La vive altercation de deux vice-présidents de la région

Nous avons assisté, en marge de la session budgétaire du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, à une brève et violente empoignade entre Patrick Ayache et Michel Neugnot. Les deux élus ont peu après, d'abord nié puis minimisé l'incident qui témoigne au moins de tensions, sinon de différends politiques, internes à la majorité.

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20 heures 15, jeudi 14 décembre. Réuni à Dijon, le conseil régional vient de terminer l'examen du budget du tourisme. Marie-Guite Dufay suspend la séance. Après la pause de trois quart d'heure, les élus traiteront encore de culture, de sport, de démocratie participative... avant de passer au vote global du budget à 23 heures 15. Il sera voté par les seuls 51 élus de la majorité PS-PRG-DVG, tandis que tous les autres (25 LR-UDI-DVD, 15 FN, 7 Patriotes et 2 non inscrits ex FN) voteront contre.

20 heures 20. Tout le monde est au buffet, sauf quatre personnes qui sont encore dans l'hémicycle : les deux non inscrites, ex-FN, Karine Champy et Valérie Reidl, discutent à leur place au fond de la salle, Michel Neugnot et Patrick Ayache, respectivement premier vice-président et vice-président au tourisme sont debout dans un coin de la salle. Les deux hommes sont en vive discussion près de la porte à double battant qui donne sur le buffet, en bas des rangées de sièges, quand je rentre par la porte la plus éloignée, donnant sur le hall d'entrée, pour traverser la salle puis passer devant les deux femmes.

« Lâche moi, ne me touche pas »

En quelques secondes, j'ai le temps de voir Ayache et Neugnot manquer d'en arriver aux mains. « Lâche moi, ne me touche pas », dit le premier en dégageant son bras que le second a saisi en s'exclamant « c'est une histoire de 100 millions d'euros »... S'apercevant de la présence de témoins, ils cessent leur querelle. J'arrive alors au niveau de Karine Champy qui m'interpelle : « vous avez vu ? Vous avez entendu ? » Je lui demande ce qu'elle a entendu, elle confirme ce que j'ai moi-même perçu.

Après quelques secondes, j'entre dans le buffet, un hall d'environ 150 m2 muni d'un bar et cherche les deux hommes dans la foule. Je les retrouve, l'un après l'autre, et les interroge sur leur différend. « Il ne s'est rien passé », « on n'a pas de problème », répondent-ils. J'insiste, ils se rejoignent et me font face : « Ça ne vous regarde pas ». Je dis : « Quand même, 100 millions, ce n'est pas rien ». Michel Neugnot esquive : « c'est une affaire privée », Patrick Ayache approuve...

On n'en fera pas tout un plat, mais une violente dispute publique entre deux membres de l'exécutif, ça donne à penser qu'il y a au moins un désaccord qu'on aimerait connaître. Après tout, savoir quels débats internes traversent la majorité, comme l'opposition d'ailleurs, est d'intérêt public. La matinée, ça a été un peu la fête à Michel Neugnot, critiqué par la droite pour sa gestion à la hussarde du dossier TER. Même Marie-Guite Dufay, en conviendra en séance : « nous allons nous améliorer ».

Un deal délicat à l'usage

Après la houleuse séance de Montbéliard, le 17 novembre, les langues ont commencé à se délier, certains élus socialistes trouvant que Michel Neugnot a trop de délégations pour un seul homme : outre la première vice-présidence, il a en charge les finances, les ressources humaines et les transports, l'un des plus gros budgets de l'institution. On se souvient que son pilotage de la négociation du régime indemnitaire fusionné des agents de la collectivité a débouché sur des grèves et manifestations qui ont interpellé dans la majorité au point que deux élus se sont abstenus sur le projet lors de la dernière session. Il a même été question que les finances lui soient retirées, mais il a victorieusement résisté... Le deal initial accepté par Marie-Guite Dufay, de lui confier un quasi double des clés du pouvoir, en raison de sa fine connaissance de l'administration régionale bourguignonne, s'avère délicat à l'usage...

Retour jeudi 14 décembre. Quelques instants après avoir entendu les dénégations des deux vice-présidents, nous demandons à la présidente ce qui peut opposer les deux hommes. « Patrick Ayache est un jeune élu », répond-elle... On sourit : à 65 ans, l'ancien directeur général des services de la ville de Besançon n'a rien d'un débutant en politique. Même s'il a plus souvent été un acteur de l'ombre, de par ses fonctions, qu'un habitué des projecteurs, il les a rarement fuis. La présidente en convient, mais souligne justement la différence entre l'expérience des dossiers et celle d'élu...

