Chassez le naturel, il revient au galop. Après une introduction où il reconnaît « l’exigence d’entraide et de solidarité [qui serait] plus forte » en France qu'ailleurs, où il met en avant le fait que la France est une des nations parmi « les plus fraternelles et des plus égalitaires », où il dit « n'accepter aucune forme de violence » sans toutefois citer l'une des plus mal ressentie, la violence symbolique, Emmanuel Macron replonge. Il reste persuadé, du moins l'écrit-il dans sa lettre aux Français, avoir été « élu sur un projet, de grandes orientations auxquelles [il] demeure fidèle ».
On ne lui reprochera pas la fidélité avec lui-même, mais de croire, ou feindre de croire, à tout le moins de laisser penser que son projet a recueilli l'assentiment d'une majorité de Français. Lui même a parlé un temps d'effraction à propos de sa prise de pouvoir.
Qu'on se rappelle brièvement les conditions de ce fric-frac politique : un PS et un président discrédités car faisant le contraire de ce pourquoi ils exerçaient le pouvoir ; un bloc de gauche divisé au premier tour mais constituant le plus important des quatre principaux ; le soutien énamouré des médias de masse (et de marché) pour le jeune ministre prodige...
Qu'on se souvienne aussi du score de premier tour de Macron (18,19% des inscrits, à comparer aux 22,32% de Hollande en 2012 et aux 25,74% de Sarkozy en 2007) qui aurait d'autant plus dû l'inciter à la prudence que ce résultat fut dopé tant par une habile communication faisant croire qu'il était aussi de gauche, que par l'idée martelée qu'il constituait le meilleur rempart contre le FN alors que beaucoup redoutaient un second tour Fillon - Le Pen. Combien d'électeurs de gauche, déboussolés, se sont-ils laissés convaincre ? Combien d'électeurs quasi naturels de Fillon ont quitté leur champion pour des raisons morales et opté pour le second choix idéologique et économique représenté par Macron ? Comment dans ces conditions le président de la République peut-il continuer à entretenir la fiction selon laquelle son projet aurait recueilli l'assentiment du pays ?
En 2002, Jacques Chirac, bien mieux élu qu'Emmanuel Macron face à l'extrême-droite, tint un minimum compte du fait qu'il l'emporta aussi largement grâce aux électeurs de gauche, se gardant d'autant mieux d'une attitude bravache vis-à-vis des classes populaires et de la classe moyenne qu'elles constituaient une partie de sa base électorale.
La lettre aux Français d'Emmanuel Macron remet une pièce dans la machine. Il cadre d'emblée le grand débat en l'empêchant de déboucher sur la remise en cause de son socle idéologique : « nous ne reviendrons pas sur les mesures prises » en matière fiscale. Il continue à suggérer qu'il faut « poursuivre les baisses d'impôts » en posant des questions de nature à entretenir le feu : « Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité ? À l’inverse, « voyez-vous des besoins nouveaux de services publics et comment les financer ? »
On se demande bien quel service public peut sembler « dépassé » alors qu'on les a consciencieusement rognés depuis des années et qu'on continue à les démembrer, ne serait-ce dans la santé ou les bureaux de poste. Quant aux « besoins nouveaux », ils sont nombreux et régulièrement mis en avant par les syndicats, les associations, les ONG, les élus locaux, les universitaires, les CESER... Qu'on songe à la grande dépendance, aux transports publics, à l'enfance et l'adolescence en danger, au logement social...
A lire la liste des services publics « indispensables à notre cohésion sociale » selon le président (école, police, armée, hôpitaux, tribunaux), on la trouve singulièrement limitée. En fait, hormis l'école et la santé, actuellement soumises à des contre-réformes libérales ravageuses, il s'agit des traditionnelles missions régaliennes telles que l'idéologie libérale les envisage. Selon cette école de pensée, tout le reste relève du marché, de la concurrence libre et non faussée. Et seul l'intérêt cupide des individus les fait avancer. D'ailleurs, cette école a bien du mal à considérer les coopérations, à envisager les rapports sociaux sous l'angle du triptyque « donner, recevoir, rendre » qui fait tenir debout dans la durée tous les collectifs humains.
Emmanuel Macron en donne l'illustration sur la transition écologique. A le lire, on constate qu'il ne l'envisage que sous l'angle de citoyens consommateurs. Certes, il se demande comment les accompagner pour qu'ils changent de voiture ou de chaudière, mais il ne développe aucune idée, aucune réflexion sur les structures, l'environnement global, le cadre que constituent les écosystèmes. On songe aux transports, notamment en commun ou réputés doux, à l'artificialisation des terres agricoles soumises à diverses pressions : urbaines, économiques, technologiques...
Enfin, il semble aussi considérer la démocratie comme un marché, voire un supermarché. Quand on lit sous sa plume « une grande démocratie doit être en mesure d'écouter plus souvent la voix de ses citoyens », on a la très désagréable impression de comprendre que la démocratie et les citoyens, ça fait deux. Qu'ils sont séparés. Comme si la démocratie était octroyée par ceux qui l'animent ou la dirigent, qu'ils attendent des dirigés des retours d'expérience afin de peaufiner leur offre...
Ne serait-ce qu'en cela, le grand débat ne s'engage pas sous les meilleurs auspices.