Franche-Comté, la der des der au rythme du tango

Clap de fin sur la dernière session du Conseil régional de Franche-Comté qui a voté à la quasi-unanimité des mesures techniques de transition avant le passage à la grande région avec la Bourgogne. Mais la droite n'a pas voté les ajustements de l'exercice budgétaire 2015 qui s'arrête le 30 novembre et est amputé d'une vingtaine de millions. 140 programmes vont recevoir 4 millions pour passer le cap de la fusion, la subvention à Lactalis-Lons est retirée du budget...

Marie-Guite Dufay avec le directeur général des services Gilles Da Costa et son directeur de cabinet Rodolphe Dumoulin (debout) sous le regard d'Edgar Faure...

La dernière séance du Conseil régional de Franche-Comté débute, ce jeudi 5 novembre, une fois n'est pas coutume, par une introduction facétieuse du... directeur général des services, le DGS Gilles Da Costa ! Comme tous ses collègues patrons d'administration territoriale, il est discret. Seuls savent et voient le rôle qu'il tient les témoins directs de ses fréquentes échanges à voix basses avec Marie-Guite Dufay lors des sessions plénières publiques. Autrement dit, les élus, les directeurs et directrices de services, les collaborateurs des groupes politiques, et en tribune les journalistes et quelques rares citoyens, souvent des militants, parfois une classe entière de lycéens.

A peine le séance est-elle ouverte par la présidente, que le DGS... fait l'appel. Comme à l'école, les uns répondent « présent ! » tandis que d'autres lâchent « oui ». Parfois on dit « il arrive »... C'est important, car à partir de trois absences dans l'année, l'indemnité de l'élu passe au rabot. En général, les fautifs font profil bas, sauf le FN qui y voit une belle occasion de pourfendre une prétendue chasse aux sorcières...

Donc, Gilles Da Costa est facétieux en prononçant, juste avant l'appel de la dernière séance, un petit discours en forme de « clin d'oeil à l'assemblée » et d'« hommage aux élus » dont on retient quelques mots promis à ses collaborateurs, comme « rouge comme une écrevisse à pattes blanches », le petit crustacé emblématique de la biodiversité fragile de la région...

La région est « trop souvent considérée, à tort, comme technocratique »

Rapide visite d'un lieu à la destinée incertaine...
Une assemblée, qu'elle soit nationale ou locale, a ses lieux et ses rituels. Le Conseil régional de Franche-Comté, dans l'ancien hôtel de Grammont, au pied de la Citadelle de Besançon, à deux pas de l'archevêché et de la cathédrale Saint-Jean, n'y échappe pas. Avant de pénétrer par la grande porte au son de la clochette de l'huissier dans la salle du conseil où trône un portrait d'Edgar Faure, on patiente en prenant un café au bar du hall ou l'on peaufine une ultime tactique dans un salle voisin attenant.
Les sessions durant souvent toute la journée, les repas des élus et des directeurs de services (assis derrière la présidente et les vice-présidents en séance) sont pris en commun dans un salon du rez-de-chaussée. Les tablées sont le plus souvent par famille politique, mais pas systématiquement. L'ambiance y est plutôt détendue et les élus de bords différents se chambrent ou discutent en paix... Notable exception, les élus FN font bande à part, même si des échanges se produisent, mais pas avec tous les élus des autres partis. Il n'y a pas, en Franche-Comté, de porosité visible entre la droite et l'extrême-droite. Depuis peu, Jean-Pierre Mouget a quitté le groupe FN et se retrouve seul à table, tandis que les trois autres mangent en ville, sans forcément revenir à la séance de l'après-midi.
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Comme à son habitude, Marie-Guite Dufay est sérieuse et appliquée. Le préambule de son propos introductif sacrifie à l'évocation de cette dernière séance qui clot 33 ans d'histoire de la région, « collectivité de plein exercice » par le biais de la loi Deferre de 1982, « acte fondateur de citoyenneté, de démocratie et de solidarité ». La collectivité n'a jamais mobilisé les foules électorales, mais a transformé profondément le pays en gérant progressivement à la place de l'Etat lycées, formation professionnelle, apprentissage, formation continue, transports, intégration des personnels administratifs, techniques, ouvriers et de service des lycées, les fameux PATOS.

