La fête au « tribunal arbitraire » à Besançon

Près de 600 personnes ont assisté à une conférence militante sur le Grand marché transatlantique qui se négocie entre la Commission européenne et les USA. Philosophie du projet, risques pour les services publics et les collectivités locales, les réunions de ce type se multiplient et ont à chaque fois davantage de succès.

renaudlambert

Un succès espéré après un flop redouté ! C'était « ambitieux » d'organiser la conférence du collectif Stop-TAFTA de Besançon au Grand Kursaal, dit sa porte-parole Claire Arnoux. C'est réussi au point qu'il a fallu ouvrir le balcon. « C'est rare de voir une salle comble comme ça, c'est à la mesure des enjeux », souligne Renaud Lambert, journaliste au Monde diplomatique, qui ouvrait le bal. De fait, 600 personnes, c'est le double de Rennes pourtant plus grande. Au petit jeu des ratios, ce serait proportionnellement moins que 100 personnes venues écouter Frédéric Viale à Lons-le-Saunier le 23 avril, moins que les 150 s'étant déplacées le 20 novembre à Saint-Claude pour entendre Raoul-Marc Jennar venu la veille à Lons, il y a un an à Besançon et Pontarlier.

Le TAFTA, ou Grand marché transatlantique pour Renaud Lambert qui préfère le français, fait se déplacer des petites foules et donne un air de mobilisation comme on en a connu en 1998 pour empêcher l'AMI, l'accord multilatéral sur l'investissement. La mobilisation a lieu dans les salles de réunions publiques, sur internet, dans la rue. Elle vient petit à petit dans les séances des collectivités territoriales.

Pas un tribunal arbitral mais un « tribunal arbitraire »

Juste avant les dernières élections municipales, Besançon avait adopté le 18 février 2014 une motion demandant l'arrêt de la négociation tant que le Parlement ne se serait pas prononcé (lire ici). Après un risible jeu de cache-cache, le Conseil régional a adopté le 4 juillet un texte analogue avec les seules voix des écologistes, les socialistes s'abstenant et la droite ne participant pas au vote.

Dans tout le pays, d'autres assemblées font petit à petit de même. Gevrey-Chambertin en Côte dOr, La Pesse, Reithouse, Les Bouchoux, Les Moussières, Eclans-Nénon et Champrougier dans le Jura ; dans l'agglomération bisontine Dannemarie-sur-Crête et Franois dont les maires étaient au Kursaal ce mardi, le premier, Gérard Galliot, dans la salle, le second, Eric Petit, à la tribune. Il ne dit pas tribunal arbitral, mais « tribunal arbitraire » pour parler du fameux dispositif de règlement des différends qui « siège à huis clos et rend des décisions non publiques », précise Renaud Lambert. Le journaliste dit que seules les multinationales peuvent attaquer les États, mais pas l'inverse. Eric Petit le contredit avec humour : « si, ma commune pourrait attaquer Monsanto en versant 8 millions de dollars ! Mais Monsanto pourrait attaquer une commune qui interdirait les pesticides... »

« Comment exiger que la cantine s'approvisionne localement ? »

Pour Renaud Lambert, les multinationales « foncent » alors que « la crise profonde signe la faillitte du système libéral : à peine avons-nous identifié un départ de feu qu'un autre se déclare ». Il y a le GMT, mais aussi l'ACS, l'accord sur le commerce et les services, qui a pris le relai du défunt AGCS... Pour notre confrère, si l'on peut « rêver que les choses changent en Europe après l'élection de Tsipras, nos amis libéraux rêvent de refiler les cantines scolaires aux grands groupes... Dans le monde dont ils rêvent, Tsipras ou Chavez peuvent arriver au pouvoir à condition qu'ils ne fassent pas autre chose que François Hollande ou Tony Blair ».

Comme pour l'AMI, mis en lumière en 1998 par la presse, le GMT ou l'ACS peuvent être défaits, assure-t-il tout en mettant en garde contre l'anti-américanisme : « le GMT n'organise pas l'affrontement entre les peuples d'Europe et des USA, mais entre les peuples et les élites ». Eric Petit brandit l'article 23 du mandat de négociation qui « supprime les taxes sur les bénéfices ». Il craint pour les pouvoirs communaux : « comment exiger que la cantine s'approvisionne localement, que les marchés publics soient ouverts aux entreprises locales ? L'article 45 n'a pas oublié les communes en permettant que toutes les normes, sociales, environnementales, sanitaires prises par les collectivités puissent être attaquées... Une multinationale a bien demandé à la France un million d'euros pour le retrait d'un permis de gaz de schiste... » 

Déjà en 1922 : « le "vin du Gatt, de qualité médiocre, fabriqué n'importe où et n'importe comment"... »

Judith Fouillard, enseignante et militante syndicale, poursuit : « une université ou une école privée pourrait attaquer un état ou une collectivité pour des subventions à l'Éducation nationale... » selon ce principe, un investisseur privé pourrait réclamer à un état les mêmes subventions que le budget d'un service public. Ce qui signifierait leur disparition.

Tableau noir ? Trop sombre ? « Il faut allumer la lumière pour tuer les vampires ! », rétorque Renaud Lambert. Dans la salle, l'ancien premier adjoint de Robert Schwint, Jacques Vuillemin, invoque la nécessité d'une « mobilisation citoyenne ». L'ancien conseiller régional écologiste Serge Grass rappelle une des premières bataille contre un ancêtre du texte, le GATT, en février 1992 : « on était huit et les médias du monde entier avaient parlé de nous car nous avons distribué du "vin du Gatt, de qualité médiocre, fabriqué n'importe où et n'importe comment"... » 

Le rôle des élus locaux menacé

Pour les orateurs, fréquemment applaudis, la résistance est indispensable. « L'Europe s'est construite sur trois promesses : la paix, la démocratie et la prospérité », dit Renaud Lambert. Les travailleurs détachés vivant au bord des routes subissent la « guerre sociale » ; la prospérité est contredite par la Grèce ; la démocratie par les référendum bafoués. Il conclut sur les médias : « la plupart sont détenus par des banquiers qui n'ont pas intérêt à ce que sortent les informations sur les banques... »

A entendre Claude Girod, une première initiative européenne, apportée au président de la Commission européenne Jean-Claude Junker pour son anniversaire, a eu comme résultat « une espèce de fléchissement ». De nombreux responsables politiques commencent à douter du bien fondé du tribunal arbitral. Et à la base, a-t-elle constaté, « il n'y a pas de clivage droite-gauche sur ce traité. De nombreux élus locaux se disent que leur rôle est menacé ».

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !