Gauche de la gauche : l’impossible unité

La porte-parole nationale d'Ensemble, la Toulousaine Myriam Martin, et la tête de file du PCF pour la Bourgogne-Franche-Comté, Nathalie Vermorel, étaient à la même tribune samedi à Besançon pour exhorter à l'union et à l'entrée en campagne de la « gauche de transformation sociale ». Tandis qu'EELV annonce des listes autonomes, le PG regrette l'échec de la réunion de vendredi 2 avec ND, PCF, MRC et Ensemble...

« Le clivage réformisme-révolutionnaire n'a plus de sens », dit Myriam Martin (à g, Ensemble). « Quel que soit le résultat, on proposera à Marie-Guite Dufay d'être sur les mêmes options », dit  Nathalie Vermorel (PCF).  Photos Daniel Bordur

Comment faut-il appeler ces partis de gauche dont la distante s'agrandit de jour en jour avec le PS ? Gauche radicale ? Ce serait oublier le Parti radical de gauche, fidèle allié du PS. Certes, il y est plutôt question de radicalisme que de radicalité, mais tous, dans cette myriade de mouvements, ne se reconnaissent pas dans le terme. Extrême gauche ? Là non plus le vocabulaire n'est pas le bon, même si cela paraît confortable de les y reléguer, voire de les amalgamer très injustement au FN dans ces fameux « extrêmes » dont les médias sont friands. Et si certains viennent de l'extrême gauche, ils disent leur lassitude d'un entre soi souvent vain. C'est ce dont est notamment venue témoigner, samedi 3 octobre à la fête du Front de gauche de Besançon, Myriam Martin, porte parole nationale d'Ensemble. C'est une jeune formation politique constituée de la réunion des Alternatifs et de l'ultime scission du NPA, la Gauche alternative. Ensemble a rejoint le Front de gauche après qu'une première scission du NPA, la Gauche unitaire, l'ait fait.

EELV : une campagne électorale de 80 jours en 80 tweets...
Europe-Ecologie-Les Verts a annoncé samedi 3 octobre à Dijon ses huit listes d'union avec le Mouvement écologiste indépendant : voir ici. Ses têtes de listes départementales étaient déjà connues : voir .
Lors de la conférence de presse, la tête de liste régionale, Cécile Prudhomme, a décliné les trois mots clés de la campagne : « climat, emploi, solidarité », indiquant notamment qu'il n'y a « pas d'écologie politique sans justice sociale », mentionnant notamment les métiers d'aide à la personne dans lesquels il faut investir. Elle a annoncé une campagne numérique de 80 jours en 80 tweets...

« Le NPA conçu comme un mouvement radical de masse est mort. Avec tout le respect que j'ai pour ses militants, il était trop fermé, trop sectaire. On est dans une situation où il faut être responsable, il y a un vrai danger de l'extrême droite », dit Myriam Martin pour expliquer ce repositionnement au sein du Front de gauche qui, bon an mal an, constitue la galaxie la plus attirante à gauche du PS, sinon la plus structurée. « Le clivage réformisme-révolutionnaire n'a plus de sens », ajoute celle qui est numéro deux de la liste d'union EELV-Front de gauche en Haute-Garonne dans la future grande région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. « Les vrais réformistes sont d'ailleurs avec nous, ce sont les gens de la Nouvelle gauche socialiste qui ont rompu avec le PS qui est un adaptateur du système ». Dans cette NGS, on trouve Liêm Hoang-Ngoc qui fut député européen PS de 2009 à 2014, élu du Grand-Est...

« Ne pas jouer la politique du pire »

Prof de français et histoire dans un lycée professionnel de Toulouse, elle constate, avec amertume mais lucidité, l'influence grandissante de l'extrême-droite chez certains de ses élèves : « le discours des jeunes est plus conservateur, moins solidaire, sensible aux théories du complot... Des adolescents sont outrés vis à vis de l'homosexualité, alors qu'il y a dix ans, elle était acceptée... » Ces propos font écho au constat de l'ancien conseiller municipal PS de Besançon, passé au MRC, Frank Monneur, lui aussi prof d'histoire, dans ces colonnes il y a quelques jours... Des militants de Lutte ouvrière nous disaient également rencontrer un pesant silence de la part de gens leur étant proches dans le pays de Montbéliard, quand ils défendent la solidarité avec les réfugiés.

