La « dette fuschia » se dégonfle

L'audit tant attendu des finances du département du Jura a enfin été présenté avant le débat d'orientation budgétaire. Ses conclusions sont loin des attentes de la nouvelle majorité qui avait fait campagne sur la dette au printemps. Celle-ci a augmenté ces dernières années, mais dès le mandat précédent l'arrivée de la gauche aux manettes en 2011... 

Clément Pernot (LR), président depuis le 2 avril dernier, et Danielle Brûlebois (PS), première vice-présidente de 2011 au 2 avril... Photos d'archives D.B.

Y a-t-il une « dette fuchsia » du Département du Jura ? Fushia, la couleur qu'avait choisie l'ancien président Christophe Perny (PS) pour la communication. Sa majorité a sombré en mars dernier, battue par l'impopularité du gouvernement, par des divisions internes à la gauche départementale, par l'autoritarisme de son leader... et par une habile campagne de la droite sur la dette. Arrivé aux affaires, le nouveau président Clément Pernot commandait un audit au cabinet Klopfer et annonçait qu'on allait voir ce qu'on allait voir. Initialement programmée en juin, repoussée à juillet puis à l'automne, la présentation des résultats de cet audit a finalement eu lieu le 20 novembre.

Mais quelle déception pour ceux qui attendaient des révélations sur l'incurie budgétaire et financière de l'ancienne équipe ! Le taux d'épargne brute du Jura en 2014 est quasiment dans la moyenne nationale : 9,9% des recettes de fonctionnement contre 10,2% pour la moyenne des départements de France. Décrivant ce qu'une collectivité peut économiser sur ses recettes de fonctionnement, l'épargne brute témoigne de sa capacité d'autofinancement pour investir ou se désendetter. Il est pour le Jura juste à l'entrée du seuil d'alerte d'une épargne brute « acceptable » dont le minimum est fixé à 7%. Certes, le Jura avait une épargne brute de 18% en 2011, mais « la courbe est la même dans tous les départements », explique l'auditeur, Vivien Groud. Et comme chacun sait, les finances des départements ont été mises à contribution par l'Etat qui leur a demandé de participer à la réduction de la dette globale du pays...

Mobilisée pour investir, l'épargne brute a baissé

Le second ratio présenté comme déterminant est celui de la capacité de désendettement : elle est passée de 3,6 années d'épargne brute en 2011 à 6,6 ans en 2014, avec une « zone d'alerte » à 8 ans et une zone de danger à 15 ans, seuil à partir duquel les banques ne prêtent plus. Il n'y a rien d'étonnant à cette situation. Le taux d'épargne brute baisse quand on la mobilise pour investir. Or l'ex Conseil général a fait croître ses investissements dès 2009 et les fameux EDAT, les engagements départementaux pour l'aménagement du territoire, instaurés sous la présidence Raquin, quand droite et gauche étaient à égalité. En quelque sorte en cohabitation. Les investissements se sont stabilisés ensuite, lorsque la gauche a pris le département en 2011.

L'augmentation de l'investissement a une autre conséquence : elle a mécaniquement un effet sur la capacité de désendettement qui s'effectue sur une durée d'autant plus longue qu'elle est fonction d'épargne brute qui diminue. Comme elle est passée de 50 millions en 2011 à 27 millions en 2014 et 24 millions en 2015, la capacité de désendettement s'allonge en années. Parallèlement, la part d'autofinancement des investissements diminue, ce qui augmente le recours à l'emprunt si l'on veut garder le même niveau d'investissements. Or, ceux-ci ont culminé en 2012 (71 M€) avant de légèrement diminuer en 2013 (70 M€) et 2014 (60 M€), portant le stock total de la dette de 145 à 181 M€ en quatre ans.

Les recettes de fonctionnement ont crû de 1% par an quand les dépenses courantes augmentaient de 4,5%

Et l'emprunt de 20 M€ voté en septembre accroît cet encours au point de porter la capacité de désendettement à 8,5 années. On reste loin de la limite des 15 ans, mais on s'en rapprocherait vite si l'on continuait sur la lancée des années 2011-2014 qui ont vu les recettes de fonctionnement croître de 1% par an quand les dépenses courantes augmentaient de 4,5%. Plus du tiers de cette hausse a été affectée aux allocations sociales, un quart aux subventions aux associations (passées de 7 à 10 M par an), 15% à la masse salariale et 12% aux transports. Pour éviter une dégradation rapide des indicateurs, le volet prospective de l'audit Klopfer préconise de réduire les investissements à 40 millions par an (au lieu des 76 du programme pluriannuel), et de geler les « dépenses arbitrables », autrement dit les subventions, ou d'augmenter les impôts, ce qui ne serait pas facile en raison du taux historiquement élevé de la taxe sur le foncier non bâti.

