Un trio de jazz joue dans la bise qui refroidit le pont Battant ce mercredi après-midi, à quatre jours du premier tour de l'élection présidentielle. Scotchée sur le haut parleur posé par terre, une affiche de la France insoumise. Un peu plus loin, une petite bande d'insoumis distribuant des tracts s'était réfugiée un instant sous l'auvent installé place Pasteur pour se protéger de la grêle... « On est les seuls dehors », assure Claire Arnoux, candidate aux législatives.
A cette heure, peut-être. Mais à voir le renouvellement des affiches d'Asselineau sur les piles du pont SNCF des Glacis, la foison de collages du NPA et de LO sur les vitrines fermées de Battant, on constate que les militants sont de sortie depuis quelques semaines. On en a croisés au hasard, des soutiens de Nathalie Arthaud et d'Emmanuel Macron distribuant des tracts et discutant avec les passants, et même une fois des défenseurs de François Fillon, un peu sur la défensive tant les casseroles écornent l'image d'un champion qu'ils trouvent « courageux ».
Les socialistes qui soutiennent encore Benoît Hamon ont visiblement le moral dans les chaussettes, mais ils ont également affronté la rue. Notamment lorsque la caravane du Hamon tour est passée par Besançon, entre Planoise et l'esplanade des droits de l'homme. « On a eu un accueil virulent à Ile-de-France, des tous pourris, mais ça a été positif de montrer le simulateur de revenu universel aux gens : quand ils voient qu'ils pourraient avoir de 100 à 300 euros de plus, ils sont réceptifs », explique la conseillère régionale Elise Aebisher.
« J'élimine le FN... »
Devant la mairie, un homme descend justement du plateau du simulateur : « je ne comprenais pas ce revenu universel, je touchais l'allocation adulte handicapé, et j'ai compris. C'est plus intéressant que le RSA... » Va-t-il voter Hamon ? « Je ne peux pas vous dire, je vais regarder les programmes de chacun, pas la télé où c'est du blabla. Mais j'élimine le FN... »
Jeune militant effectuant le tour de France pour « expliquer le revenu universel », Fabio explique que c'est bien plus qu'un RSA amélioré : « le RSA est très discriminant, là, on aura 600 euros quand on n'a pas de revenu, puis ce sera dégressif selon le pouvoir d'achat ». Un exemple ? Quelqu'un gagne 1950 euro, il aura 107 euros de complément.
On propose le cas d'une personne seule avec trois enfants et gagnant 4000 euros. Il devrait bien y avoir un petit quelque chose puisque le projet concerne ceux qui ont jusqu'à 2200 euros par personne. Le camarade de Fabio intervient, refuse de faire la simulation : « ça existe très peu ces situations... » Certes, mais on insiste. Résultat : « pas de complément, mais dès que les enfants ont 18 ans, ils touchent 600 euros... »
« Avec la dynamique,
des gens viennent nous voir directement
sans qu'on aille les chercher »
La veille, c'était la caravane de la France insoumise qui faisait halte place Cassin à Planoise, après être passée à la Marjorie à Lons-le-Saunier, et avant de se rendre aux Résidences à Belfort. Ou plutôt l'une des sept caravanes qui sillonnent le pays. A entendre Florian Demory, 24 ans, étudiant en master de Science politique à Lille, on sent la préparation : « On a commencé en 2016 à faire des caravanes dans les quartiers pour inciter les gens à s'inscrire sur les listes électorales. On leur montrait aussi un simulateur de droits sociaux, les gens nous parlaient de leurs problèmes... »
Du coup, les Insoumis qui sont déjà venus, ne sont pas en terrain inconnu. « Avec la dynamique, des gens viennent nous voir directement sans qu'on aille les chercher en porte-à-porte... Des jeunes qui passent en voiture klaxonnent et gueulent JLM ! » En fait, la caravane passée la semaine dernière a quand même été l'occasion de porte-à-porte bien organisés : six groupes de deux, un homme et une femme, un bisontin et un membre de la caravane, ont fait chacun six ou sept cages d'escaliers le matin. « On n'arrête pas, on est à fond, l'accueil est positif », explique la bisontine Fatima Gherbi.
Cette présence qui vient après un travail militant de plusieurs mois commence à payer : « des jeunes qu'on ne connaissait pas sont venus au local prendre des tracts pour les distribuer », explique Florian Demory. Etudiante en science politique à Besançon, Hélène, passée par le PG, explique préférer la France insoumise : « il y a davantage de gens, c'est un mouvement plus ouvert, avec davantage de jeunes, ça change la façon de travailler ».
Fanny, passée du vote FN au vote Mélenchon
Mario Morisi, journaliste et écrivain baroque, est venu de Dole avec son enthousiasme : « cette campagne me rappelle 2005, et même les années 1970... » Autrement dit, le référendum sur le traité constitutionnel européen et... sa jeunesse. José, ancien éducateur, à la retraite depuis peu, est également là : « on a créé un groupe d'appui de la France insoumise à Montferrand le Château, on est neuf, on tracte, on colle, on fait des réunions thématiques autour des vidéos des meetings... »
Ils se réunissent dans un café du village que fréquentent des habitués parmi lesquels Fanny. Vendeuse en recherche d'emploi, elle votait FN jusqu'à ce qu'un dialogue s'instaure avec José. « Mélenchon est plus proche des gens, moins incisif, plus à l'écoute, avec de la bonhomie », explique-t-elle en précisant que c'est « l'afflux d'émigrés » qui la faisait opter pour l'extrême-droite. « J'écoutais mes parents, mon entourage », ajoute-t-elle. La lecture du programme de la France insoumise l'a fait changer d'avis.
