La « lacunaire » politique de protection de l’enfance du Jura

Sommé d'agir par la Chambre régionale des comptes, le Conseil départemental du Jura a fini par adopter un Schéma enfance-famille qui ressemble surtout à un catalogue de mesures obligatoires... et à une rubrique de programme électoral.

La lecture de la quarantaine de pages que le rapport d’observations de la Chambre régionale des comptes au département du Jura consacre à la protection de l’enfance, donne la lourde impression que la collectivité s’est désintéressée depuis plusieurs années de l’une de ses principales compétences. Dans un langage pas toujours diplomatique, la juridiction de contrôle dresse un inquiétant florilège des manquements, retards, omissions ou lacunes à la mise en œuvre de plusieurs dispositifs légaux permettant théoriquement au département de mener une politique en connaissance de cause, et aux professionnels comme aux familles de se sentir soutenus par les institutions.

La chambre publie une carte montrant que le Jura était en 2016, au côté de l’Ain et de la Haute-Saône, parmi les 25 départements où « la proportion des dépenses de fonctionnement affectée à l’aide sociale est la moins élevée ». Au contraire de la Saône-et-Loire qui figure parmi les plus généreux, devant le Doubs et la Côte d’Or. A partir de 2019, le Jura augmente cependant de 7 % son budget d’aide sociale à l’enfance, parallèlement à l’augmentation importante durant deux ans des arrivées de mineurs non accompagnés, autrement dit des jeunes migrants dont les situations sont la plupart du temps tragiques.

La CRC estime « prioritaire » de rédiger un Schéma de l'enfance, le département le vote le 22 mars

La fin du mandat précédent, sous la présidence de Christophe Perny (alors au PS), avait pourtant vu la mise en place d’un « ambitieux » schéma départemental de l’enfance 2014-2018 qui avait cependant oublié de chiffrer financièrement les actions à mettre en place. Et l’actuel mandat finissant, présidé par Clément Pernot (LR), n’aura pas permis de « suivi et d’évaluation » de ce schéma.

Du coup, la Chambre régionale des comptes, s’appuyant sur « le caractère très lacunaire du bilan réalisé et du temps écoulé depuis le terme du précédent schéma » se permet d’ « estimer que les travaux de préparation et de rédaction du prochain schéma présentent un caractère très prioritaire ». C’est une façon quasi comminatoire d’ordonner au département d’agir, comme s’il n’avait rien fait, laissant les acteurs de la protection de l’enfance se débrouiller au jour le jour.

Car les maux dont souffrent ce secteur, pas seulement dans le Jura, sont douloureux. Et les mots de la CRC sont sévères. Elle parle, on l’a vu, de « bilan lacunaire » à propos du Schéma départemental de l’enfance,. Elle note l’absence de nomination de médecin-référent pour la protection de l’enfance. Elle déplore le « retard dans la mise en place des outils de suivi du parcours de l’enfant protégé » alors que la « formalisation d’un projet pour l’enfant (PPE) est obligatoire » depuis la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance, rappelée par la loi de 2016. Et si les PPE ont commencé à être mis en place en 2018, ils restaient « toujours en phase expérimentale » début 2020 avec seulement 39 PPE formalisés.

La longue liste des actions qui « restent à réaliser »

Autre « lacune » relevée par l’institution : « la commission pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle chargée d'examiner la situation des enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance depuis plus d'un an lorsqu'il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l'enfant paraît inadapté à ses besoins et la situation des enfants de moins de deux ans » n’existe pas bien que figurant en bonne place dans le Code de l’action sociale et des familles afin d’ « assurer le suivi et la continuité des interventions mises en œuvre au titre de la protection de l’enfance ».

En conséquence, la CRC forme la recommandation de « mettre en place le projet pour l’enfance et la commission pluridisciplinaire ». Clément Pernot a compris le message dès le stade des « observations provisoires » et pris le 15 octobre 2020 un arrêté déterminant la composition de l’Observatoire départemental de la protection de l’enfance. Quant au PPE, le projet pour l’enfance, il figure dans le Schéma départemental de l’enfance et de la famille, voté par l’assemblée départementale le 22 mars dernier, dans la longue liste des actions qui « restent à réaliser ». Parmi celles-ci, on trouve le « bilan des PPE », mais aussi un « guide des acteurs de l’enfance décliné par territoire », les projets de recruter un orthophoniste et une sage-femme à Lons-le-Saunier pour adapter le nombre de professionnelles au nombre de naissances, la mise en œuvre d’un pole ressource interprofessionnel de la protection de l’enfance, la création d’un règlement départemental des jeunes majeurs...

Un centre maternel et parental, des formations pour les assistants familiaux, des places d'accueil pour jeunes... à l'horizon 2025

Réponse à la Chambre des comptes, cet inventaire montre ce qui n’a pas été fait et aurait dû l’être. On doit aussi lui ajouter plusieurs actions non entreprises figurant en toutes lettres dans le nouveau Schéma départemental de l’enfance et de la famille, que l’on peut comprendre comme devant l’être d’ici 2025 : la création d’un centre maternel et parental, la mise en place de formations pour les assistants familiaux, la création de places d’accueil pour « jeunes à besoins spécifiques et jeunes en errance », le développement de bail glissant pour l’accès au logement autonome, etc.

En préambule de ce document ressemblant à un catalogue de mesures, à prendre ou déjà existantes, Clément Pernot assure que le Schéma sera sa « feuille de route ». On comprend dès lors que cette réaction aux remontrances de la Chambre des comptes peut tout à fait faire figure d’élément de programme pour les élections départementales de juin.

L'absence de chefs à l'origine des problèmes ?

Le président du département avait aussi contredit – pour la forme - la CRC en préambule de sa réponse au rapport d'observations (ici, page 117), indiquant par exemple qu’un bilan de 2016 que celle-ci réclamait, lui avait été envoyé en 2019 ! Il expliquait aussi que les difficultés et retards venaient notamment de problèmes de ressources humaines, la direction enfance-famille du département a ainsi été sans directeur pendant près d’un an en 2018-2019. Or, elle chapeaute l’Aide sociale à l’enfance, le Foyer départemental de l’enfance et la Mission Jura enfance à protéger qui recueille notamment les informations préoccupantes.

Le Foyer de l’enfance s’est lui aussi retrouvé sans directeur durant un an. Cela n’explique sans doute pas totalement pourquoi il n’avait plus de projet d’établissement ni commission de surveillance, pas de règlement intérieur ni de fiches de postes ou de salle de repos pour les employés, pas de lieu dédié à l’accueil pour les familles... Ce dernier point illustrant par exemple les déplorables conditions de travail et d’accueil : cette absence ayant pour effet l’interruption de la prise d’un biberon par un bébé à l’arrivée de quelqu’un...

Sommée d’agir la collectivité a créé 3,5 postes en 2019, entamé la rédaction d’un règlement intérieur, transféré à des associations les placements éducatifs à domicile que le Foyer ne pouvait plus assumer et pour lesquels un service de 75 places est en projet.

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