Le préfet du Jura Richard Vignon est-il juridiquement à l'aise avec les responsabilités démocratiques de sa fonction et la problématique des libertés publiques ? La question se pose avec plusieurs de ses interventions et décisions. Ainsi, le 28 février 2019 lors de la session d'installation de la Chambre d'agriculture, il compare les associations de défense de l'environnement à des « associations d'attaque qui sont un fléau ». Succès garanti dans son auditoire, gêne et consternation parmi ceux qui comptaient sur la neutralité de l'Etat.
Invité par Le Progrès à commenter le succès de la saisine de la CNIL par le militant libertaire Julien Da Rocha à propos d'une convention entre la Ville de Lons-le-Saunier et l'Etat sur la vidéo protection, il le disqualifie en le traitant de délinquant. Il faisait référence à une décision du tribunal judiciaire imposant à Da Rocha de libérer l'ancienne gare routière, inoccupée depuis des années, qu'il avait squattée pour établir un lieu d'accueil pour gilets jaunes, un peu pompeusement baptisée « maison du peuple ». Ce dernier envisage une action en diffamation.
Le préfet du Jura avait provoqué un tollé avec un arrêté du 3 avril dernier interdisant notamment tout accès aux forêts et sentiers de randonnée en raison du confinement, avant de rétropédaler sur les réseaux sociaux. Puis d'ajouter dans un nouvel arrêté pris le 15 avril que les interdictions qu'il édictait étaient nuancées par n'empêchaient pas d'aller en forêt ou sur les sentiers jusqu'à un kilomètre de chez soi dans la limite d'une heure par jour. Ce qui faisait réagir dans un entretien à Factuel Evelyne Sire-Marin, conseillère juridique de la Ligue des droits de l'homme qui avait attaqué l'arrêté initial, en ces termes : « ce nouvel arrêté est légal et totalement inutile… » En gros, ce n'est pas la peine de prendre un arrêter expliquant que les dispositions nationales s'appliquent à la forêt…
Un arrêté mal rédigé
Tout récemment, c'est l'arrêté du 15 mai (et publié après coup sur le site internet de la préfecture) interdisant « toute manifestation ou rassemblement revendicatif le 16 mai de 12 h à 20 h » dans un périmètre bien précis de Lons-le-Saunier, qui pose problème. Notamment quand son troisième considérant stipule que « le département du Jura constitue bien une zone de circulation active du virus [Covid-19] ».
Or, si le département est bien en zone rouge sur la carte établie par Santé publique France qui synthétise les trois indicateurs de « tension hospitalière sur les capacités de réanimation », de « taux de couverture des besoins en tests » et de « circulation active du virus », c'est parce qu'il est en rouge sur le premier motif. Mais il est en vert sur les deux autres. Et donc pour la « circulation active du virus ».
La rédaction de l'arrêté n'est par ailleurs pas très claire. Notamment quand il constate un « appel à manifester lancé sur les réseaux sociaux le samedi 16 mai »… Il y a bien un appel à manifester le 16 mai, mais il a été lancé sur les réseaux sociaux quelques jours avant ! Le même alinéa mélange aussi des motivations aussi distinctes que l'impossibilité pour la police de mettre en oeuvre les « conditions de sécurité suffisantes » ou l'absence d' « organisateur identifié en capacité de de garantir la maîtrise du nombre de participants, du respect des gestes barrières et de la distanciation sociale et d'empêcher la participation de personnes extérieures susceptibles de perturber le rassemblement ».
Le rassemblement ne devait pas réunir grand monde
Il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir que ce rassemblement n'aurait pas une grande affluence. L'un des militants ayant relayé l'appel en nous en informant, nous l'a explicitement indiqué : il ne s'attendait pas à réunir plus de quelques dizaines de personnes, nous précisant que les gestes barrière devraient être respectés, et que l'important était d'être visible. Et puis, s'il le fallait, le terme même de « mini festation » montre que ce qui était programmé était un « mini » événement…
Les rédacteurs de l'arrêté font mine de croire, ou de faire croire, que les organisateurs, des gilets jaunes et des militants de gauche (LFI) et d'extrême gauche (NPA), sont totalement inconnus. Certes, la « mini-festation » n'a pas été déclarée, mais nombre de rassemblements bien plus fréquentés ne l'ont pas été ces derniers mois. Quant aux agents provocateurs pouvant venir le perturber, on sourit tant les manifestations lédoniennes sont bon enfant. Les perturbations, si on peut employer ce terme, étant uniquement des écarts avec les parcours prévus…
Bref, cette interdiction était aussi saugrenue qu'inutile, voire dangereuse pour l'expression des opinions dans une société démocratique. C'est ce qu'ont dit, en des termes extrêmement mesurés, un collectif citoyen local, le PCF, EELV et ATTAC-Jura. On ne fera croire à personne qu'il était nécessaire de placer en garde à vue une nuit durant deux contrevenants à un arrêté aussi mal ficelé. D'ailleurs, ce n'est pas pour violation de l'arrêté qu'elles ont été interpellées puis présentées au parquet, mais pour ne pas avoir obtempéré aux sommations de dispersion scandées par haut-parleur par la police. On ne fera croire à personne que vingt ou trente manifestants sont une menace susceptible de fomenter les « troubles à l'ordre public » que le préfet entendait « prévenir efficacement » en prenant une mesure d'interdiction.
N'empêche, les deux gardés à vue se sont vu « proposer » par le parquet une reconnaissance de culpabilité assortie de travaux d'intérêt général moyennant quoi ils ne seront pas poursuivis. Leurs soutiens ont annoncé qu'ils ont accepté ces TIG. Reste que ces condamnations symboliques seraient cocasses si l'arrêté préfectoral venait à être annulé par la justice administrative. Certes, ils n'ont pas été poursuivis pour violation de cet arrêté, mais refus d'obtempérer. Or, sans interdiction de rassemblement, une sommation de dispersion n'aurait aucun fondement légal.
Le tribunal administratif sera-t-il saisi d'une demande d'annulation ? Si tel devait être le cas, et sans préjuger de la décision des magistrats, ils auraient au moins de quoi relever les erreurs factuelles et errements linguistiques d'un texte à la légalité douteuse. A moins qu'il n'ait seulement été le prétexte de montrer les muscles de l'Etat au risque du ridicule...