Comment appeler cette gauche hors du PS ? Gauche de la gauche ? Evelyne Ternant, porte parole régionale du PCF de Franche-Comté, parle de gauche de transformation sociale. Ni gauchiste, ni sociale-libérale.Emmanuel Macron est son repoussoir, notamment sa dernière petite phrase selon laquelle le libéralisme serait de gauche, sa loi sur les cars à la place de certains trains, ses positions sur le code du Travail... Le ministre de l'Économie étant le symptôme de la droitisation du gouvernement et de la mise au pas du PS, cette gauche cherche en fait à symboliser toute la gauche. Myriam Martin parle de la « maison commune » que l'alliance FG-EELV de sa région tente de construire. Trois sondages la placent de 14 à 16% alors que le PS serait entre 23 et 21%. « On espère arriver en tête, sinon on discutera d'une fusion technique avec le PS. On a un accord entre nous [composantes du FG] pour ne pas jouer la politique du pire... »

Une fusion technique est forcément politique

Nathalie Vermorel, tête de file du PCF : « J'invite les Francs-Comtois à rééqulibrer la gauche »
Initiative bisontine, l'homage à Ambroise Croizat visait à rendre au ministre communiste la création de la Sécu que l'histoire récente attribue plutôt à son directeur de cabinet Pierre Laroque... En fait, ils y ont travaillé ensemble, mais comme le mentionnent les militants, les lois portent le nom du politique qui les a portées : loi Veil, loi Auroux, loi Debré...
Nathalie Vermorel, pourquoi avoir participé à cet hommage à Croizat ?
Notre combat prends corps aujourd'hui dans le refus de la loi Tourraine. Des médecins généralistes me disent que la Sécu est en train d'être étatisée. Ambroise Croizat avait prévu un système paritaire...
La CSG a commencé à mettre à contribution les revenus du capital...
C'était un rééquilibrage. Le patronat ne veut pas payer ses cotisations et l'Etat fait tout pour qu'il ne les paie pas avec des exonérations. La CSG a remplacé les cotisations patronales...
Si les cotisations constituent un salaire différé, il n'y aurait pas besoin des cotisations patronales...
Les cotisations de Sécu sont un prélèvement sur les richesse produites.
Le paritarisme n'est-il pas une faiblesse aujourd'hui ?
Le paritarisme était à l'époque l'état d'un rapport de forces, l'objet d'une tractation.
En venant là, vous êtes en campagne électorale ?
On a dit au PCF qu'on entrait en campagne et qu'on développait nos thèmes. Quand on aura avancé dans la démarche unitaire, tout sera remis au pot commun.
La Sécu est un thème national, or les élections sont régionales...
Notre campagne est régionale dans une dimension nationale et européenne. Quand on parle égalité des individus et des territoires, ça débouche sur les droits culturels qu'on entend partager dans les collectivités. On ne saucissonne pas les droits fondamentaux. Il ne doit pas y avoir des élus disant une chose à Paris et le contraire en province. Nous mêlons aussi dans la campagne les luttes locales et ce qu'on défend au Parlement. Marie-Guite Dufay défend à Paris la baisse des dotations et dit sanctuariser la culture, mais elle a baissé de 13% en Bourgogne !
La droite veut aussi sanctuariser la culture.
Ils veulent tous sanctuariser des dettes ! Si je suis présidente de région, je ne dédouanerai pas l'Etat de ses responsabilités et j'attaquerai sa politique d'austérité. Être élu, ce n'est pas seulement gérer mais aussi mener un combat politique.
Pour être présidente, vos listes devront être devant le PS et fusionner avec lui...
Mon premier objectif est de ne pas laisser cette région à la droite ou à l'extrême droite. On verra le soir du premier tour les actes politiques nécessaires à poser. Mon deuxième objectif est de mener une vraie politique de gauche dans cette région. Quel que soit le résultat, on proposera à Marie-Guite Dufay d'être sur les mêmes options. On n'est plus en 2010 et le mandat Hollande a énormément changé la donne. Je ne renoncerai pas à dire que cette réforme est mauvaise. J'ai été la première à le dire et à demander un référendum comme présidente du groupe communiste à la région Bourgogne. Marie-Guite Dufay a parlé un peu avec la population, François Patriat pas du tout. J'invite les Francs-Comtois à rééquilibrer la gauche.
En avez-vous parlé à vos alliés ?
C'est pour ça que je veux être tête de liste. Après, on fait avec son équipe, je vais convaincre. On ne peut pas dire à l'avance ce qu'on fera...

