Jura : la fragmentation de la gauche fera-t-elle les affaires de la droite ?

La droite est favorite pour garder un département qu'elle avait récupéré en 2015 après un peu glorieux intermède socialiste. S'il y a candidature unique de la gauche dans 14 des 17 cantons, laissant penser à une union tacite, elle n'a pas su présenter de candidat face au président sortant, Clément Pernot, à Champagnole. Elle a aussi échoué à s'unir sur un programme et ni EELV ni LFI n'ont signé la charte paraphée par le PS, le PCF et Génération.s. Et les difficiles discussions entre partis ont débouché sur la démission de la secrétaire fédérale du PCF...

La probabilité semble grande que le conseil départemental du Jura reste à droite. Présidée par l’ancien maire de Champagnole Clément Pernot, également président de la communauté de communes Champagnole-Nozeroy-Jura, la majorité départementale détient 14 des 17 cantons depuis sa victoire de 2015 sur la majorité de gauche qui n’aura duré qu’un mandat. A part sur la culture, l’assemblée présidée de 2011 à 2015 par Christophe Perny (PS à l’époque) n’aura pas laissé un bilan impérissable, ne serait-ce avoir par exemple remis à niveau de l’aide personnalisée d’autonomie pour les personnes âgées. La mesure figure aujourd’hui dans le programme des candidats de gauche qui ont sans doute constaté l'anomalie, l'injustice sociale, que représentait une différence de prise en charge horaire de l'ordre de 5€ avec le Doubs, laissant un reste à payer difficile à assumer pour nombre de familles.

Christophe Perny avait déploré la destruction de la gauche française par Manuel Valls. Il a pour sa part largement contribué à la décrédibiliser dans le Jura, par sa gestion autoritaire ou le soutien au projet de center-parc de Poligny, aujourd’hui « enterré » si l’on écoute le premier fédéral du PS, le jeune conseiller régional Willy Bourgeois. Enfin, Christophe Perny n’aura été pour rien dans la reconquête par la gauche (EELV-PS-PCF-divers gauche) de la municipalité de Lons-le-Saunier il y a un an.

Du coup, son absence du jeu constitue une première condition pour que la gauche tente de refaire surface dans un département historiquement dominé par la droite, mais jamais de façon écrasante (voir ici les résultats des présidentielles), et où le PCF a moins décliné qu’ailleurs, ayant eu des maires à Lons-le-Saunier (1977-1989), Saint-Claude (1995-2001 et 2008-2014), Poligny (1994-2001) ou encore à Damparis (depuis 1971)...

Les écologistes ont aussi une histoire locale racontant une implantation solide et une spécificité : le premier conseiller général vert de Franche-Comté, Michel Moreau, fit tomber en 1994 le président RPR sortant à Champagnole, mais aussi la première députée verte de la région, Dominique Voynet qui fut également candidate à la présidentielle et ministre du gouvernement de « gauche plurielle » de Lionel Jospin (1997-2002). Le Jura est aussi la terre d’accueil du jeune Jean-Luc Mélenchon qui y obtint des résultats supérieurs à son score national aux présidentielles de 2012 et 2017.

Tous ces ingrédients font que la domination socialiste sur la gauche ne va pas de soi dans le Jura. Et quand le PS tente de passer en force, ce n’est pas forcément bon signe : le député Alain Brune imposa une primaire au maire communiste sortant Henri Auger aux municipales de 1989 à Lons-le-Saunier. S’en suivirent cinq mandats de droite...

Aussi, quand les deux élus départementaux rescapés du naufrage de 2015, Françoise Barthoulot et Philippe Genestier, prirent l’initiative d’inviter tous les partis de gauche en septembre 2020 pour préparer l’échéance qui était alors prévue pour mars 2021, tous répondirent présent : PS, PCF, EELV, LFI, Génération.s, rejoints peu après par Nouvelle donne et Place publique. Ça commençait d’ailleurs plutôt bien : « On s'est vite mis d'accord pour les soutenir et ne présenter personne contre eux », explique Alexis David, de La France insoumise.

Mais la suite de sa phrase augure des difficultés à venir : « On était d'autant plus d'accord que Françoise Barthoulot est proche de Génération.S et Philippe Genestier proche du PC. » Jusque là, on comprend que que c’est tout naturel pour LFI de s’entendre avec les proches de Benoît Hamon, avec qui il y a accord au sein de la liste régionale Le Temps des cerises, et même avec les communistes avec qui LFI discutait préférentiellement à l’époque. Mais Alexis David ajoute : « Ça aurait été différent s'ils avaient été au PS... »

Poligny : le PS sollicite une jeune femme finalement candidate LFI

Ceci étant, PS et LFI chassent sur des terres électorales très proches, sinon communes. La preuve ? Dans le canton de Poligny, les socialistes avaient sollicité la militante féministe Théodora Barreau, 6e d’une liste écolo-gauche alternative aux municipales de Poligny en 2020 pour se présenter avec Jean Auvilain, ancien maire de Saint-Maur et ancien directeur de cabinet de Marie-Guite Dufay. La jeune femme est finalement candidate sous le label Pour demain, un Jura vert, humaniste et populaire porté par cinq équipes cantonales soutenues par LFI qui se présente en nom propre dans deux cantons.