Alors qu'elle risque de mobiliser moins que jamais, la région fusionnée au 1er janvier avec la Bourgogne aura quelques compétences nouvelles en matière économique et transport... Madame Dufay le sait, la région est « trop souvent considérée, à tort, comme technocratique, éloignée du quotidien des habitants ». C'est sans doute pour ça qu'elle en appelle à la « mise en perspective » des politiques publiques, à une « vision stratégique et une volonté politique sans faille » qui « suppose de savoir où l'on va et de définir des priorités claires dans un contexte tendu du point de vue des moyens, d'aller au bout de la réforme fiscale ».

« Si nous sommes prêts à la réunion des deux régions,
c'est que nous avons été les premiers à nous y préparer »

Et d'avoir « du courage ». Celui qu'évidemment, elle estime avoir eu en engageant très tôt le « travail de préfiguration » de la grand région en qui elle voit un « gage d'efficacité pour l'avenir : si aujourd'hui nous sommes prêts à la réunion des deux régions, c'est que nous avons été les premiers à nous y préparer ». Moyennant quoi, elle fait voter un « dispositif de sécurisation » de 140 structures, doté de 4 millions d'euros, pour « assurer la continuité du service public le temps de la mise en place de la nouvelle région ». Elle en est persuadée : c'est là « un acte de responsabilité rendu possible uniquement par notre posture d'anticipation de ces derniers mois ».

La droite invoque la « responsabilité » et la suit : « il en va de la continuité d'activité de ces structures, avec de nombreux emplois à la clé », dira Stéphane Kroemer. Outre l'association du personnel Amical, ces structures portent les contrats de filières agricoles, bois, agro-alimentaires, les programmes culturels du cinéma à la musique en passant par l'art contemporain, le spectacle vivant ou le livre, le soutien à la création et reprise d'entreprise, l'environnement et la biodiversité, le tourisme et la vie universitaire...

Marie-Guite Dufay : la majorité rose et verte
a « tenu bon les équilibres politiques
qui ont fait la cohérence du mandat »

Marie-Guite Dufay ne veut pas être que dans le colmatage des fissures accompagnant la fusion. Elle annonce d'ores et déjà avoir préparé, avec le rectorat, la prochain rentrée scolaire en montant près d'une dizaine de formations dans les « secteurs d'avenir » (bio-médical, micro-systèmes en santé, protection de la nature) ou ceux dont les besoins sont « repérés » (métiers d'art, photo) ou « en tension » (coiffure, restauration collective). Bref, elle anticipe les critiques d'un sans appel : « loin des discours, nous agissons depuis des années, sans forcément communiquer ».

Elle répond aussi aux critiques que formule François Sauvadet depuis plusieurs semaines : « les 35 millions du plan BTP seront au final intégralement consommés... » Quant aux ajustements budgétaires qui voient le retrait de 18,7 millions d'euros d'emprunts et presqu'autant d'investissements, c'est, assure-t-elle, parce que la clôture de l'exercice budgétaire 2015 est avancée d'un mois en raison de la fusion.

Après quoi, elle remercie sa majorité rose et verte d'avoir « tenu bon les équilibres politiques qui ont fait la cohérence du mandat », mais aussi l'opposition qui a « joué le rôle démocratique qui est le sien dans le respect des personnes et au service de l'intérêt général ».

Stéphane Kroemer : l'extrême droite n'a jamais rien proposé

Stéphane Kroemer, le président du groupe LR-UDI-DVD, poursuit dans la courtoisie envers « l'ensemble des élus : nos échanges furent parfois passionnés, rarement enflammés, quelques fois ennuyeux, généralement respectueux et globalement positifs ». Il adresse cependant un bémol à « ceux qui se considèrent comme le seul recours » qui n'ont pas eu « le même état d'esprit, tant je ne me souviens pas avoir eu à me prononcer sur une quelconque proposition de feu le groupe d'extrême droite ».

Feu, parce qu'en effet le groupe FN a implosé à deux mois du terme du mandat, le Jurassien Jean-Pierre Mouget en en démissionnant, privant par là même Sophie Montel d'une tribune. Mais Stéphane Kroemer pousse la critique : « il aurait fallu que les élus frontistes assistent à la totalité des réunions, qu'ils comprennent que l'intérêt de la région ne consiste pas à relayer des thématiques nationales et des théories douteuses. Ils auraient compris qu'en assemblée plénière, on décide ou on s'oppose à un dispositif, à une politique, alors qu'en commission permanente, on décide du versement des crédits à ceux qui les attendent. Ne pas être d'accord avec une politique autorise-t-il à empêcher le fonctionnement d'un lycée, d'une structure régionale, à empêcher le versement d'une subvention, d'une aide financière ou de crédits de fonctionnement aux acteurs de terrain ? »

Kroemer : « La dette a augmenté de 22% sur le mandat »
Dufay invoque Standard-and-Poors

Il entend « saluer de manière très républicaine » la façon dont la présidente socialiste « a su mener les débats, laissant les échanges se dérouler jusqu'à leur terme, en empêchant rarement les élus de s'exprimer, en respectant autant que possible [son] opposition ». Ce faisant, il estime « électoraliste » l'aide de 1000 euros par place d'hébergement de réfugié que la région ajoute à l'aide de l'Etat. La droite votera contre, avec l'extrême-droite, malgré des arguments diamétralement opposés.

