La crainte du déclassement enflamme le conseil municipal de Besançon

La réorganisation des services de l'Etat qui se cache derrière la fusion des régions génère la crainte de perte de directions au profit de Dijon parmi de nombreux élus bisontins. Lundi soir, les esprits se sont échauffés et le maire a décidé une suspension de séance

Philippe Gonon (UDI) et Jean-Louis Fousseret pendant la suspension de séance décidée par le second après une sortie du premier

Cela fait pas mal d'années que la ville de Besançon projette de transformer la friche SERNAM, à l'est de la gare Viotte de Besançon, en « programme immobilier tertiaire d'excellence d'ampleur régionale ». Parallèlement à l'arrivée du tram et aux travaux de la gare, désormais accessible des deux côtés, la SNCF s'est engagée à céder le terrain à la ville et des études ont conclu à la faisabilité d'un aménagement de 16.000 à 18.000 m² de bureaux.

Pour l'heure, il est question de réhabiliter la halle du SERNAM, de lui adjoindre deux extensions et un bâtiment neuf. L'Etat envisage d'en louer une partie afin d'y regrouper certains de ses services aujourd'hui éparpillés dans la ville, et d'y installer 800 fonctionnaires. Au regard des incertitudes qui entourent la configuration de la fusion des régions et des services de l'Etat, le conseil municipal s'est offert un débat montrant bien la nervosité des élus à l'approche des échéances. Et surtout des décisions que prendra l'Etat à propos du partage des directions régionales avec Dijon.

Catherine Comte-Deleuze (UDI) a « exprimé [ses] doutes » au vu de la « dérisoire clause de désistement de l'Etat » dans le projet de protocole d'accord que celui-ci doit passer avec la Ville, et que le conseil devait autoriser le maire à signer. « Avec le préfet préfigurateur à Dijon, l'Agence régionale de santé à Dijon, la présidente de la COMUE à Dijon..., Besançon va perdre des directions de l'Etat et nous assistons sans broncher à une razzia... Il va falloir sortir le casque lourd et la trousse à pharmacie ». Et même, ajouta Philippe Gonon (UDI) qui n'avait pas la parole, « un casque suisse ».

SNCF, Poste, EDF : deux motions pour la « défense » et « l'avenir » des services publics
Fermeture de la boutique SNCF du centre-ville  qui accueille près de 300 personnes par jour et génère 2,7 millions de chiffre d'affaires annuel, fermeture du centre de tri du courrier entraînant un accroissement du délai d'acheminement, fermetures des boutiques EDF du centre-ville et de Planoise... Autant de projets qui viennent assombrir le front de l'emploi et font dire aux élus PCF que 300 emplois sont en cause. Leur motion de « défense des services publics » a été votée par les élus PCF et EELV sauf Eric Alauzet qui, comme les socialistes, s'est abstenu tandis que centre, droite et extrême droite ne participaient pas au vote.
Toute la majorité municipale a en revanche voté la motion présentée par le maire sur « l'avenir des services publics » faisant état des projets de la SNCF et de La Poste dans des termes très proches. Jean-Louis Fousseret a expliqué avoir écrit avec Marie-Guide Dufay au directeur de la Poste que son projet était « en l'état inacceptable ». Il va réécrire au président de la SNCF qui n'a pas répondu à un premier courrier : « supprimer une boutique qui fait 2,7 millions, c'est de la connerie ».

Fousseret : « Ce cinéma est inacceptable, nous ne sommes pas des clowns ! »

La réaction de Jean-Louis Fousseret fut immédiate, brutale : « Je suspends la séance. Ce cinéma est inacceptable, nous ne sommes pas des clowns. Moi, je me bats, vous, vous êtes en campagne permanente ». Les élus en profitèrent pour se dégourdir les jambes, s'aérer, voire faire quelques moulinets avec les bras. Il faisait très chaud et pas seulement à cause du débat.