Reste que PS et LFI ont bien du mal à avoir des relations ne serait-ce que polies. « Il y a un problème de personnes entre Alexis David et Willy Bourgeois. Alexis a eu des propos frisant l’incorrection vis à vis de Willy », déplore le négociateur du PCF Dominique Longchamp. Quand on interroge les intéressés, l’Insoumis reproche au socialiste d’avoir « dit être libéral et ne pas comprendre qu’on ait un problème avec ça. Il n’a pas voulu inclure la défense des services publics dans la charte ». Lequel nous assure : « Je me demande comment avoir été un collaborateur d’Arnaud Montebourg ferait de moi quelqu’un de trop libéral. »

La démission de la secrétaire fédérale du PCF après un « souci interne »

Dominique Longchamp confirme un brin désabusé la querelle idéologique : « On a aussi eu des échanges sur ce sujet [du libéralisme]. Les uns et les autres ont des lignes différentes que nous acceptons, dont nous sommes au courant. Mais dès le moment où nous sommes autour de la table, on accepte la discussion. On peut faire un parallèle avec le niveau national où il y a nécessité de rassembler la gauche : ils ont le même comportement aux départementales... »

Il y a aussi l’affaire de la charte. Au final, le 19 mars, elle n’a été signée que par le PS, le PCF et Génération.S. Pas par EELV et LFI, Alexis David affirmant qu’une autre version a été signée par tous les partenaires quinze jours auparavant, mais qu’elle est devenue caduque du fait de la signature à trois. Il souligne aussi que le PCF avait mandat de signer avec tous ou avec personne. « C’est lui qui le dit », rétorque Dominique Longchamp. L'épisode a cependant débouché sur le retrait de la délégation communiste de Nelly Faton, adjointe à Lons-le-Saunier, qui a démissionné de son mandat de secrétaire fédérale du PCF. « Il y a eu un souci interne », lâche Dominique Longchamp.

Quoi qu’il en soit, cette charte à trois signataires a débouché sur un accord programmatique et des candidatures d’union PS, PCF, Génération.s avec parfois le soutien et/ou la participation d’EELV dans neuf cantons. De son côté LFI est présent dans sept cantons, comme on l’a vu plus haut. S’il y a bel et bien un partage tacite avec binôme unique de gauche dans 14 cantons, il y a concurrence dans deux cantons, réminiscence des municipales de 2020, à Dole-1 et Lons-2. Avec six candidatures, ce canton de Lons-2 fait courir de sérieux risques d'émiettement pouvant déboucher sur une élimination au soir du premier tour, le seuil de qualification pour le second tour, outre les deux binômes arrivés en tête, étant de 12,5% des électeurs inscrits. Un taux que peu de candidats atteindront si la participation est faible, comme c'est à craindre.

Union limitée et soutiens réciproques parcimonieux

Avec cette absence d'accord global, les soutiens aux candidatures de l’autre camp à gauche sont à géométrie variable. EELV ne fait pas de difficulté pour soutenir les candidats LFI : « On n'avait pas de candidat à Poligny, LFI y va ? On est ravi, content qu'il y ait une candidature de gauche », dit Anne Perrin, adjointe EELV au maire de Lons. Les communistes et les socialistes sont en revanche plus parcimonieux en direction de LFI qui le leur rend bien. En réalité, tout dépend des relations locales : dans le Haut-Jura, ça se passe bien entre PCF et LFI.

Ça se corse quand LFI suggère que le PS n’a volontairement pas présenté de candidats à Bletterans et Côteaux-du-Lizon contre les sortants LREM. La députée Danièle Brulebois et Philippe Antoine, qui ont pris soin de ne pas mentionner LREM sur leur profession de foi, Nelly Durandot et Jean-Daniel Maire d’autre part, étaient socialistes au moment de leur élection en 2015 et ont voté le budget depuis : « des gens du PS voulaient y aller », dit Alexis David. « C’est faux ! On n’a pas trouvé de candidats », répond Willy Bourgeois.

