La gauche bisontine débat bilan, analyse et stratégie

C'est encore tôt pour préparer les élections municipales de 2020 (ou 2021), d'autant qu'il y aura les européennes avant. Mais alors que la majorité municipale tangue comme jamais, ce n'est pas trop tôt pour discuter, y compris publiquement, d'accords et de désaccords. C'est ce qu'ont fait mercredi 25 avril des militants PCF, LFI, Génération.s, PS et EELV.

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On pourrait résumer par le petit bout de la lorgnette les près de trois heures du débat entre cinq personnalités de la gauche bisontine, mercredi 25 avril dans la petite salle Haag du quartier de Montrapon, auquel une petite cinquantaine de personnes a assisté. On pourrait relever par exemple que Claire Arnoux a lâché « il n'y aura jamais de convergences entre la France insoumise et le PS », avant de modérer son propos une heure plus tard en réaction à quelques critiques en forme de procès en sectarisme : « si un jour le PS redevient de gauche, on en reparlera... »

Autrement dit, pas question d'insulter l'avenir. Reste que la question même d'un avenir, en l'occurrence un avenir municipal après les élections de 2020 (ou 2021), se pose pour la gauche à Besançon, au-delà des petites phrases. La défection de treize élus municipaux, dont, excusez du peu, le maire Jean-Louis Fousseret et le député Eric Alauzet, passés à LREM, donc à droite pour beaucoup, n'en finit pas de créer des remous au sein de la majorité PS-PCF-EELV élue en 2014.

Et si les trois groupes de gauche et deux non inscrits restent théoriquement majoritaires avec 28 élus sur 55, nombreux sont ceux qui s'interrogent sur la réalité de l'ancrage à gauche de plusieurs élus restés au groupe socialiste. Il suffit aussi de voir avec quelle déférence le PS bisontin demande à Danièle Poissenot, adjointe LREM à la sécurité et présidente de la Saiemb, d'effacer la dette de Sol-Mi-Ré, pour réaliser à quel point le parti est fragilisé. Ne serait-ce qu'idéologiquement lorsqu'il évoque dans une lettre du 8 avril les « conditions illégales dans lesquelles l’association a occupé le local commercial qui vous appartient » et considère l'expulsion « totalement justifiée ».

Sourire ensemble dans la même direction ? Enfin presque...

C'est donc dans ces douloureuses circonstances que l'association EDGEEspace de dialogue des gauches et de l'écologie a pris l'initiative de ce débat. « Chacun n'ira pas tout seul dans son coin. Si on veut que la gauche revienne au pouvoir, il faut être ensemble », explique d'emblée Michel Chopard. Comme on n'en est pas à construire un programme municipal, il rappelle que « l'objectif est d'abord de débattre » de la transition écologique, sociale et démocratique, qu'on est plutôt, dans l'immédiat, dans la logique d'une « réflexion pouvant déboucher sur une vision commune ».

« On n'ira peut-être pas au bout du mandat... »

N'empêche, la perspective est là. Il demande à chaque orateur un « bilan local » de la politique municipale, de poser des « enjeux et de priorités » puis de parler « action et stratégie ». Si ce n'est pas une méthode pour anticiper les prochaines élections municipales, commencer à s'y préparer, ça y ressemble quand même bigrement. Claire Arnoux dira qu'elle n'est « pas venue pour répondre à des questions de stratégie municipale », soulignant notamment que les élections européennes, qui arrivent avant les municipales, peuvent faire bouger bien des lignes.

Mais avant ces deux échéances, il reste à aller au bout de l'actuel mandat. Cela n'a rien d'une sinécure quand on entend Anne Vignot, adjointe EELV à l'environnement, expliquer que « la ligne rouge est peut-être en train d'être passée : on n'ira peut-être pas au bout du mandat, mais si je m'en vais, je laisse la place à qui ? » Adjoint PCF aux relations internationales, Thibaut Bize estime lui aussi que « la majorité municipale n'est pas sûre de tenir jusqu'au bout ». Mais il renverse les termes de la problématique : « quand démissionneront les élus LREM ? c'est la question principale ».

Récemment élu secrétaire de la section de Besançon du PS, chargé de mission à la CAGB, ancien du cabinet de Fousseret, Pierre Gainet illustre le funambulisme de son parti en usant d'une périphrase à propos des élus passés d'EELV et du PS à LREM : « les différentes options rendent la gestion plus difficile... Le lien reste le programme de 2014. Mais quel serait le gain si la majorité se casse ? Qui remporterait la mise en cas de crise grave ? Ce n'est pas sur un tas de cendres qu'on continuerait... » Avec qui continuer ? Il ne le dit pas...