Par quel miracle ? Quel a été le déclic ? José explique : « Fanny était cliente du bistrot, amie du patron qui pense plutôt comme nous. Au fur et à mesure, on lui a parlé du programme, on lui a fait lire, sans remettre en cause son vote... Le déclic tient à peu de chose. J'aime bien m'adresser aux gens qui votent FN... Ils votent FN par désespoir... » Fanny était-elle sensible à la dimension français de souche véhiculée par l'extrême-droite ? « Oui, ça m'a parlé un temps... Et dire que mon grand-père est venu d'Italie après la guerre... »
« « Je me suis investi quand ils ont ouvert le local »
A 22 ans, Steven habite Planoise et étudie en BTS. Il était mardi soir parmi les 300 bénévoles ayant contribué à l'organisation du meeting de Mélenchon à Dijon. Une semaine auparavant, il nous expliquait son engagement : « Je suis convaincu depuis plus d'un an, j'avais envie de militer, j'étais allé une fois à une réunion au centre-ville, et je me suis investi quand ils ont ouvert le local de la place Cassin. Et on m'a délégué la responsabilité de la jeunesse de Planoise... »
Assurément, Steven est une bonne recrue pour la France insoumise : « J'ai convaincu beaucoup de mes potes, j'ai réuni mon carnet d'adresses sur des réunions thématiques, avec des jeunes du quartier, pour les live sur Facebook... » Comment lui est venue la conviction ? « Nous étions dans la fatalisme à nous dire que rien ne changera jamais. Et j'ai écouté l'ensemble des candidats, j'ai aimé le discours de Mélenchon, son côté pédagogique, ses autres perspectives que se serrer la ceinture... »
Entre deux âges, voilà Mohamed qui s'installe à une des tables installées par les caravaniers : « il y a une colère réelle, les gens se sentent démunis. Beaucoup ont des compétences, mais ils sont si délaissés qu'ils s'en foutent, ne vont pas voter... » Communiste de 1970 à 1995, Christiane est venue de Vesoul où elle participe à un groupe d'appui : « on tracte sur les marchés et ça marche bien, même à zéro degré cet hiver les gens s'arrêtaient pour discuter ! C'est comme ça que j'ai convaincu un monsieur qui voulait voter FN de voter Mélenchon. Il voulait tout foutre en l'air... »
« Le vote FN est un vote de désolation... »
Christiane poursuit : « Il faut prendre le temps de la discussion. Là, on a essayé de discuter avec des électeurs de Benoît Hamon en leur disant que ce vote n'était plus très utile... J'ai vu un collègue qui avait voté Hamon à la primaire, dégoûté du choix de Marie-Guite Dufay... Depuis quelques jours, on entend, même de la part de gens ayant voté Hamon, que le vote utile c'est Mélenchon... Il y a un mois, des gens voulaient voter Macron pour faire barrage à Le Pen, mais ça ne tient plus... J'ai même vu des gens ayant toujours voté à droite refuser de voter Fillon, dire qu'ils vont s'abstenir... »
Candidate aux législatives dans la première circonscription de Besançon, Habiba Delacour s'active. Elle présente des gens les uns aux autres, raconte les porte-à-porte : « on reste cinq minutes pour dire aux gens de venir à la caravane... Beaucoup ont des problèmes de logements, trop petits, trop grands, insalubres, trop chers... Le travail manque... Depuis qu'on a ouvert le local, les gens sont contents, ils ont l'impression qu'on s'intéresse à eux... Bon, les salafistes et les convertis ne votent pas. Ils attendent que le FN passe pour qu'on se révolte... »
Emmanuel Girod, le secrétaire départemental du PG, prend la parole devant une trentaine de personnes, mais on observant bien, on s'aperçoit qu'on l'écoute au-delà de l'assistance proche : « le seul projet de beaucoup de parents, c'est donner à manger à leurs enfants », explique-t-il, justifiant que l'urgence sociale soit dans le programme. Le syndicaliste Kader explique l'état d'esprit : « ce n'est pas Le Pen que les gens veulent, c'est le changement. Ça cause beaucoup plus qu'en 2012. Ça fait deux mois que les principales conversations tournent autour des élections... Beaucoup de mes amis votent pour la France insoumise, je leur ai demandé de convaincre chacun une ou deux personnes, et ils le font. On récupère beaucoup d'électeurs du FN maintenant qu'on nous connaît... » Ne sont-ils pas racistes, ces électeurs ? « Seulement les militants... Le vote FN est un vote de désolation... »
Ces récupérations d'électeurs perdus participent de la conviction d'Emmanuel Girod que le second tour opposera Mélenchon et Macron...