Pierre-Alain Muet est l'un des symboles de la résistance interne des socialistes à la politique du gouvernement. Député de la Croix Rousse, le quartier des soyeux, les tisserands de Lyon, ancien du PSU, mendesiste, il fut conseiller économique du Premier ministre Lionel Jospin après avoir côtoyé François Hollande au club Témoins de Jacques Delors (lire son portait dans Libération ici). C'est donc un socialiste modéré, devenu hostile à la politique de l'offre, que Barbara Romagnan a invité jeudi 12 février pour une conférence publique avec Fanélie Carrey-Conte, membre de l'aile gauche du PS.
Devant une cinquantaine d'auditeurs, Pierre-Alain Muet explique que l'un des modèles du duo Valls-Hollande, le plan du chancelier allemand Gerhard Schröder, consistant notamment à baisser le coût du travail, « ne marche que si vous êtes seuls à le faire. Quand tout le monde le fait, tout s'effondre, tout le monde perd en recettes fiscales... » Résultat de cette politique qui se décline au niveau européen depuis plusieurs années : « la récession depuis trois ans, et nous sommes maintenant au bord de la déflation. C'est une politique absurde. Je l'ai dit à plusieurs Premiers ministres : on ne résout pas une récession venant d'un manque de demande par une politique de l'offre ».
L'enregistrement de la conférence sur le blog de Barbara Romagnan, ici.
« En 1953, les pays européens, dont la Grèce, ont annulé 60% de la dette allemande »
Ce député, qui dirigea le département d'économétrie de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et fut l'un des fondateurs du Conseil d'analyse économique du Premier ministre en 1997, est aujourd'hui consterné. « Il y a un seul équivalent historique à ce qui arrive, ce sont les années 1930... » Il fait le parallèle entre la politique de Roosevelt et les intentions affichées par Hollande dans le fameux discours du Bourget resté lettre morte...
Pierre-Alain Muet évoque bien entendu la Grèce dont « la dette continue de croître parce que la croissance s'est effondrée... Ce qu'on fait à la Grèce, c'est l'équivalent du Traité de Versailles qui a mis l'Allemagne à genoux et généré le pire... On fait autrement après la Seconde guerre mondiale : en 1953, les pays européens ont annulé 60% de la dette allemande ». C'est selon lui ce qui est à l'origine de ce qu'on a appelé « le miracle économique allemand ». C'est ce qu'Alexis Tsipras a répété lors de son tour des capitales européennes...
Questions sur la conversion de François Hollande
Pour la France, il assure que le plan gouvernemental va conduire les collectivités territoriales à diminuer leurs investissements : « c'est le contraire de ce qu'il faudrait faire ! L'Europe a 230 milliards d'excédents commerciaux parce que les importations diminuent, mais cet argent va s'investir dans les placements financiers ! Moderniser le socialisme, ce n'est pas l'adapter à la mondialisation qui va dans le mur, ce n'est pas faire du Schröder ou du Blair ».
Dans la salle, toutes les composantes ou presque de la gauche sont représentées, des différentes tendances socialistes aux communistes, du parti de gauche aux écologistes... De quoi s'adonner à ce qu'affectionnent toutes les gauches : le débat. Gérard Mamet, conseiller municipal (EELV) à Ornans, s'interroge sur la conversion de François Hollande : « comment a-t-il pu passer de "mon adversaire c'est la finance" à la phrase de Valls à Londres "my goverment is pro-business" ?, à son désir que les jeunes Français aient envie d'être milliardaires ? »
Fanélie Carrey-Conte se dit « sidérée » par ces propos du Premier ministre : « on n'a pas à aider toutes les entreprises. Notre politique d'aide a desservi les petites, le CICE n'est pas accessible à l'économie sociale et solidaire, notamment l'aide à domicile... Le boucher de rue est contre le travail du dimanche ! Quant à cette sortie sur les milliardaires, c'est d'une tristesse profonde : le modèle libéral dominant ne peut pas proposer du sens ».
