Du suicide de la gauche à l’impasse politique…

Depuis sa création à Besançon en 2001, l'Espace politique d'innovation fait vivre un débat ouvert et libre entre la gauche social-démocrate et ses partenaires critiques. Dernière discussion : comment reconstruire après le vent du boulet des élections régionales ?

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Une cinquantaine d'adhérents dont les cheveux blanchissent, un apéro-conférence mensuel réunissant jusqu'à 300 personnes, EPI - pour espace politique d'innovation - tient bon depuis quinze ans. Créée pour soutenir de réflexions politiques Paulette Guinchard quand elle entra au gouvernement de Lionel Jospin, l'association demeure ancrée dans la social-démocratie un brin utopique propre à l'histoire bisontine. Revendiquant un « débat ouvert et libre », elle offre une palette d'opinions allant du Front de gauche aux écolos en passant par les socialistes autogestionnaires et des militants syndicaux plutôt proches de la CFDT.

On y croise le secrétaire de la section PS de Besançon, l'adjoint au maire Jean-Sébastien Leuba, le fondateur d'Energie Cités Gérard Magnin, le conseiller de la députée Barbara Romagnan Marcel Ferréol, l'ancien adjoint centriste de Jean-Minjoz André Régani à l'origine du plan de circulation de 1974, la conseillère économique et sociale Dominique Lavie, des rétifs à l'engagement politique mais pas à l'engagement associatif comme Pierre Besançon, Christian Dufay le mari de la présidente de région...

De la monnaie locale à Gramsci

L'an dernier, on y a parlé de la filière comté et de la monnaie locale, du printemps arabe en Tunisie et des conséquences pour l'Europe de la guerre au Moyen-Orient, des nouvelles technologies, d'énergie... A chaque fois, on cherche des « solutions de gauche » sans pour autant s'arcbouter sur les « remèdes du passé ». Les uns refusent le marxisme, d'autres refusent de le jeter dans les poubelles de l'histoire sans pour autant en faire un dogme. Souvent, la pensée d'Antonio Gramsci réunit ce petit monde qui aime échanger, s'écouter, confronter les idées.

La dernière fois, mardi 16 février, il était question de « comment reconstruire » après les élections régionales à l'issue desquelles beaucoup ont poussé un « ouf de soulagement ». Reconstruire non pas la gauche, mais reconstruire tout court ! Reconstruire la politique. Comme si tout avait été démoli par le score de premier tour du FN, par le « suicide de la gauche » pour empêcher l'extrême-droite de prendre PACA et Nord-Picardie. François Lacaille, qui fut secrétaire régional du Sgen-CFDT, constate gravement « l'impasse politique ».

« L'indécrottable PS qui a toujours besoin qu'on l'aide »

Ils sont plusieurs à approuver Pierre Besançon quand il assure : « je ne suis pas sorti du temps de la colère et c'est la dernière fois que je me bats uniquement contre le FN : je veux me prononcer pour des projets ». Il est sévère vis-à-vis de « l'indécrottable PS qui a toujours besoin qu'on l'aide ». Il veut toujours « la victoire de la gauche » mais n'est « pas certain que ça corresponde à la victoire du PS ». A ses côtés, Dominique, qui avoue s'être abstenu au premier tour sans que personne ne l'en blâme, a barré la route au FN au second tour. A l'autre bout de la table ronde, Jean-Paul Bruckert estime que le PS n'est « pas loin du coma dépassé », mais assure que « sans reconstruction d'une gauche social-démocrate, on ne s'en sortira pas ».

Comme lui, ils sont plusieurs à souligner la « défaite idéologique » de la gauche. Jean-François Dugourd donne l'exemple du territoire rural où il travaille, le secteur de Quingey qui bénéficie largement de fonds européens sur lesquels « on ne communique pas » alors qu'il s'agit de « politiques publiques contribuant à la qualité de nombreux emplois ». Lui aussi n'avait « pas envie de tester le FN » et a « sauvé l'essentiel » au second tour. Il pense surtout que « l'on manque de courage et de volonté politique, qu'à force de ne plus vouloir débattre de politique économique et sociale, on ouvre des débats toxiques ». Il n'est pas optimiste quand il voit, par exemple sur l'éolien, les élus locaux faire comme si le sujet leur appartenait et n'avait pas à être partagé avec les citoyens...

« La pensée en échec,
sinon une pensée morale »

Claude Magnin reprend les concepts de Christophe Guilluy - sans le citer - sur « l'insécurité culturelle » dans laquelle serait le monde « rural et périphérique » en opposition avec un « monde protégé et inclus » en phase avec la mondialisation : « la gauche n'a pas vu ce phénomène, l'a parfois nié », ce qui met « sa pensée en échec, sinon une pensée morale ». Claude Mercier, trois fois candidat pour EELV en deux ans et trois fois battu (européennes, cantonales, régionales) est amer et lucide : « les électeurs pratiquent l'écologie mais ne votent pas pour nous : y a-t-il besoin d'un parti fondé sur l'écologie ? »

Serait-ce l'ébauche de la « troisième gauche » dont se revendique Marcel Ferréol ? Autrement dit, une « deuxième gauche » qui prendrait justement en compte l'écologie ? Il veut en tout cas établir un pont avec la société civile, celle qui fait que le succès du film Demain le rend « optimiste ». Comme en écho, Marie-Odile estime que « le discours politique aurait besoin d'interprètes... » et considère assez simplement que « la réduction des inégalités devrait être notre langage commun ». Jean-Sébastien Leuba fait écho à la remarque : « si on ne fait pas attention aux inégalités, le FN continuera de monter ».

« Soyons à la hauteur,
sinon les claques qu'on a prises
ne serviront à rien ».

Pour Gérard Magnin, il faut du concret, comme la transition énergétique ou la monnaie locale. Lecteur de Jean-Claude Michéa, Eric est pessimiste, redoute que « les solutions ne viennent après un moment de violence... Que retiendra-t-on du quinquennat de François Hollande à part le mariage pour tous ? Au soir du second tour, on avait compris le message, et on est ensuite reparti comme en 14 ». Il dit sa « colère » après avoir entendu Emmanuelle Cosse expliquer pourquoi elle était entrée au gouvernement : « qu'on arrête de prendre les gens pour des imbéciles ». Jean-Louis Genest veut tout simplement qu'on « restaure la démocratie, qu'on arrête la fascination pour le FN, qu'on apprenne dès l'école la coopération et la mutualisation plutôt que la concurrence ».

Tous ces militants de gauche sont manifestement en recherche d'un projet plutôt que de personnaliser, cette maladie de la cinquième république. Mais Claude Magnin doute de l'efficacité de la critique : « séparer le projet de celui qui le porte, on ne le peut pas, l'alchimie est compliquée ». Claude Mercier est venu avec une suggestion : « je veux bien casser ma boutique, constater l'ouverture chez les autres : faisons un EPI politique ! Fabriquons un conseil politique et qu'ensuite les partis s'organisent, soyons à la hauteur, sinon les claques qu'on a prises ne serviront à rien ».

Cette perspective est-elle de nature à répondre à la question, déjà posée à EPI comme le rappelle Jean-Jacques Vittot, élu local à Lantenne-Vertière : renaître ou disparaître ? Posée à EPI ou à la gauche ?

A la politique !

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