront par la suite un résultat bidon.
En 1990 se déroulent les élections municipales. « Ce seront les seuls élections sincères », précise t-il. Un réelle pluralisme de voix est observé et le FIS est donné gagnant dans les villes de plus de 100 000 habitants.
En 1991 les législatives sont « magouillées ». Le FIS perd un million de voix et ce chiffre ira en se dégradant au fur et à mesure des années au profit du FLN. Les Algériens délaissent de plus en plus les urnes. La guerre civile qui frappe le pays pendant les « dix années de plombs » n'arrange rien.
« Un théâtre d'ombre où les manipulateurs ont le pouvoir »
Jacques Fontaine explique la suprématie du FLN et du RND par la décomposition du champs politique. Vingt sept partis étaient représentés par des députés en 2012. Quinze d'entre eux ne comptaient au maximum que trois députés. Il y avait deux députés indépendants sans étiquette politique. Tout cela favorisait la majorité.
En 2017 même constat. Dans l’opposition, le Parti de Travailleurs (PT) ne compte que onze sièges, le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) en a neuf. L'opposant historique, le Front des Forces Socialistes (FFS) n'obtient que 14 sièges. Abderazzak Makri, président du Mouvement de la Société pour la Paix, a quant à lui permis à son parti d'obtenir 33 sièges. Il devient donc le premier parti d'opposition. Le reste de l’assemblée est émietté au travers d'un peu moins de cinquante listes dont 38 n'ont qu'un seul siège, et dix listes deux ou trois...
Le champ politique est aussi très hermétique. Pour Jacques Fontaine, il est évident que c'est dans le but de « promouvoir et de prolonger un pouvoir anti-démocratique ». « Bouteflika est une marionnette... Nous sommes dans un théâtre d'ombre où ce sont les manipulateurs, dans l'ombre, qui ont le pouvoir », explique t-il.
Le pouvoir trois fois confisqué
Il rappelle d'autre part que dans leur histoire, les Algériens se sont fait confisquer trois fois le pouvoir. En 1962 avec Ben Bela, en 1991 après la victoire électorale du FIS, et en 1992 par un coup d'état (voir sur Wikipédia histoire de l'Algérie depuis 1962). Tout cela explique « le ras le bol » et la désertion des bureaux de votes pour ces législatives...
Enfin un dernier scandale (et pas de moindres) a défrayé la chronique durant cette campagne : l'affaire des femmes, candidates, floutées à la télévision algérienne. Cette affaire soulève deux problèmes : outre la régression du droit des femmes, c'est aussi un problème politique à part entière puisque les électeurs ne votent plus pour une femme mais pour un programme. Sur ce point l'universitaire explique ce phénomène par le poids du machisme et de la tradition dans le monde musulman.
Jacques Fontaine est-il inquiet pour l'Algérie de demain ? Sa réponse est très claire : « Pour l’Algérie, ces élections ne servent à rien, c'est un pouvoir de façade pour répondre aux normes internationales, pour être ensuite mieux accepté dans le Conseil des Nations et ainsi jouer un rôle diplomatique important. Je suis très pessimiste sur la situation de l'Algérie actuellement. Cette génération est encore sous le choc des années de plombs. Il faut attendre la génération suivante pour que ça bouge ».