Après quoi, le débat qui suivit montra l'étendue des dégâts provoqués par la réforme territoriale et la concentration des directions régionales de l'Etat qui se cache derrière. Jean-Louis Fousseret brandit le compte-rendu du conseil des ministres du 22 avril : « Quand il dit que les directions ne seront pas forcément implantées au chef-lieu quand il y a de bonnes liaisons, j'ai le sentiment d'être entendu. Quand il évoque une logique d'équilibre des territoires, c'est ce que j'ai dit dans une lettre de l'association des maires des grandes villes à Hollande, Valls et Cazeneuve, que j'ai signée avec Apparu, Rossinot, Moudenc... » Il cite à dessein des maires de droite pour avoir le soutien de l'opposition municipale. « La désignation de préfigurateurs ne signifie pas que les services seront à Dijon : vous n'en savez rien et moi non plus. La loi sur le siège de la capitale régionale dit qu'il faut les trois cinquièmes des votes, or les Bourguignons n'auront que 57 sièges sur 100, cela laisse de la place à la discussion... »

Pascal Bonnet : « Vous êtes confronté à une réforme bâclée qui a supprimé une réforme déjà votée... »

Pascal Bonnet (UMP) détend l'assemblée en annonçant troquer le casque pour... un bonnet. Il rassure le maire : « on n'a jamais douté de votre engagement à défendre la ville. Mais vous êtes confronté à une réforme bâclée qui a supprimé une réforme déjà votée... Vous avez été seul au départ à défendre Besançon, quand Marie-Guite Dufay était trop confiante. La jurisprudence de Normandie plaide pour le maintien du siège du conseil régional à Besançon si la préfecture est à Dijon. C'est à cela qu'on jugera du poids que vous avez, si on évite que les deux instances soient à Dijon ».

Jacques Grosperrin (UMP) reproche à Jean-Louis Fousseret un double discours : « ce n'est pas bien de dire à Paris que c'est une bonne loi et ici qu'on va se battre... J'entends déjà les agences immobilières de Dijon démarcher les Bisontins ». Le maire se défend : « J'ai dit au ministre de l'Interieur que le bien fondé de la réforme n'était pas à remettre en cause... Arrêtez de dire que les gens cherchent des maisons à Dijon, arrêtez de faire peur quand l'Etat valide 800 personnes ici. Où logerait-on ces fonctionnaires, habitat et bureaux ? Ce qui est en cause, ce sont les fonctions de commandement, quelques dizaines ou centaines d'emplois, pas le gros des troupes de fonctionnaires ! »

Christophe Lime : « On oublie la politique d'austérité et la baisse des dotations de l'Etat »

Philippe Gonon assure lui aussi le maire de son soutien : « j'étais à Dijon quand les Bourguignons ont dit "nous avons fait la grande Bourgogne". Nous nous sommes levés et sommes partis ». « Vous avez bien fait », approuve Fousseret, « si certains Bourguignons pensent tout avoir, je sais ce que m'a dit le ministre de l'Intérieur : ça se décidera dans son bureau avec Hollande et Valls... » « Et Rebsamen ! », entonne-t-on dans les rangs de la droite. « Non », rétorque le maire, « le compte-rendu du conseil des ministres ne dit pas la même chose. Qu'il y ait une volonté des Bourguignons de tout récupérer, c'est clair, mais ils ont face à eux la présidente de région et moi ».

Christophe Lime (PCF) n'avait pas prévu de s'exprimer sur le sujet, mais intervient pour qu'on n'oublie pas l'analyse de la gauche radicale : « on n'est pas favorable à la réorganisation. On oublie la politique d'austérité et la baisse des dotations de l'Etat : si on conjugue les deux, les régions sont les collectivités qui seront le plus en difficulté. Ni Besançon ni Dijon ne sera gagnante car il y a un abandon des directions de l'Etat ». Eric Alauzet (EELV) veut voir dans le fait que le recteur de Besançon soit préfigurateur « un signe clair du partage : il faut un partage équitable des huit directions, sinon ce serait un signe de méfiance. Les Bourguignons n'ont pas intérêt à avoir une Franche-Comté qui traine les pieds... »

Jean-Louis Fousseret ressort un argument qu'il estime avoir fait mouche dans les esprits des énarques et des cabinets parisiens : « c'est plus facile de faire Besançon-Dijon que Bercy-La Défense... Il peut très bien y avoir un préfet dans une ville, et la DREAL dans une autre. La proximité des deux capitales favorise cette solution ». Laurent Croizier (MoDem) revient sur la question de Catherine Comte-Deleuze restée sans réponse : « l'incertitude de la répartition ne rend-elle pas incertain le pôle tertiaire ? » Fousseret réplique : « L'idée est de regrouper en un seul lieu des établissements éparpillés. On est obligé d'anticiper pour que le projet avance... Mais si le protocole n'est pas signé, l'Etat pourrait remettre en cause la présence de 800 fonctionnaires à Besançon ». Jacques Grosperrin n'est pas convaincu : « on n'a pas assez de garanties... » La droite et le centre votent contre, puis se ravisent et s'abstiennent. « Pour vous défendre », dit hors micro Pascal Bonnet...

 

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