Le FN au conseil régional : l’imposture culturelle

La culture est un bon exemple de la façon dont le FN intervient dans les débats : brouillage idéologique, obsessions identitaires, refus d'entrer dans le concret des dossiers, recours à des références intellectuelles de gauche (Bourdieu, Julliard, Debord...) embarquées avec d'autres (Houellebecq, Despot...)

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La présence du FN au conseil régional est-elle une imposture ? C'est Jérôme Durain, le président du groupe socialiste, qui a prononcé le mot. Il nous parait juste. Certes, la liste conduite par Sophie Montel a obtenu assez de voix pour avoir 24 sièges sur les 100 de l'assemblée, mais là n'est pas la question. L'imposture est ailleurs. Il faut entendre et voir les élus du groupe d'extrême-droite pour réaliser à quel point ils se servent de la tribune de la région pour tout dénigrer, systématiquement, ne pas parler de ce dont il est question, et parfois dire n'importe quoi.

La première impression qu'ils donnent est de n'avoir pas lu les dossiers. Ou alors d'en avoir une lecture sélective. Comme s'ils s'arrêtaient devant quelques mots-clés. Le « vivre-ensemble » est leur nouvelle tête de turc. Ils y décèlent tout ce qu'ils vilipendent. Sur chaque sujet, un élu lit un texte écrit assez gros pour ne pas se perdre entre les lignes tout en regardant de temps en temps la salle. Dans le même temps, un autre élu fait une vidéo avec son portable...

Lilian Noirot, filmé pendant une intervention par Sophie Amella...

Lors du débat d'orientation budgétaire, en mars, il leur avait été reproché de ne pas intervenir sur le sujet en cours de discussion. Ils ont vite trouvé la parade, comme l'illustre l'intervention de Julien Odoul sur le budget, vendredi 29 avril. Il prend appui sur les trois lignes - sur mille pages - consacrées à la prime de 1000 euros aux communes par place d'accueil de réfugié, pour dérouler un discours qui n'a pas grand chose à voir avec le débat budgétaire : « il ne s'agit pas de réfugiés, mais de migrants clandestins ».

Saupoudrage : le mot passe-partout

Il critique aussi le classement de la dépense : ç'aurait été selon lui « plus pertinent et plus honnête » de voir figurer la mesure non pas au chapitre politique de la ville, mais « solidarité internationale » ou « solidarité tiers-mondiste ». Faute de quoi, il estime qu'il s'agit non seulement d'une « préférence étrangère injuste et coûteuse », mais aussi d'une « escroquerie intellectuelle » qui n'est, en outre « pas budgétée » alors qu'en commission 100.000 euros ont été annoncés. 

Sur la culture, la démonstration est plus flagrante encore. Karine Champy, qui revendique, quand nous l'interrogeons, venir de la gauche, se lance pendant sept minutes dans la lecture d'une intervention écrite. Le seul moment où elle évoque le budget de la culture auquel six pages sont consacrées, c'est pour indiquer : « à y regarder de plus près, nous constatons un certain saupoudrage pour des actions ayant vocation à animer certains territoires, à financer des spectacles sans que l'on sache quelles seront leurs réelles capacités d'irrigation, tant géographiques qu'intellectuelles ». Saupoudrage : le mot n'est pas très original de la part de quelque opposition que ce soit...

« Un enjeu de cohésion sociale et d'accès à la citoyenneté »

En fait, chaque secteur de la culture est cité par le document budgétaire, et parmi les priorités de l'exécutif, on trouve même une ligne qui ne devrait pas déplaire au FN : « conforter l'identité régionale ». Il est précisé que la culture représente « un enjeu de cohésion sociale et d'accès à la citoyenneté », que les « biens culturels » ont une « capacité à préserver les identités et le lien social, à transmettre des idées, du sens et des valeurs ». Mais Mme Champy « ne sait pas de quelle culture » il s'agit, « ni pour qui ni pour quoi ».

En fait, c'est le « vivre ensemble » que cible le FN. « Un vivre ensemble qui devient le déterminant de la culture, la culture n'étant plus le ciment de la nation » mais « conforme au multiculturalisme qui cohabite très bien avec le néolibéralisme et des penchants de chacun à satisfaire une utilité individualiste maximum ». Résultat : « nous sommes assez mal engagés contre l'inculture et la sauvagerie » car la « bataille du vivre ensemble [de la majorité de Marie-Guite Dufay] sent la balkanisation ».

