Conseil régional : le budget entre Keynes et Schumpeter

Adopté par la seule majorité, le budget d'un milliard et demi d'euros de la région Bourgogne-Franche-Comté prévoit 360 millions d'investissements, notamment dans les lycées, les transports, le numérique... La droite déplore une baisse des investissements de 8% quand la majorité PS-PRG-DVG y voit une plus grande rigueur de gestion, tout en considérant des dépenses de fonctionnement comme des « investissements d'avenir ».

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Un milliard et demi d'euros, c'est le montant global du budget du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, adopté le 13 décembre par la majorité PS-DVG-PRG (51 voix) alors que les diverses oppositions UDI-LR-DVD, FN, et non inscrits ex FN votaient contre (49 voix). Par rapport au budget prévisionnel 2017, les autorisations de programmes baissent de 1,7% et les crédits de paiement baissent de 5,8% en investissement « afin de privilégier une logique d'inscription budgétaire au plus proche des réalisations », précise le document.

En fonctionnement, les autorisations d'engagements sont en hausse de 8,1% afin de tenir compte des « nouveaux engagements au titre de l'agriculture, des transports, de la programmation des fonds européens », et les crédits de paiement en hausse de 3,4%. A périmètre constat, la section de fonctionnement est stable avec une hausse de 0,3%.

D'emblée, François Sauvadet, pour qui les investissements baissent de 8% d'un budget à l'autre, a critiqué la grande différence entre le budget formel qui distingue fonctionnement et investissement selon les règles strictes de la comptabilité publique, et la communication de Marie-Guite Dufay.

Deux jours avant la session, la présidente a en effet présenté les comptes à la presse, comme le font de nombreux exécutifs territoriaux, en distinguant des grandes politiques : 623 millions pour la « bataille de l'emploi », 536 millions pour « faire émerger un modèle de développement plus durable », 85 millions pour « construire une nouvelle région ». La déclinaison en actions plus précises de ces trois axes agrège alors des sommes inscrites en investissement et en fonctionnement. Cette façon de faire permet de mieux appréhender les montants alloués à telle ou telle action, mais pour s'y retrouver, il faut plonger dans le maquis d'un document de 367 pages.

A la fois raison et tort

Du coup, les procès d'intention sont souvent la règle des débats budgétaires. Ainsi quand Marie-Guite Dufay annonce plus de 360 millions d'investissements dans son propos introductif, François Sauvadet a beau jeu de s'étonner de voir le chiffre de 623 millions dans la presse : « considérer que les règles de comptabilité publique ne reflètent pas la réalité, ce n'est pas aborder le débat dans de bonnes conditions ».

« Ce chiffre n'a jamais été annoncé », réplique la présidente qui a, formellement, à la fois raison et tort. Raison parce que le document présenté en séance évoque une « montée en charge des investissements avec une réalisation prévisionnelle de l'ordre de 350 millions », et « 406 millions inscrits au service des investissements structurants avec un objectif de réalisation de 90% ». 90% de 406 millions, ça fait en effet « plus de 360 millions » : CQFD. Mais elle a tort parce que le dossier de presse mentionne bel et bien : « Investir pour l'avenir, la Région, premier contributeur à l'investissement public local sur son territoire : 662.880.594 euros ».

« Regarder la dépense publique à l'aune de son effet économique »

En fait, il faut considérer les choses sur le fond, argumente le vice-président au tourisme et à l'action européenne Patrick Ayache. « Je vous trouve simpliste », dit-il à la droite, « il y aurait selon vous d'un côté l'investissement vertueux, et de l'autre les dépenses de fonctionnement qui seraient une gabegie. Je vous propose de regarder la dépense publique à l'aune de son effet économique ». Et de donner en exemples l'aide à la recherche, la formation professionnelle et la promotion du tourisme, qui relèvent d'inscriptions budgétaires dans la section de fonctionnement : « ne sont-ce pas des investissements d'avenir ? »

Alain Joyandet (LR), qui préside la commission des finances, lui répond : « vous faites la promotion des thèses de Keynes, mais il y a un juste milieu entre Keynes et Schumpeter. Ce que nous chassons dans le fonctionnement, ce n'est pas ce qui est intéressant pour l'avenir, mais ce qui est dans la mécanique, on chasse les dépenses, les frais de personnel... » Le contre-budget de la droite propose en effet 2,5% d'économies de fonctionnement et une baisse de la taxe sur les cartes grises, mais aussi un plan d'investissements de 200 millions financé par l'emprunt : « ne soyez pas dans le tout ou rien, discutons-en, faites un pas vers une opposition constructive », ajoute-t-il.

