Le Grand marché transatlantique fait de l’ombre au vin jaune et au comté

La Confédération paysanne du Doubs a consacré son assemblée générale aux risques que fait peser sur l'agriculture le projet de traité commercial Europe-USA : pesticides, antibiotiques, labels, terroirs, appellations d'origine, emplois... sont directement menacés.

affinage

Saviez-vous que l'Union européenne fait payer 31% de droits de douanes de 1409 à 2032 euros par tonne aux fromages entrant sur son sol alors que les USA n'en exigent que 7,1 % ? Que pour les vins, ils sont respectivement de 10% 13,5 à 15,8 euros par hectolitre et 1,35% ? A entendre l'économiste Bernard Teper, du Réseau Education populaire (site ), membre du conseil scientifique d'Attac (le plan de son intervention ici), ces chiffres ont de quoi donner quelques sueurs froides aux producteurs européens. Car le Grand Marché transatlantique vise tout simplement à supprimer les droits de douanes, à tout le moins de les abaisser nettement en les égalisant des deux côtés de l'Atlantique. Histoire de ne pas fausser la concurrence !

Mais on ne fausse pas la concurrence, dans l'esprit des partisans du libre-échange, qu'avec ces fameux droits de douanes qu'ils appellent « barrières tarifaires » au développement du commerce. Les démanteler ferait baisser les prix des fromages américains d'un tiers. Des fromages américains ! Bigre ! Ne riez pas :  « les USA ont une grande capacité à augmenter leur production laitière, ils sont déjà le premier fabriquant mondial de gouda et de parmesan », explique Claude Girod, maraîchère en Bresse et responsable du dossier commerce à la Confédération paysanne. La cour de justice européenne a bien donné raison à l'Italie sur l'usage du nom parmesan, mais la philosophie des grands groupes, pour le fromage comme pour le vin est simple : la recette étant dans le domaine public, on en fait ce qu'on veut où on veut, le terroir n'ayant aucune importance...

Le cahier des charges du comté dans le collimateur

Donc, quand le mandat donné en 2013 par le Conseil européen - donc les gouvernements - à la Commission pour négocier le GMT, prévoit aussi d'abaisser les « barrières non tarifaires », on peut craindre pour toutes les normes, au premier rang desquelles les règlements d'AOP. « Attaqueront-ils le cahier des charges du comté ? », a demandé mardi Jean-Paul Henry lors de l'assemblée générale de la Confédération paysanne du Doubs. « Oui, tous les cahiers des charges », répond Bernard Teper.

Son inquiétude est d'autant plus forte qu'il estime que l'agriculture fait partie des sujets sur lesquels l'unanimité des états membres de l'Union européenne n'est pas requise. Un majorité qualifiée (55% des états, 65% de populations) étant suffisante, il n'y a plus de veto possible. Il craint donc un marchandage : « il y a un risque que les USA bloquent sur les machines outil [allemandes] si l'Europe bloque sur l'agriculture. Et donc un risque de lâchage de l'Allemagne sur sur l'agriculture, car ses excédents sont surtout liés à son industrie. Il y a par conséquent un risque d'arbitrage contre l'agriculture française, et notamment contre l'agriculture paysanne : vous ne serez pas aidés par les céréaliers de Beauce ! »

Hormone laitière, antibiotiques, pesticides sans entrave aux USA

Éleveur dans le Haut-Doubs, Maurice Tissot s'interroge quand même : « les USA auront-ils la capacité à produire indéfiniment alors qu'ils ont du mal à être auto-suffisants ? » Réponse de Bernard Teper : « Les multinationales ne veulent pas prendre tous les marchés, mais seulement la privatisation des profits et la socialisation des pertes, autrement dit, quand l'accord sera ratifié, elles investiront là où c'est rentable ».

Les normes, ce ne sont pas que les règlements d'AOP. Ce peut être l'hormone laitière qu'on utilise outre-Atlantique et « contre laquelle on s'est bagarré dans les années 1990 pour ne pas les utiliser en Europe. Or, elle est indécelable, et il faudrait apporter une preuve de nocivité devant les tribunaux arbitraux pour l'interdire », dit Claude Girod. Elle cite aussi l'irradiation des aliments « autorisée là-bas, interdite ici », les traitements massifs aux antibiotiques outre-Atlantique, l'absence de réglementation sur les pesticides, la non reconnaissance des perturbateurs endocriniens...

Menaces sur la viande

Outre le vin et le fromage, il y aussi la viande. Hormis le porc pour lequel l'Union européenne est excédentaire, notre continent est déficitaire en boeuf et volailles, explique Bernard Teper. Les droits de douane européens sont 12,5 fois supérieurs aux droits de douane américains : 536€/t contre 42,8€/t. Depuis 2009, les USA peuvent exporter sans droit de douanes vers l'Europe 20.000 tonnes de boeuf sans hormone par an, mais n'en ont vendu que 17.000 tonnes en 2013.

Or, l'accord Europe-Canada a prévu un quota sans droit de douane de 50.000 tonnes avec un coût de production de 40% inférieur au coût de production français (15% sans hormone). Si les USA réclament le même traitement, ils n'auraient plus 20.000 tonnes à nous vendre sans droit de douane, mais 300.000 tonnes : « cela vaudrait alors le coup d'investir », assure Bernard Teper.

L'agriculture américaine déjà industrialisée

Le contexte est aussi, surtout, celui d'une très grande différence structurelle entre les agricultures américaine et européenne. « L'agriculture américaine est déjà industrialisée », dit Claude Girod pour qui « 30% des éleveurs bovins européens sont en péril ». Quand la taille moyenne d'une ferme européenne était en 2010 de 14,4 hectares, celle d'une ferme américaine était de 169 hectares. Quand un agriculteur européen travaillait 16,8 hectares, son collège américain en avait 164,4... Il y avait en 2007 eu Europe 12,2 millions d'exploitations, 2,2 aux USA... 

Certes, une moyenne ne dit pas grand chose des différences entre les petites fermes de Bulgarie ou de Roumanie et les grands domaines du bassin parisien ou d'Allemagne. La moyenne française de 77 hectares (en 2007), la moyenne franc-comtoise de 98 hectares ne disent pas que les viticulteurs jurassiens ont autour d'une dizaine d'hectares alors que 40% des fermes haut-saônoises dépassent 200 hectares... Mais d'autres chiffres sont parlants : il n'est pas rare de voir des élevages de 5000 ou 10.000 vaches voire davantage en Amérique. La ferme picarde des 1000 vaches en cache peut-être de bien plus grandes pour l'avenir...

 

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