Et Karine Champy, qui a commencé par invoquer « feu » Pierre Bourdieu, la « culture de lutte des classes de feu le PCF », évoque cette fois Houellebecq, Jacques Julliard « qui fut des vôtres autrefois »et qui doit le rester... et Slobodan Despot. Ce dernier, journaliste suisse d'origine serbe, est un grand ami d'Oskar Freysinger, l'un des dirigeants de l'UDC qui fut en pointe dans la votation anti-minarets... Nous y voilà.

Suggérer sans dire, tout en souriant

On sait manier l'euphémisme au FN. Suggérer sans dire, tout en souriant. Même plus besoin d'appuyer le clin d'œil. Vous en voulez encore ? En voilà : « Il y a sécession du peuple d'indigènes de la région, comme ailleurs en France, qui en a assez d'être ostracisé face aux communautés dites culturelles repliées sur elles-mêmes ». Puis une petite phrase dont le début sent bon la critique prolétarienne : « Assez des promesses qui devaient mener à la justice sociale et n'ont amené qu'une injustice, des incivilités et une hyperclasse dominante qui devient mondiale. Oui, le peuple en a assez d'une culture hermétique qu'il ne comprenait pas et qu'il ne voulait pas ». 

Mme Champy, qui a été invitée par Radio Courtoisie avec le metteur en scène toulousain Didier Carette, une des rares cautions culturelles du FN qu'il a récemment rejoint, n'est pas en reste avec le jonglage intellectuel à coups de citations de penseurs critiques. Elle va jusqu'à citer Guy Debord qui « parlait du grand spectacle » politique auquel « beaucoup de spectateurs ne veulent plus assister - Souvenez-vous c'était en 1985... » Hélas pour elle, La Société du spectacle date de 1967.

« Il y a un paradoxe à citer Debord
et s'adonner soi-même
à la société du spectacle »

L'élue UDI Dominique Vérien ne se laisse pas abuser : « Il y a un paradoxe à citer Debord et s'adonner soi-même à la société du spectacle ». Il y a surtout de la part des élus FN un culot formidable qui tient à la récupération de toute critique, que ce soit de la société ou du pouvoir, notamment quand elle vient de la gauche. Avec une omission de taille : pas d'analyse économique, mais aussi l'oubli des revendications d'émancipation et d'égalité des humains en dignité. De ce point de vue, le socialiste Jérôme Durain a-t-il raison de répondre qu'il attend « la traduction en français » du discours de Karine Champy avant de se prononcer ? D'ailleurs la réplique de Sophie Montel est cinglante : « quel mépris, quelle suffisance ».

Car si le discours du FN est bien un embrouillamini de références produisant de la confusion, c'est à dessein. La Madame culture du FN n'en a d'ailleurs pas encore fini : « Grâce à la solidarité internationale associée au programme jeunes et culture, nous apprenons que s'acculturer c'est bien. Nous comprenons que s'acculturer devient adopter la culture de l'autre dans un sens recommandé comme positif. Mais évidemment, pour nous, c'est perdre sa culture, son héritage, sa mémoire, et nous ne le voulons pas ». La vérité, c'est que rien de tout cela ne figure dans les six pages consacrées au budget culturel.

 La culture qui sauve !

Quand Karine Champy dit que « la culture est un lien irréductible mémoriel d'un peuple à son histoire », on sent les vibrations qui l'étreignent. Quand elle ajoute que « cette culture peut nous sauver comme elle l'a toujours fait car elle est force de combat et d'insoumission », certains pourraient penser que c'est elle qui a besoin d'être sauvée...

Laurence Fluttaz, la vice-présidente à la culture aura été bien plus prosaïque, indiquant que les « publics ciblés » par la région en la matière sont « les plus éloignés de la culture et du patrimoine ».  « Les mots semblent au rendez-vous des actes », a souligné Jean-Philippe Lefevre (LR, Jura) en regrettant l'absence d'originalité. Sur le projet de rapprochement des deux comités régionaux du livre, il estime, avec la majorité, que « le livre et la lecture sont à la base de toute politique culturelle ».

 

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