« L'attitude d'Eric Alauzet et Jean-Louis Fousseret est inadmissible »

Marcel Ferreol, qui fut adjoint de Robert Schwint, a rejoint Génération.s après quatre décennies au PS. Il se focalise sur les « points communs » des débatteurs et pose la question abruptement : « Comment ne pas laisser cette ville à la droite ? La question de comment se parler est donc décisive ». Il semble considérer qu'un point de non retour a été franchi par LREM : « à un moment, il faut se poser la question du moment où les bornes sont dépassées ». Et d'invoquer la question de Sol-Mi-Ré sur laquelle « l'attitude d'Eric Alauzet et Jean-Louis Fousseret est inadmissible ».

Pour Claire Arnoux, l'affaire est entendue : « la politique menée aujourd'hui par la municipalité n'est pas de gauche sur Chaillot, le logement, l'urbanisme, les correspondants de nuit, les migrants... » Elle se démarque de ses co-débatteurs : « je suis la seule à ne pas avoir fait campagne avec Jean-Louis Fousseret », dit ses « désaccords quant au long terme ». Elle regrette que l'agriculture bio n'ait pas été assez encouragée alors que « les collectivités ont un gros pouvoir d'entrainement avec les cantines pour développer des filières bio locales ».

Entrée en politique par EELV, passée par le NPA, mais surtout militante de l'éducation populaire associative, celle qui fut candidate insoumise aux législatives déplore que Besançon n'a « aucune politique de réduction des gaz à effet de serre : on est toujours dans le tout voiture ». Quant aux transports, « Jean-Louis Fousseret n'a pas de volonté de long terme, on est toujours en délégation de service public ».

Dans la même veine, elle estime « aberrante » et « irresponsable » la politique d'urbanisation. Aux Vaîtes avec leurs « trois zones humides » où l'on ne construit « pas un écoquartier, mais un lotissement engagé dans un processus de certification alors qu'il y a tant à faire dans la réhabilitation ». Aux Planches-Relançons où l'on « pousse le front de ville jusqu'à la forêt ». Elle ne démolit pas tout et voit « deux points positifs » dans la gestion des déchets et l'eau en régie publique.

« La métropolisation concentre les activités »

Thibaut Bize insiste sur le contexte budgétaire national de la baisse des dotations aux collectivités : « 27 millions sur trois budgets sous Hollande, c'est trois ans de fonctionnement du CCAS, ou l'équivalent de deux écoles et deux crèches... C'est mensonge de dire que c'était pour réduire la dette, c'était pour financer le CICE ! ». Il critique aussi la « concurrence territoriale » accentuée par la fusion des régions, et sa conséquence : « la métropolisation concentre les activités ».

Dans ces conditions difficiles, il plaide pour la présence communiste dans l'équipe actuelle : « malgré les choix budgétaires, on a réussi à maintenir des services publics, voire en étendre comme l'eau désormais en régie sur l'agglo... Aucune bibliothèque n'a fermé contrairement à d'autres collectivités... Sur le péri-scolaire, on partait de loin, on s'est battu pour la gratuité : les Bisontins paient entre 2 et 11 euros par an quand les Dijonnais paient jusqu'à 3 euros de l'heure... »

Il dit le désaccord communiste sur le bilan de la vidéosurveillance : « ça coûte un million par an et le taux d'élucidation des faits a varié de 0,1% ». Il considère qu'une prochaine bataille à mener est sur le logement public qui permet notamment de travailler sur l'accessibilité et sur l'urbanisme.

L'enjeu : « rester sur la carte de France »

Pour Marcel Ferreol, « l'union de la gauche a un bilan globalement positif depuis 40 ans ». Mais à l'entendre, il est terni par le « problème d'humanité » causé par le traitement des migrants à Besançon, qu'aggrave le vote de la récente loi par les deux députés LREM de la ville, Eric Alauzet et Fannette Charvier. Dans cette veine, il dénonce la « confusion dangereuse pour la gauche » générée par les passages à LREM, dont celui de Jean-Louis Fousseret. 

Inquiet du « séparatisme » qu'il sent à Planoise, son quartier depuis 30 ans, il souligne que Besançon reste « moins inégalitaire » que Dijon.

Pour Pierre Gainet, la « première transition est territoriale » et la « perte du statut de capitale régionale pose la question des grandes infrastructures bisontines : université, tissu économique, CHU... » L'enjeu est ni plus ni moins, dit-il, de « rester sur la carte de France ». Et c'est sur le territoire de l'agglomération, « de Byans-sur-Doubs à Palise, qu'il faut penser l'agriculture locale ».

S'il estime le tram « pas assez grand-bisontin », il entend le « rendre attractif ». Il ne remet pas en cause la « contractualisation » budgétaire qui encadre les dépenses de fonctionnement des collectivités ». Et fait lever les yeux au ciel de Claire Arnoux quand il lâche : « je veux bien qu'on rase gratis, mais on est d'accord sur les enjeux écologiques... » Il fait soupirer l'insoumise en expliquant qu'il faut développer le « travail pédagogique » sur les déchets. Il est le seul à confier ne « pas être contre la vidéosurveillance... si elle réduit les incivilités ».