Dans ces deux cantons, le premier fédéral du PS semble hésiter entre appeler à « voter contre l’extrême-droite et LREM », donc pour LFI, et laisser « libre choix aux électeurs ». Et le PCF ? « Le candidat LFI de Bletterans m’a demandé si nous le soutiendrons, ainsi qu’à Côteaux du Lizon, j’ai répondu non car LFI n’a pas signé la charte », explique Dominique Longchamp.

Et ce n’est pas tout, il y a aussi de la friture entre EELV et LFI, même si cela semble de moindre intensité : « Avec EELV, on était d’accord sur tout, sur l’aéroport, les grands projets inutiles comme center parc ou la 2x2 voies Poligny-Vallorbe », raconte Alexis David qui poursuit : « C’était un plaisir de travailler avec eux, jusqu’au moment où on a vu que leurs équipes étaient déjà constituées. Sur Authume, par exemple, ils ne voulaient que des partenaires du bloc écolo... »

La droite digère mal la défaite municipale de Lons-le-Saunier

Ce n’est pas beaucoup mieux à droite, en tout cas à Lons-le-Saunier où le camp conservateur doit digérer la défaite municipale et gérer la succession de Jacques Pélissard qui fut maire cinq mandats. Les élus départementaux sortants sont concurrencés par des binômes issus de ce qui fut la majorité de Pélissard. C’est ainsi que Céline Trossat et Christophe Bois, battu aux municipales, voient se dresser face à eux Justine Bréant et l’ancien secrétaire de circonscription LR Richard Fichet, très fâché que le président départemental du parti, Jean-Marie Sermier, ait confié les investitures à Clément Pernot qui n’est pas au parti !

Dans l’autre canton lédonien, le sortant Cyril Bréro – qui a échoué à succéder à Pélissard comme député en 2017 – et son binôme Yoanna Wancauwenberghe sont concurrencés par Nathalie Grandjean et Gérard Grosfilley qui fut adjoint de Pélissard, mais aussi par Agnès Chambaret et le maire de Macornay, Michel Fischer, ancien socialiste passé à LREM...

Dans un seul des 17 cantons jurassiens, Saint-Amour, les sortants ne se représentent pas. Il s’agit de Jean Franchi et de l’emblématique première vice-présidente sortante, Hélène Pélissard, qui dirigea un temps la fédération départementale de LR, et est désormais en bonne place sur la liste LREM pour le conseil régional. Le duo divers-droite Marie-Laure Perrin et Christian Buchot est opposé au binôme divers-gauche Sylvie-Elisabeth Brignone et Philippe Chavanne qui était dans l’équipe qui a emporté la mairie du chef-lieu de canton l’an dernier.

Dans huit cantons, le binôme sortant brigue à nouveaux les suffrages : c'est notamment le cas à Arbois avec la sénatrice Marie-Christine Chauvin et René Molin (droite), à Bletterans (LREM), à Dole 1 avec le maire Jean-Baptiste Gagnoux et Christine Riotte (droite), Poligny avec Christelle Morbois et Dominique Chalumeaux (droite), Saint-Laurent avec Gilbert Blondeau et Françoise Vespa (droite) et Côteaux-du-Lizon (LREM)...

Dans huit autres cantons, un seul des deux sortants remet ça, comme Franck David (divers-droite) à Authume. Le président Clément Pernot (divers-droite) est assuré de sa réélection à Champagnole où son binôme avec Eloïse Schneider est seul en lice. Personne ne viendra contester sur place ce que Françoise Barthoulot appelle son « unique programme consistant à diminuer la dette, au détriment des Jurassiens »...

Un seul sortant se représente aussi à Lons 2 : Cyril Bréro (droite) ; à Moirans, la députée LR Marie-Christine Dalloz se représente, comme Gérôme Fassenet (LR) à Mont-sous-Vaudrey, Maryvonne Cretin-Maitenaz (droite) dans les Hauts-de-Bienne (Morez) où elle sera associée à Sébastien Benoit-Guyod, président du syndicat mixte de la station des Rousses. À Saint-Claude, le maire Jean-Louis Millet (divers-droite, ex MPF) n'est plus associé à Christine Sophoclis mais à Catherine Chambard. Enfin, à Tavaux, Jean-Michel Daubigney (divers droite) ne fait plus équipe avec Chantal Tork mais avec Florence Gay.

Portée par le mauvais vent politico-médiatique, l'extrême droite RN est présente dans neuf cantons : Authume, Dole 1 et 2, Lons 2, Moirans, Mont-sous-Vaudrey, Coteaux-du-Lizon et Tavaux. Pas facile de savoir quels sont les visages de ces candidats : leur nom est en tout petit sur les affiches et profession de foi où figure une grande photo de Marine Le Pen. Même au niveau départemental, on est bien en pré-campagne présidentielle.

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