Elle entend notre objection : il n'y a pas de fusion technique. Si fusion il y a, elle est forcément le fruit d'un accord politique, même à minima... Ce qui nécessitera de justifier, autrement que par le seul danger fasciste, une alliance avec un PS qui ne serait plus de gauche ? La question de l'union de la gauche de transformation sociale au premier tour, réglée en Langedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, est au coeur des discussions entre partenaires en Bourgogne-Franche-Comté, polluée par la question du second tour. Ce faisant, ce n'est pas la meilleure façon de faire un bon résultat au premier. Cette question, EELV l'a déjà tranchée, faute de réponse unanime de la galaxie gauche de la gauche, mais aussi parce que la même divergence traverse ses rangs. Du coup, EELV a annoncé la composition de ses listes ce samedi 3 octobre à Dijon. Les responsables du Front de gauche sont cependant persuadés qu'ils seront devant les écologistes au soir du premier tour et que c'est à eux que se posera la question de la fusion avec le PS. Elle se pose déjà en interne, les communistes l'envisageant plus aisément que le PG ou son excroissance du Rassemblement citoyen...

Comment arriver à cette fusion ? En faisant accepter des éléments de programme ! Nathalie Vermorel, tête de file du PCF pour la grande région, actuelle conseillère régionale de Bourgogne, donne un exemple de l'action des élus : « La région a financé Amazon, mais on n'était pas d'accord avec le PS qui dit que le dialogue social ne le concerne pas. On a fait ajouter une phrase dans la convention avec Amazon sur le respect des conditions de travail. Elle permet de demander la reprise des subventions car 96% des salariés ont des TMStroubles musculo-squelettiques, autrement dit des tendinites... ! » Il paraît que la perspective fait bouger le géant du livre en ligne... Compromis ou compromission ? Responsabilité ou dérive gauchiste ? Le débat n'est pas nouveau et fracture la gauche européenne depuis plus d'un siècle...

Les communistes déjà en campagne

Il établit aussi un clivage, sinon des nuances, entre gauche syndicale et gauche politique. « Marie-Guite Dufay a reçu la CGT d'Alstom pour parler d'une aide au reclassement sans s'attaquer à la stratégie d'Alstom. Du coup, les salariés n'ont pas de perspectives industrielles et d'emploi », dit l'ancien secrétaire régional de la CGT, Jacques Beauquier, lors du débat qui réunit une soixantaine de militants. Les luttes sont au coeur des échanges, à commencer par la manifestation vésulienne du 10 octobre en soutien à la ligne ferroviaire Paris-Belfort, à poursuivre par la mobilisation anti TAFTA ou une journée pour les retraites sans décote le 16 octobre...

Un autre clivage se fait jour entre deux options tactiques après qu'Olivier Grimaitre, militant syndical lui aussi, ait demandé : « quand rentre-t-on en campagne ? » Le temps presse en effet : le PS et EELV ont leurs listes et tiennent déjà des réunions, tentent d'occuper un terrain médiatique saturé par la situation internationale. Les communistes l'ont bien compris qui ont commencé des actions : tracts pour la renationalisation des autoroutes aux péages, rassemblement en hommage au ministre communiste Ambroise Croizat qui instaura la Sécurité sociale. Ils n'attendent pas la fin des discussions avec leurs partenaires sur la composition des listes et la définition du programme. C'est aller un peu vite pour Véronique Bourquin-Valzer (Ensemble, Pays de Montbéliard) qui estime que les discussions « ne sont pas du temps perdu car il faut être le plus uni possible ».

