Le soulagement de la gauche après la peur

Marie-Guite Dufay sera la première présidente de la grande région Bourgogne-Franche-Comté. La socialiste remporte la triangulaire avec 34,7% devant François Sauvadet (32,9%) et l'extrême-droite (32,4%). La participation a augmenté de plus de dix points d'un tour à l'autre. Reste que le barrage anti-FN ne peut constituer une politique. Le débat a commencé à gauche...

20 heures au Kursaal de Besançon. La joie des sympathisants socialistes. Photos D.B.

 

 

Un soulagement. Le mot était sur toutes les lèvres dimanche soir au Kursaal de Besançon où se sont rassemblés 200 à 300 militants et sympathisants de gauche. Bien sûr, il y eut une explosion de joie à 20 heures, quand sur le grand écran qui égrenait jusque là les résultats de la ville, la retransmission télévisée laissa apparaître la carte de la région en rose avec une avance de 0,5% pour Marie-Guite Dufay. Mais parmi les sondages relayés par les réseaux sociaux bien avant la délivrance, l'un donnait le FN gagnant. De quoi rendre inquiet Nicolas Bodin, le premier fédéral du PS du Doubs : « il n'y a que 5000 voix d'écart, j'attends... »

La différence sera finalement de plus de 20.000 voix et de 1,8%. François Sauvadet reste deuxième, comme au premier tour. Il augmente son nombre de suffrages de 65% en mobilisant 151.108 voix supplémentaires pour la liste UDI-LR. Mais c'est insuffisant car la gauche accroît son score de 181.565 voix, soit une augmentation de 82% qui lui permet de passer devant. Le FN lui aussi augmente en nombre de voix, mais seulement de 73.759, ce qui fait quand même 24% de plus qu'au premier tour. 

Le rapport de forces au sein de la nouvelle assemblée est de 51 sièges pour le PS, 25 sièges pour l'alliance UDI-LR et 24 sièges pour le FN.
Voir les résultats des principales villes de la région ici.

D'un dimanche à l'autre, les scrutateurs ont enregistré 210.459 votants de plus, soit un bond de 21%. La participation est passée d'un médiocre 50,56% à un plus honorable 61,15%. Bref, la gauche a davantage su mobiliser, bien au-delà du total des diverses listes. Elle l'a fait la peur au ventre. Ses électeurs se sont alertés quand, après la focalisation des médias nationaux sur les résultats de la famille Le Pen, au nord et au sud du pays, ceux-ci se sont rendus compte que la bataille de Bourgogne-Franche-Comté était très serrée et pouvait déboucher sur la très mauvaise surprise d'une victoire de l'extrême droite.

« Le Front de gauche et les écolos ont fait le boulot »

« On est soulagé, on s'est beaucoup battu sur le terrain. On a fait du tractage, du collage, du porte-à-porte, discuté avec les gens. C'était difficile, mais on a senti le sursaut », dit Anne-Sophie Andriantavy, adjointe PS au maire de Besançon. « On a évité le pire, ça soulage, c'est grâce au Front de gauche et aux écolos qui ont fait le boulot qu'il fallait », dit Thibaut Bize, élu municipal communiste. « La crainte que j'ai, c'est que le PS analyse ce résultat comme une victoire et que tous les débats qu'on a eus sur les services publics et autres sujets passent à la trappe. S'il n'y a pas un coup de barre politique à gauche, en 2017, ce sera la même... »

Patrick Ayache, jusqu'il y a peu directeur général des services de la ville, nouveau conseiller régional, cherche ses mots une seconde : « Je suis soulagé et heureux, mais préoccupé par les raisons qui poussent les Français à voter FN au premier tour, il faut s'attaquer à ça... » Elise Aebischer, étudiante en géographie de 21 ans, sera sans doute la plus jeune élue de la nouvelle assemblée : « toute la semaine, on a fait campagne, un peu sur le campus et beaucoup dans les quartiers populaires... Il y a eu une prise de conscience du danger FN, c'est un message à François Hollande. J'ai eu peur... »

Au premier plan, Elise Aebischer, sans doute la plus jeune élue du
nouveau conseil régional.

 

Joseph Gosset, adhérent direct du Front de gauche, aussi a eu peur : « On a un dilemme... Il faut que les socialistes comprennent : Valls, Macron et les fonds de pension... » Patrick Bontemps, adjoint PS à Besançon, le coupe : « le peuple de gauche n'a pas voté pour vous... Pour reconstruire une gauche, il faut que tous les partenaires soient dans la même dynamique ». Facile à dire quand de très nombreux électeurs de gauche boudent les urnes, notamment les moins bien lotis. Ancien mao devenu médecin hospitalier réputé, Patrick Bontemps a du mal à l'entendre : « On n'est plus dans le dogme de faire payer les riches, les réponses doivent être au niveau européen. Tu veux taxer le capital, il se barre ailleurs... »

Marie-Guite Dufay, « l'anti-notable »

A quelques pas, Christian Dufay vient d'avoir sa présidente de femme au téléphone : « Elle est à Dijon pour les télés, elle n'était pas loin des larmes... » Il se reprend : « ça fait plaisir de voir qu'une femme qui bosse, qui a envie de bien faire, qui n'est pas dans le monde politique classique, arrive à gagner ». Une politique pas comme les autres, vraiment ? « Ça ne ne sent pas ? Elle n'a pas fait carrière. Elle est venue sur le tard dans l'équipe de Robert Schwint, puis dans celle de Forni Elle a horreur du système, du machisme ambiant dans la politique. Si elle avait été battue, elle serait repartie dans sa vie de grand-mère... » Marie-Guite Dufay est-elle une militante ou une notable aux yeux de son époux ? « C'est l'anti-notable. Elle est contente que les gens lui disent qu'elle est bonne, qu'elle n'est pas comme les autres... Quand elle s'est lancée dans la campagne, elle est allée à fond. Je lui ai servi de chauffeur, comme d'autres... »