Pascal Grappin (UDI, Côte d'Or) voit derrière le « volontarisme » du discours de la présidente « des déclarations d'intention sans suite ». En fait, l'angle d'attaque est classique. Il suffit de s'appuyer sur la notion de crédit de paiement plutôt que sur celles d'autorisation de programmes. Sur plusieurs éléments de la politique régionale (recherche, apprentissage, développement économique...), il pointe la baisse des crédits de paiement. Marie-Guite Dufay conteste cette analyse : « Mon repère, ce sont les choix d'inscription d'autorisation de programme, alors que les crédits de paiement sont au plus juste de la réalité [des interventions]. Vous mélangez les deux notions ».

Attendre le « juge de paix »
du compte administratif

Ce débat technique de comptabilité publique est certes un peu abscons, il ne peut masquer le jeu, parfois subtil, parfois politicien, auquel jouent souvent majorités et oppositions. Une autorisation de programme peut s'étaler sur plusieurs années, permet de passer des contrats, d'engager une action. Un crédit de paiement permet de régler une facture, et peut être décalé si l'action l'est aussi (voir aussi ici)... Du coup, on est bel et bien dans les intentions dès lors qu'on parle d'autorisation de programme, mais tout ne se passe pas forcément comme prévu : des projets peuvent s'étaler dans le temps, ne jamais voir le jour, ou au contraire coûter plus cher qu'annoncé. Et il est de bonne guerre d'appuyer sur la prétendue frilosité ou impréparation de ses adversaires politiques... En fait, il faudra attendre le « juge de paix » du compte administratif qui établira le budget réalisé, en juin 2019, pour savoir qui a raison...

Cela relativise les injonctions du genre « dîtes nous la vérité des chiffres », comme a lancé François Sauvadet avant de faire deux propositions : présenter (en séance) les budgets à venir avec l'évolution par rapport aux précédents, créer un budget annexe transports. Sur ce dernier point, il craint que la majorité s'apprête à faire payer les familles, notamment dans la Nièvre et dans l'Yonne, après le transfert des transports scolaires des départements à la région. Dans son optique, un budget annexe serait plus transparent car ne s'équilibrant pas avec d'autres sources financières. Il ne sera pas exaucé. 

L'extrême-droite n'aura pas dit grand chose sur le budget, évoquant la « confusion » induite par la fusion, une « fiscalité confiscatoire », ou critiquant par la voix d'Isabelle Deylon (FN, Côte d'Or) « l'inefficacité de l'économie sociale et solidaire qui a pour projet la discrimination positive : l'insertion des immigrés doit se faire par le travail et le respect de la société accueillante ». Le président du groupe FN, Julien Odoul (Yonne), se fendant quant à lui d'un téméraire « arrêtez les slogans, agissez », auquel Marie-Guite Dufay demanda en vain de « rentrer dans les détails ».

L'agriculture : 20% de bio dans les cantines en projet

« Les liens entre l'agriculture et la région sont renforcés parce que la région instruit les aides européennes et que la loi NOTRe l'institue chef de file », explique la vice-présidente Sophie Fonquernie (PS, Doubs). 2018 doit voir la mise en place d'une « gouvernance régionale du plan régional de développement agricole », la signature des contrats de filière : lait standard, viande bovine, viande porcine, grandes cultures, objectifs pour l'agriculture agrobiologique (sic), l'analyse des 250 premiers audit d'exploitation.

Un appel à manifestation d'intérêtmode de présélection où les candidats sont invités à soumissionner lors de futures procédures restreintes. « manger local » doit être lancé pour « soutenir la promotion des produits de l'agriculture régionale », et un fonds d'urgence pour l'agriculture bio de 500.000 euros doit être créé « suite au retrait de l'Etat ». Il s'agit, explique Marie-Guite Dufay, de « continuer à déployer un plan ambitieux pour que 50% des aliments proposés dans les cantines de nos lycées proviennent de notre région, et que 20% des aliments soient bio ».