« L'accent rooseveltien du discours du Bourget ! »
Pierre-Alain Muet est un « admirateur de Roosevelt qui, en séparant les banques de dépôt et les banques d'affaires, en réduisant les inégalités, a sorti les USA de la crise, a permis 30 ans de développement en Europe après la guerre... J'aimais l'accent rooseveltien du discours du Bourget ! » Mais, assure-t-il le président est « mal armé pour prendre des décisions économiques, c'est le défaut de Sarkozy qu'on retrouve sous Hollande. Les spécialistes sont à Matignon... François Hollande adore s'entourer de grands patrons, comme Chirac. Jospin avait créé le conseil d'analyse économique et savait résister aux lobbies. Ils sont au sein même du gouvernement où Macron représente la haute finance, ce qui ne l'empêche pas d'avoir des idées de gauche... »
Quelqu'un s'interroge : « nationaliser les banques et l'énergie serait-il un levier pour avancer ? » Ancien premier adjoint de Robert Schwint, Jacques Vuillemin pointe « un obstacle sur lequel se fracassent bien des volonté : la collusion entre la haute fonction publique et la haute finance privée ». Gérard Mamet témoigne qu'à la commission d'appel d'offres de sa commune, il voit « pour des tout petits marchés, six à huit entreprises faire des offres inférieures de 20% au niveau du marché et se mettre en danger ». Muet est bien d'accord : « s'il y a bien une mesure qui marche, c'est l'investissement des collectivités locales. Je ne comprends pas qu'on ne l'ait pas fait. Fillon avait, lui, tenté la relance par l'investissement ».
Conseiller général de Planoise et candidat aux élections départementale, Lofti Saïd (PS) estime que l'invocation du déficit est « la seule arme des libéraux ». Il expose son souci vis à vis de la « crise de représentativité » et propose que le PS « redevienne un parti du peuple et non un parti de banquiers ». Pierre-Alain Muet dit sa vérité : « Les déficits ont baissé pendant les années Jospin. Quand il y a de la croissance, il faut les réduire afin de les utiliser en période de récession, mais la France les a creusés entre 2002 et 2012 ».
« L'Union européenne n'a de sens qu'avec la solidarité »
Claude Mercier, candidat EELV aux élections départementales, salue « le courage d'étaler les divergences » des trois députés à la tribune. Il pose la question du « projet politique », se demande comment « créer les conditions d'une forme d'alliance ». Jacques Fontaine (militant d'Ensemble) amène Syriza dans la discussion : « est-ce le grain de sable faisant bouger l'Europe ? » Membre du Parti de gauche, lui aussi candidat aux élections départementales et à « l'école de Syriza », Benoît Maillaird-Salins va au-delà du discours du Bourget : « le programme de François Hollande ne s'y résumait pas, il y avait aussi le retraite à 60 ans et le TSCG sur lesquels il est revenus... »
Fanélie Carrey-Conte n'est pas loin quand elle assure que la victoire électorale de Syriza est « une extraordinaire opportunité de mettre en place un autre rapport de force en Europe. Quand je vois les dirigeants grecs frapper à la porte des gouvernements pour dire "aidez-nous", que le premier point du programme de Syriza est la rétablissement de l'électricité pour les 25% d'habitants qui ne l'ont plus, je me dis qu'on est en train d'humilier un peuple. La France ne doit pas être l'intermédiaire entre Merkel et Tsipras, mais avec Tsipras ».
Pierre-Alain Muet revient sur la politique économique : « Ce qui s'est passé en Grèce est honteux. J'ai toujours pensé que l'Union européenne n'avait de sens qu'avec la solidarité... Il fallait permettre à la Grèce d'emprunter à taux bas : à 1% ça va, à 15% c'est intenable. Ce n'est pas une crise de la dette, mais une crise des mécanismes. Si la BCE avait pu acheter immédiatement des titres de la dette grecque, on n'aurait pas mis deux ans à le faire ! Draghi a eu l'intelligence de contourner les règles de Maastricht... » Barbara Romagnan conclut, lyrique : « Syriza est un parti de gauche anti-austéritaire et pro-européen, on n'a pas le droit de le laisser mourir ».