« Fondateur sur le temps long »

Le Parti de gauche sur la tangente
Le PG fait-il une croix sur l'union de la gauche de la gauche ? Il laisse entendre que c'est possible dans un communiqué de lundi 5 octobre déplorant que la réunion du 2 octobre avec Ensemble, le MRC, Nouvelle Donne et le PCF n'ait pas abouti à un accord.
Une question de forme est au cœur du désaccord : « Nous plaidons pour une implication citoyenne maximum et pour l'unité de celles et ceux qui, à gauche, veulent construire une alternative aux politiques libérales du PS, des droites et de l'extrême-droite (…). Cela implique un programme de rupture avec l'austérité et la croissance aveugle (…), la méthode de l'assemblée régionale représentative composée de citoyens, militants ou non, qui laisse un peu de côté leur petite popote traditionnelle de parti. Force est de constater que les partis traditionnels sont attachés à d'autres formes de prise de décision, plus interne et à huis clos ».
Le PG indique qu' « avant même de pouvoir travailler sur un programme ou des mesures d'urgence sociale, on ne nous parle que répartition des sièges, de places et de calendrier (…). On nous demande des préalables d'union avec le PS au second tour. On nous prépare au Front républicain derrière les partis du système. Nous ne voulons pas être élus grâce et avec les partis qui veulent maintenir la monarchie présidentielle de la Ve République et les châtelains municipaux et régionaux confits par le pouvoir et les compromis pourris avec les banques (comme M. Rebsamen à Dijon avec Dexia) ou les multinationales (Pierre et vacances, Raynair, Veolia, la Saur, Engie Suez...)
Disant espérer un « sursaut », le PG explique se sentir « plus proche du rassemblement Avenir citoyen » et mettre à la disposition de son jury tiré au sort « les candidatures qui sortiraient de [ses] rangs ». Il propose aux autres d'en « faire autant plutôt que d'attendre du renouveau dans le cadre d'accords d'appareils ».
Le PG ne craint pas la contradiction consistant à repousser « les préalables d'union avec le PS au second tour » tout en affirmant qu' « EELV s'invente des divergences avec nous qui n'existent pas pour justifier qu'ils feront cavalier seuls », ce qui va « disperser le vote écologiste ».

Nathalie Vermorel lui répond : « C'est e commençant la campagne qu'on avancera vers l'unité. N'attendons pas, il y aura un effet d'entraînement. Je refuse qu'on se laisse coincer par qui que ce soit ». Elle vise, sans le dire, certains militants du PG qui rechercheraient une telle pureté doctrinale qu'ils auraient du mal à faire un pas vers leurs partenaires. Le PG, qui visait une union incluant EELV, pourrait finalement « décider de ne pas y aller », nous déclarait Gabriel Amard le 26 septembre, alors que le Rassemblement citoyen a déclaré dans un appel être prêt à le faire. « Ce ne serait pas génial pour les régionales, mais fondateur sur le temps long... » Fondateur dans la perspective de la présidentielle, voire de la reconstruction d'une gauche en ruine en cas de défaite hollandaise. On on saura davantage le 17 octobre où se tient une « assemblée représentative ».

C'est manifestement cette date butoir à laquelle pensent les militants d'Ensemble qui partagent avec le PG l'idée, exprimée par Véronique Bourquin-Valzer, qu' « aucun compromis n'est possible avec le PS » : « on se battra jusqu'au bout pour que l'unité triomphe ». Avec le PS s'il s'agit de faire barrage à l'extrême-droite ? Il est bien temps de poser la question publiquement. Pour l'heure, elle entend faire face à deux premiers dangers. D'abord l'abstention, « véritable expression politique constituant une forme de résistance, mais pas celle qu'il faut en raison du risque de l'extrême-droite démagogique, haineuse, raciste ». L'autre « danger » est celui du « vote utile dont tout montre qu'il n'est pas la solution » parce qu'il revient, au prétexte d'éviter le FN, à poursuivre une politique qui le renforce.

Les deux options tactiques ne s'excluent pas forcément, mais dans les faits, l'énergie mise dans l'une ne l'est pas dans l'autre. Et comme les forces sont limitées, ce sont les moins faibles, en nombre de militants comme par leurs moyens financiers, qui donnent le la. A ce petit jeu, ce sont les communistes, forts de leur contingent d'élus locaux et d'une structuration ancienne, qui ont l'outil le plus efficace. Leurs partenaires sont bien obligés d'en tenir compte...

 

 

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