Cette intention est « soutenue » par le FN qui pose une de ses rares questions concrètes de la session budgétaire : « où en êtes vous des achats des denrées alimentaires locales et bio ? » Marie-Guite Dufay explique que la région agit avec un acheteur professionnel.  Et parce qu'on « cuisine différemment les produits locaux et/ou bio, on forme des cuisinier. On avance, 20 à 25 lycées sont vraiment concernéssur environ 130. On n'est pas au bout, j'aime autant qu'on monte lentement en puissance, mais qu'on monte... »

L'économie sociale et solidaire « reconnue »

Le vice-président Denis Hameau (PS, Dijon) défend le rôle de l'économie sociale et solidaire en matière d'emploi, insistant sur les bénéfices « affectés à l'activité et non à l'actionnaire ». La région entend « consolider les modèles économiques des entreprises et des projets de l'ESS par le soutien à des outils financiers », existant tels que France Active ou nouveaux comme l'épargne citoyenne. Pierre Grosset souligne que la région est fortement reconnue et que « ses propositions vont être reprises au niveau national ».

Numérique : « tout développement passe par là »

L'objectif est d'accélérer le déploiement du très haut débit dont les infrastructures sont de la compétence de la région, les départements l'étant pour les équipements tels que la fibre. La région entend donc agir pour « l'inclusion numérique » des territoires ruraux, par des soutiens au « raccordement par fibre optique des sites stratégiques permettant le développement économique des territoires non concernés par la première phase de déploiement des départements ». Elle annonce aussi « soutenir l'amélioration de la couverture 4G des sites à vocation touristique et économique d'intérêt régional », et déployer le réseau Radio régional-RCube afin de « favoriser l'accès au haut débit hertzien ».

Elle entend aussi appuyer une « nouvelle politique publique des usages numériques » en matière de e-santé, en développant une cinquantaine d' « espaces de médiation numérique où le grand public peut accéder à internet », mettre en place « un réseau de 150 ambassadeurs de la transition numérique » accompagnant personnes et entreprises dans leurs démarches. « Tout développement passe par le numérique », souligne Marie-Guite Dufay, soutenue sur ce point par François Sauvadet.

L'apprentissage en attente d'une réforme contestée

Ce n'est pas simple de construire une programmation sur l'apprentissage alors que le gouvernement prépare une réforme. Celle-ci pourrait confier l'apprentissage aux branches professionnelles, ce qui ravirait le Medef, mais l'ensemble des régions est vent debout contre cette éventualité. Marie-Guite Dufay attaque d'emblée sur ce point : « La question, c'est comment maintient-on notre réseau de CFA ? Il y en a trois, quatre ou cinq qui pourraient se passer de la région car ils sont alimentés par la métallurgie, le BTP ou l'automobile, mais que deviendraient les CFA interprofessionnels ? »

Ceci étant, elle n'est pas opposée à toute la logique à l'œuvre : « On marche à l'envers en faisant de l'apprentissage une orientation par défaut. Il faut une mixité des parcours entre lycées professionnels, CFA académiques et CFA privés. Il y a 6000 élèves dans nos lycées professionnels, je suis d'accord pour qu'on expérimente la troisième année en apprentissage. Les cartes des formations doivent évoluer en fonction des besoins des entreprises, mais je ne suis pas d'accord pour renverser la table et donner toute la taxe d'apprentissage aux CFA ».

Catherine Vandriesse (LR, Dijon) suggère que les CFA mécanique développent des formations de maintenance d'hélicoptères, les aéroports de Longvic et Tavaux pouvant voir développer le transport de fret. « S'il y a des perspectives d'embauche, on y travaillera », répond la présidente. Alain Joyandet craint « un troc entre gouvernement et partenaires sociaux » qui rend « difficiles en engagements sur plusieurs années ». Il susurre : « vous qui avez l'oreille du président, qui l'avez soutenu, usez de votre poids... » Elle répond simplement : « nous sommes dans les groupes de travail ».

Pierre Grosset (DVG, Jura) souligne avec justesse « l'importance de l'hébergement pour les apprentis, même avec des aides financières, beaucoup ne trouvent pas à se loger ». Marie-Guite Dufay estime que des solutions existent, évoquant notamment les maisons familiales rurales...

Stéphane Guiguet (PS, Saône-et-Loire), vice président aux lycées, envisage que les plateaux techniques des lycées soient utilisés par les apprentis : « des professeurs acceptent de travailler en apprentissage... »

 

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