« Quand on pose des questions aux élus, seuls les communistes répondent... »

Anne Vignot évoque aussi le contexte des réformes territoriales : « c'est si rapide que ça a changé très vite les trajectoires de nos politiques... L'emploi mobilise beaucoup les élus, mais pas de penser autrement le devenir de la ville ». Surtout quand, « pour atteindre l'efficacité énergétique dans les bâtiments publics, il faudrait 10 millions d'euros pendant dix ans » alors que « nous n'en avons pas les moyens ».

Elle pointe un « bilan négatif sur la santé : c'est une politique qui a été négligée et devra être développée ». Elle estime qu'il y a eu un « gros travail sur les mobilités » mais constate qu'on reste loin du compte ». Elle analyse la délicate situation d'une minorité dans une « majorité composite » : « quand les visions sont différentes, les choix ne sont pas toujours là où on les auraient faits, c'est le jeu de la démocratie... »

Vient au tour de la salle de s'exprimer. Militant de la Confédération nationale du Logement, Alain Genot est sévère à l'égard de la tribune où deux élus sont assis : « pourquoi, quand on pose des questions aux élus, seuls les communistes répondent ? Quand on parle de problèmes de vacances, de loyers, ça ne fait réagir personne ! Sur la démolition des 408, nos administrateurs ont voté contre car nos demandes d'intervention pendant des années n'ont pas eu de réponse... A Chaillot, la seule réponse au vote de 80% des habitants contre la réhabilitation proposée, a été la démolition : si c'est comme ça qu'est conçue la concertation, ça pose problème... On a posé les enjeux du passage en régie publique de la chaufferie de Planoise deux ans avant, et un beau jour on nous dit que ce n'est pas possible ! On nous dit qu'on ne comprend rien... Pour changer de méthode, il faut être dans les quartiers. Il faudra des militants sur place. Ecoutez les gens, ça changera les choses... »

« Ne faut pas avoir peur des conflits, sinon ça minore les débats... »

Michel Boutonnet, militant de Sol-Mi-Ré, est remonté, refait l'historique des actes de la ville destinés à invisibiliser les migrants : « les vasques à Chamars, les campements... c'est votre bilan ! » Une femme fait remarquer que l'état d'esprit de la réunion « est à l'échange ». Une autre assure : « des villes ne reçoivent jamais, Besançon si ». Sylvie la contredit, évoque Damien Carême, le maire de Grande Synthe récemment venu à Besançon : « il a réussi à faire ce qu'on n'a pas fait ici... »

Le chemin est loin d'ici les prochaines municipales, mais quelques repères sont glissés dans l'échange. « Avant de savoir comment on fait, la question c'est : où veut-on aller ? Des partis sont dans un tel état idéologique qu'ils sont incapables de le savoir », dit Claire Arnoux, fermement mais sans animosité. Elle se fait remarquer en assumant l'expression des conflits : « il ne faut pas en avoir peur, sinon ça minore les débats... A Besançon, le Front de gauche s'est écroulé quand le PCF a rejoint le PS... »

Thibaut Bize ne répond pas, mais pose quelques petits cailloux : « le logement est la pierre angulaire de l'urbanisme, il ne doit pas être soumis à la spéculation ». Il défend des positions dans l'adversité : « On est les premiers à être venus voir Sol-Mi-Ré ». Dans la salle, l'insoumise Séverine Vézies l'interpelle : « pour quel résultat ? » Il réplique : « Je ne suis pas la présidente de la Saimeb... On est aussi intervenu au Prahda, des cuisines ont été installées... On est pour l'accueil inconditionnel, c'est une bataille de la gauche... »

Pour « la suite » des événements, il entend « partir du contenu » tout en tenant compte des « cultures locales ». Il refuse par exemple « l'alliance FG-EELV de Grenoble qui a fermé des bibliothèques ». Il ferme la porte à une alliance avec LREM en expliquant : « on doit dire dès maintenant sur quoi on ne fera pas alliance. Le premier projet, c'est l'unité avec qui. On n'a pas la réponse tout seuls. Mais attention, aujourd'hui, il y a une majorité de droite à l'agglo... »

Pierre Gainet concède que « les choses sont à reconstruire de notre côté ». Il « entend le message de Claire [Arnoux] qui ne [le] surprend pas, mais c'est bien qu'on puisse discuter quand même... J'ai le secret espoir qu'on puisse réfléchir localement... Mais qui qu'on soit à cette tribune, on ne représente pas une alternative crédible ». Modeste ou désespérant ?

Marcel Ferreol a une certitude : « on reconstruira la gauche ensemble... »

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