Cette option, Clément Pernot la fermera aussitôt lors du débat d'orientation budgétaire qui suit : « les impôts locaux n'augmenteront pas ». Il aurait dû dire : « nous n'augmenterons pas les taux » car le département ne maîtrise pas les bases. En ouvrant la séance, il s'en était pris à la presse locale selon qui il n'aurait pas apprécié les conclusions du cabinet Klopfer, trop tendres à à son goût pour l'ancienne majorité sur laquelle il cogna après la présentation de l'audit : « je regrette qu'il n'y ait pas eu de prise de conscience, c'était une gestion au fil de l'eau où l'on répondait oui au plus grand nombre. La masse salariale a augmenté et on a mis en place des politiques qu'on ne peut pas financer, comme les tablettes... »

Danielle Brûlebois : « il n'y avait pas de loup dans notre gestion »

L'ancienne première vice-présidente, Danielle Brûlebois, voit dans l'audit un peu de baume : « il montre qu'il n'y avait pas de loup dans notre gestion. Le taux de 98% de réalisation montre que le budget n'était pas si mal construit... » Et s'adressant à Clément Pernot, assène : « vous auriez été bien inspiré de tenir compte de l'audit avant d'emprunter 20 millions de plus qui font passer l'endettement global à 206 millions... Face aux perspectives compliquées, votre vision est pessimiste, décliniste. Que faites vous de l'attractivité du pays qui progresse, des prévisions de croissance à la hausse ? »

C'en est trop pour Clément Pernot qui la coupe sans ménagement : « Vous osez décliner la politique du gouvernement, vous faites preuve d'un certain culot. On n'est pas à l'Assemblée nationale... La gestion précédente était coupable... On a dû remettre 750.000 euros au Sdis. Si on ne fait pas d'emprunt, comment on paie Raphaël Perrin qui nous a envoyé une injonction ? » Il fait allusion à une ardoise du département de 800.000 euros au syndicat mixte de la station des Rousses que préside M. Perrin, ancien conseiller général PS, en bisbilles avec Christophe Perny... Ceci étant, entre 800.000 euros et 20 millions, il y a de la marge... Danielle Brûlebois fulmine : « On n'a pas le droit de parler... Vous m'avez coupée... On va s'en aller... »

Marie-Christine Dalloz : « vous n'avez pas bien compris »

La députée Marie-Christine Dalloz (LR) prend aussi la posture de la donneuse de leçons : « Vous n'avez pas bien compris. On aurait dû anticiper... » Il en faut plus pour déstabiliser Jean-Daniel Maire (PS) : « les conclusions de l'audit sont les mêmes que celles de l'audit de 2011... A l'époque, nous avions assumé vos engagements. On avait suivi les recommandations de Klopfer et les investissements sont repassés sous les 70 millions. Vos incantations sont toujours les mêmes et deviennent inaudibles. Sur le Sdis, ce que vous dîtes est faux, son déficit 2014 est lié à une sur-activité imprévue... Il n'y a pas de dette fuchsia »

Clément Pernot poursuit sa charge : « Je vous reproche de ne pas avoir fait apparaître la situation en refusant d'inscrire des dépenses dans le budget 2015, comme dans les budgets précedents. Il manque bel et bien 750.000 euros au Sdis ». En fait, la droite reproche à l'ancienne majorité d'avoir compté sur les budgets supplémentaires pour inscrire ces dépenses. Ce qui relève, dit la gauche, non d'une mauvaise gestion, mais d'« ajustements » à faire en cours d'année. « Les dépenses prévisibles doivent être dans le budget », dit la première vice-présidente Hélène Pélissard.

Clément Pernot : « On arrête d'être organisateur de spectacle »

Après ces échanges tendus, l'obligatoire débat d'orientation budgétaire a été réduit à la plus simple expression : « Après la mauvaise gestion des années précédentes », a insisté le président Pernot, « demain, un certain nombre de politiques ne seront plus possible. Il y aura des protestations, nous devrons être pédagogues : ce n'est pas pour punir. Nous nous adapterons à l'austérité que nous impose le gouvernement... J'ai repris les chiffres proposés par les services ». A sa gauche, le directeur général des services, Bertrand Speck, opine en silence. Il est donné partant, limogé par le président qui ne confirme ni ne dément, mais a embauché un directeur général adjoint pour qui une voiture de fonction a d'ores et déjà été achetée...

En un ultime baroud, les élus de gauche ferraillent encore : « vous n'avez pas de projet... Ne touchez pas à la culture et à l'éducation, ces remparts contre la barbarie et l'obscurantisme », dit Danielle Brûlebois. « Si, celui de de nous concentrer sur nos compétences », dit Clément Pernot en ironisant : « je me demande si je ne vais demander une contre-expertise à l'audit Klopfer dont le rapport n'est heureusement pas calamiteux ». Jean-Daniel Maire analyse l'aveu : « Ça ne vous plaît pas que le cabinet Klopfer n'ait pas conclu que le département était mal géré. Vous avez basé toute votre communication là-dessus depuis huit mois. Je comprends qu'il ait été repoussé, vous avez ainsi pu communiquer plus longtemps. Le débat d'orientation budgétaire devait vous permettre d'expliquer votre politique, mais il n'y a toujours rien et on continue d'attendre ».

« Je vais vous offrir une consultation ORL », réplique Clément Pernot qui répète : « On se concentre sur nos métiers, on arrête d'être organisateur de spectacle, on va proposer les compétences du département aux communes, communautés de communes et à la région ».

Le président change, pas le concours d'autoritarisme...

 

 

 

 

 

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