Ancien adjoint au maire devenu soutien de la députée Barbare Romagnan, Marcel Ferreol est content de la victoire, mais pas de Manuel Valls : « plein de gens nous l'ont dit à Planoise : on nous appelle quand il y a le feu. Nous devons reprendre le combat social. On dit aux jeunes de voter et quand le FN est à 30% on n'écoute pas ce qu'ils disent ! Refondons notre projet sur le bien commun, avec la société civile ! »

« On a vu voter des gens qui n'avaient jamais voté de leur vie... »

Bien que défait, le FN reste dans les esprits. Nouvel élu, Luc Bardi dit son « relatif soulagement d'avoir gardé la majorité », mais il est conscient des conditions : « il y aura une forte opposition, avec un quart d'élus FN. Notre objectif sera de redonner confiance aux électeurs. Il faudra développer des campagnes participatives, en lien avec les habitants ». « Quand on regarde les scores, il y a presque deux tiers à droite », dit Sébastien Coudry, militant socialiste. Sortante réélue, Salima Inezarène admet une réaction contrastée : « Je me réjouis de la victoire, mais le score du FN est définitivement trop haut... A Audincourt, on a remobilisé dans les quartiers. On a vu voter des gens qui n'avaient jamais voté de leur vie... » 

Le maire Jean-Louis Fousseret est-il en train de roder son propos introductif du conseil municipal de ce lundi soir ? Il dit : « c'est une belle victoire dans un contexte difficile...Mais il ne faut pas être dans le déni... » Le gouvernement doit-il changer de politique ? « La politique est bonne, mais elle a besoin d'inflexion... » Denis Sommer n'a pas ces précautions de langage : « Nos politiques ne sont pas comprises, elles sont même contestées. Le projet politique  socialiste n'est pas identifié. On ne fera reculer le chômage que si on fait plus de 2% de croissance, mais les analystes montrent que 2%, c'est le maximum ! Le discours sur la croissance est hypocrite et génère des insatisfactions, le fond du sujet est là. On a deux solutions : ou on se satisfait du chômage de masse ou on dit que ce n'est pas tolérable. Les gens savent que la situation est difficile, ils ne doivent pas douter de notre volonté... »

Jean-Louis Fousseret : « La politique du gouvernement est bonne, mais elle a besoin d'inflexion... »

 

Le problème n'est-il pas que la politique a de moins en moins de pouvoir ? Sommer fait un pas de côté pour répondre : « Jospin disait que l'économie de marché existe, qu'on doit faire avec, mais on ne veut pas d'une société de marché... » D'où la question des services publics ? « Évidemment. Quand Marie-Guite Dufay parle de sécurité sociale professionnelle, c'est un vrai chantier. On a les crédits pour 1000 contrats de sécurisation intérimaires, mais on en a que 300. Il faut se battre pour mettre en place les dispositifs. Ma ville, Grand-Charmont, est une des cent plus pauvres de France, avec beaucoup de logements sociaux, c'est une vraie ville ouvrière et on résiste au FN, on a fait 51,5%. On est la seule ville du pays de Montbéliard à tenir car les gens sont associés, on est dans une logique très coopérative... »

« C'est notre responsabilité si le FN est à ce niveau »

L'entretien est interrompu car François Sauvadet intervient à la télé : « Cambadélis et Rebsamen ont joué à la roulette russe... On prend les mêmes et on recommence... » Roulette russe, le mot est également employé par Laurent Croizier, conseiller municipal MoDem, « ravi que Montel soit troisième ». Sauvadet annonce qu'il abandonnera son mandat de député et siègera à la région. Sommer a l'air d'en douter. Un instant plus tard, Barbara Romagnan apparaît à l'écran : « Si le gouvernement respectait nos engagements... On doit se ressaisir sur la question sociale ». Secrétaire de la section PS de Quingey, soutien comme Ferreol de la députée, Alexandre Cheval est sévère pour son parti : « Nous sommes démissionnaires sur nos valeurs quand nous sommes au pouvoir. Depuis des mois, les électeurs de gauche nous le disent, et ils ne vont plus voter. Sans les Verts et le Front de gauche, le PS ne peut plus gagner une élection. C'est notre responsabilité si le FN est à ce niveau, il faut l'assumer et changer les choses. La politique de Valls n'est pas bonne, il faut en changer... »

La lutte contre le FN est-elle un projet politique ? « Non, on doit mener une politique de gauche pragmatique qui prenne en compte les attentes des plus fragiles, dont la sécurité avec des moyens humains », dit l'adjoint aux sports Abdel Ghezali. Conseiller municipal EELV, Antony Poulin ne regrette pas l'échec du premier tour même s'il est « déçu » : « il y avait très peu de place pour l'écologie dans cette campagne ». La stratégie, à géométrie variable selon les régions, alliance avec le Front de gauche ici, listes séparées ailleurs, n'était pas, en outre, illisible ? « Aucune n'a eu de succès... Même Midi-Pyrénées où le résultat est moins bon qu'espéré... »

 

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