Stéphane Kroemer critique aussi l'ajustement budgétaire et pilone sur « la vérité des chiffres » de l'ère Dufay : « une dette qui a augmenté de 22% sur le mandat, passant 142,9 à 183,3 millions ; un investissement qui a baissé de 10%, passant de 169 à 153 millions ; des charges de personnel, hors transfert de compétence, qui ont augmenté de 22,3% passant de 17,4 à 22,4 millions ; une taxe sur les cartes grises qui a augmenté de 13% ».

Pour Marie-Guite Dufay, c'est une « curieuse façon de voir les chiffres » et invoque l'appréciation de Standard-and-Poors. Elle veut soustraire de la dette les 134 M€ liés à la LGV. Elle répond à une critique formulée hos de l'assemblée par François Sauvadet selon qui les crédit européens ne seraient pas assez consommés : « 98% des fonds Intereg le sont ! Pour les autres, nous recevons des factures tous les jours et jusqu'en mars 2016 : nous sommes à 74% de crédits consommés quand vous dites qu'on n'en est qu'à 60% ».

L'aide à Lactalis retirée du budget
après la suspension du projet par l'agglo de Lons

Sylvie Vermeillet insiste sur le « malaise » des « 20,7 M€ d'annulation de crédits dont 15,3 M€ en investissement : c'est un choc autant qu'un échec ». Elle dénonce «  des budgets primitifs démesurés à des fins d'affichage politique, irréalistes donc irréalisables ». Marie-Guite Dufay réplique : « si j'avais fait de l'affichage, je n'aurais pas inscrit de dégagements de crédits : ma marque de fabrique est la sincérité. Et puis, quand vous parlez de baisses massives des investissements, vous confondez les engagements et les crédits de paiement ». En passant, elle donne un exemple : « le retrait de la subvention Lactalis, c'est ECLA (l'agglo de Lons) qui m'a signifié la suspension de ce dossier. On ne va garder ces 250.000 euros ! »

Tandis que le chef de la droite fait dans la métaphore cinématographique, son collège écologiste Marc Borneck parle de danse. De tango. Une danse d' « improvisation » qui se « danse à deux », où « les partenaires prennent ensemble une direction qui demande à être régulièrement ajustée ». On reconnaît évidemment les fréquents pas de deux qui ont agité la majorité. Alors que les partenaires roses et verts font aujourd'hui listes à part, Marc Borneck évoque aimablement « cette dans que les écologistes ont exécutés avec leurs camarades socialistes depuis 2004 pour le plus grand bonheur de la démocratie ».

Un amendement vert retoqué par une majorité PS-LR-UDI-DVD

Il est est sûr : « les Franc-Comtois sont fiers de la démonstration ». Il cogne sur les « productivistes de droite ou de gauche » dont les « vieux logiciels mentaux » qu'aucune « mise à jour ne peut améliorer ». Il se réjouit d'avoir pu « amener dans ce lieu de débat les différences » portées par ces « pionniers » à la « pensée globale et lucide » que sont depuis 30 ans les écologistes « projetant leurs valeurs et leur vision d'une société meilleure ».

Est-ce cette utopie qui fait proposer au groupe EELV la transformation d'une aide exceptionnelle de 450.000 euros pour les éleveurs touchés par la sécheresse, en programme d'expérimentation destiné à accompagner le changement climatique en agriculture ? L'amendement est voté par les Verts et Fanny Grandvoynet, une socialiste signataire de l'appel du Rassemblement citoyen initié par le PG. L'aide passe avec une confortable majorité PS-LR-UDI-DVD... Au passage, Stéphane Kroemer ironise sur la contradiction qui conduit les Verts à voter quand même la totalité de l'ajustement budgétaire. « Ce n'est pas la première fois que nous présentons un amendement et votons le budget derrière », souligne Marc Borneck avec candeur. Ainsi va le tango...

 

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