On comprend aussi que Patrick Ayache a un côté un peu techno qui agace certains. N'empêche, il tourne rarement autour du pot, parle clair, est précis, assume des choix, même s'ils sont controversés. Quant à Michel Neugnot, elle redit en substance ce qu'elle a souligné en séance : « il est victime de la charge qu'il a sur les épaules... » Est-ce un message venant du fin fond des discussions internes à un PS en miettes, et refaisant surface ?

« Des données que la SNCF refuse de nous communiquer... »

On ne saura par exemple pas si Ayache et Neugnot s'écharpaient sur les transports, la fameuse convention TER dont la négociation avec la SNCF semble avoir contrarié le second sans qu'il en fasse état, même en commission des transports. « Si cette convention est signée, il faut qu'elle nous soit communiquée », a ainsi dit lors du débat le président de la commission des finances, le sénateur Alain Joyandet (LR). Michel Neugnot a répondu : « si on ne présente pas cette convention, c'est que nous sommes bloqués sur quelques points : il y a rupture par rapport à ce qui se fait dans d'autres conventions ».

Il donne un exemple de la difficulté : « On veut faire une billetterie commune avec les agglomérations, il nous faut donc avoir accès à des données que la SNCF refuse de nous communiquer. Mais le ministre des transports vient d'obliger les opérateurs de transports à communiquer tous les renseignements aux régions... »

Le premier vice-président s'est également vu reprocher, en séance, par Patrick Genre (DVD, maire de Pontarlier), d'avoir failli « provoquer un incident diplomatique » avec le canton de Vaud pour avoir déclaré à la télé suisse que « c'est aux Suisses de payer » pour que les TGV passant par Pontarlier, Frasne et Vallorbe soient pérennisés dans le cadre d'un cofinancement 2/3 Suisse – 1/3 France. « Si on perd les arrêts de Mouchard et Frasne, c'en est fini des relations transfrontalières », a ajouté Patrick Genre dont l'inquiétude a fait sourire Marie-Guite Dufay : « un conflit diplomatique avec le canton de Vaud ! Il n'a jamais été question de revenir sur cette liaison... »

« On me met sur le dos un incident diplomatique,
mais on défend les intérêts de la Bourgogne-Franche-Comté ! »

Genre insiste : « Selon la télé suisse, la région étudierait un retrait... » Dufay : « Je n'ai jamais donné ce mandat ». Neugnot : « Je n'ai jamais fait ça ! On me met sur le dos un incident diplomatique, mais on défend les intérêts de la Bourgogne-Franche-Comté, on n'est pas aux ordres. Pour Belfort-Delle, ça s'est réglé à l'ambassade suisse à Paris... Des incidents diplomatiques comme ça, il y en aura encore. Il y a des groupes de pression lançant dans l'opinion des bruits selon lesquels on se retirerait de telle ou telle ligne... Sur la ligne des Horlogers, les Suisses voulaient des trains jusqu'à Morteau, mais pas les nôtres jusqu'à La Chaux-de-Fonds parce qu'ils veulent des trains avec filtre à particules. C'est réglé, on a l'autorisation jusqu'en 2030, date de l'amortissement du matériel... Il est vrai que ma méthode est parfois de rigidifier, mais il y a des solutions ». L'explication ravit Liliane Lucchesi (PS, Pontarlier) qui se réjouit qu'on « puisse peser pour avoir des trains dont on a besoin ».

Quant à Patrick Ayache, présentant le budget du tourisme, il a lâché une petite phrase que tous n'ont pas entendue : « malgré le retard pris par les deux center parcs, ils restent toujours financés dans notre programmation pluriannuelle jusqu'à 2020. Il est donc inutile de les inscrire au budget 2018... ». Jacqueline Ferrari (Majorité, non inscrite, Jura), opposante aux projets, nous lâche que cela va la faire cogiter. Cela interpelle aussi Pierre Grosset (PS, Jura), également défavorable aux center parcs, qui n'entend pas renoncer à convaincre en interne ses camarades du groupe majoritaire.

Reste qu'Ayache aussi a des responsabilités à rallonge. Comme Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, avait récupéré le tourisme, gros morceau de l'influence française, l'élu bisontin a, outre le tourisme, la charge de l'action européenne et internationale, du contrat de plan, de l'attractivité, de l'export... Il s'est mis en tête de capter une part des touristes Chinois et asiatiques afin de faire pleuvoir – ruisseler ? – sur la grande région des yuans... Ce qui est en parfaite cohésion avec les projets de center parcs et aéroportuaire, moins avec les enjeux climatiques.

 

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