Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté : majorité PS-Patriotes sur le contrat social

Une curieuse équation politique a permis l'adoption du régime indemnitaire des 4000 salariés de la collectivité fusionnée, alors que la police empêchait l'accès à l'hémicycle d'agents de la collectivité qui manifestaient dans l'unité syndicale. Une élue PS et un PRG se sont abstenus, soulignant la fragilité de la majorité de Marie-Guite Dufay.

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Au théâtre, on appelle ça un contre-emploi. En politique, on parle de confusion, de posture. La mauvaise foi n'est jamais loin, comme c'est la règle an matière de caricature. Jugez plutôt : le FN, qui s'illustre régulièrement par son refus de voter les subventions aux syndicats de salariés, au cœur d'un débat difficile sur le nouveau régime indemnitaire des 4000 agents de la collectivité issue de la fusion des régions, demande à la présidente de « laisser la parole à un membre de l'intersyndicale » pour qu'on comprenne les raisons de son opposition au texte soumis à l'approbation de l'assemblée. « On a l'impression qu'il y a des avancées sociales, mais que se passe-t-il dehors ? », souligne Julien Odoul.

Ce faisant, le président du groupe d'extrême-droite, passé par le PS et l'UDI, reprend un point de l'argumentation développée par Emmanuelle Coint (LR) qui avait martelé : « Le dialogue social ne se définit pas par le nombre de réunions, mais par la qualité des échanges. Et s'il ne faut pas tout accepter, il ne faut pas tout refuser ». Elle interpelle aussi le premier vice-président, Michel Neugnot, qui a conduit les négociations : « Si comme vous dites, vous avez repris les revendications syndicales, comment expliquez-vous ce qui se passe dehors ? »  

François Sauvadet : « des améliorations à trouver »

Dehors, une centaine de personnes, agents de la région portant les bannières de cinq syndicats du conseil régional (CGT, CFDT, FO, UNSA et FSU) et militants des syndicats de la fonction publique territoriale, entourent le siège de l'agglo du Pays de Montbéliard où se tient ce vendredi 17 novembre la réunion décentralisée du Conseil régional. Il fait froid, mais il y a de l'ambiance : coups de sirène, slogans criés dans une sono puissante en alternance avec Antisocial, l'indémodable tube heavy-rock protestataire de Trust, palette enflammée aussitôt éteinte par les pompiers, cordon de police filtrant les entrées...

Le leader de la droite et du centre, François Sauvadet, ancien ministre de la Fonction publique de Nicolas Sarkozy, s'arrête un instant pour dire aux délégués qu'il y a « des améliorations à trouver » au projet Neugnot, annonçant un amendement. Il le redira dans l'hémicycle. Un agent de lycée venu en costume rayé doute ironiquement que ce soit possible : « le conseil régional, c'est le bagne ! ». Plusieurs élus du personnel critiquent le « travailler plus pour gagner moins ». Dominique Aubry-Frelin, déléguée CFDT, est remontée contre « le bénévolat » et réclame que « toutes les heures supplémentaires soient payées ou récupérées ».

Une centaine d'agents avaient déjà manifesté la veille en intersyndicale, à Besançon cette fois, sous les fenêtres du salon où Marie-Guite Dufay tenait une conférence de presse de présentation de la séance plénière de Montbéliard. Les délégués avaient donné un exemple aux journalistes, expliquant que le nouveau texte institue un forfait de 7 heures 48 pour une journée de mission à l'extérieur nécessitant des trajets plus longs qu'avant la fusion alors que ce forfait était de 10 heures pour la Franche-Comté...

Michel Neugnot : « 59% des agents gagnent et 41% ne perdent rien »

En séance, Michel Neugnot souligne, ce que personne ne contestera, qu'on ne peut déroger à la loi disant que les fonctionnaires territoriaux doivent travailler 1607 heures par an. Il dit avoir refusé la revendication de 60 euros mensuels pour tous, lui oppose que 59% des agents gagnent et que 41% ne perdent rien. Alain Joyandet (LR) en demande une illustration concrète qu'il n'aura pas.

Michel Neugnot surfe entre le flou et les principes : « j'ai voulu un équilibre entre vie personnelle des agents et vie de la collectivité... On a supprimé les trois jours de la présidente de Franche-Comté, cela nous est reproché par l'ensemble des syndicats pour qui c'est une régression sociale... J'ai voulu casser les catégories et travailler en groupes fonctionnels... Ce sont les catégories les plus basses qui bénéficieront de plus de justice sociale... Il reste à faire, à décliner les applications, on fera pour ça des groupes de travail ». Il lâche qu'il y a dans le rapport soumis au vote « quelques erreurs et oublis » qui « nécessitent une série d'amendements ».

Emmanuelle Coint est sceptique. Par ailleurs vice-présidente du département de Côte d'Or en charge du social, elle vise surtout les conditions de la fusion des régions quant elle lâche : « cela fait deux ans que ce dialogue social est conduit, mais la majeure partie du temps a été mangé par l'état des lieux et non l'échange et la co-construction... »

« Irrespectueux et agressif »

Elle s'en prend aussi à la méthode Neugnot : « les syndicats et les agents dénoncent un comportement irrespectueux et agressif de votre part. Comment voulez-vous que ça se passe bien ? » D'autant, ajoute-t-elle en venant au fond, que « nous avons des projections de pertes sèches de salaires allant de 275 à 1938 euros [par an]... Vous ne précisez pas les conditions de basculement de la part variable en 2019. Que se passera-t-il en 2018 ? Vous annoncez un coût de 2,8 millions d'euros, mais aucun document ne l'allègue... Avec une région plus vaste, l'organisation des missions demande davantage de souplesse, or le contrat que vous proposez est plus rigide : votre formulation ne tient pas compte des trajets... »

La charge est lourde. On jurerait même que Mme Coint a fait du syndicalisme quand on l'entend poursuivre : « Avoir raboté des congés exceptionnels est mesquin. Vous avez raidi le système des heures supplémentaires, vous faites commencer les heures de nuit à 22 heures au lieu de 19 heures... Vous n'avez pas réuni le CHSCT alors qu'il doit l'être quand on modifie les conditions de travail. Ça va laisser des traces » Et de demander à Marie-Guite Dufay : « reprenez personnellement ce dossier... Je n'aime pas ce qui se passe : deux ans de dialogue pour avoir un comité technique la veille de la session et un amendement sur tableNDLR : de dernière minute. On se moque du monde ! »

Service minimum au sein de la majorité

Myriam Chiappa-Kiger, conseillère régionale déléguée aux ressources humaines, n'a pas la tâche facile, mais assure avec aplomb : « nous n'avons pas à rougir de notre projet social en cette période où les droits des salariés sont malmenés ». Elle « réfute » l'irrespect de Michel Neugnot qui « ne change pas de personnalité ». Elle dénonce comme « surenchères » les « nouvelles revendications présentées hier en comité technique... » A part elle, on n'entend pas beaucoup de soutien à l'exécutif dans les rangs majoritaires sur le sujet. Le président du groupe, Jérôme Durain, fait le service minimum en reprochant sa « démagogie » à la droite et en assurant : « je m'en tiens à l'engagement de la présidente qu'aucun agent ne perde un euro ».

Sophie Montel (Les Patriotes) a « du mal à saisir la situation. Rien ne m'a hérissé le poil dans l'exposé rationnel de Michel Neugnot, mais les syndicats manifestent. Qu'il nous explique où ça bloque ». Alain Joyandet a « du mal à comprendre cette contestation rude ». Il suggère que « chacun gagne un petit peu » plutôt que « 59% gagnent et 41% ne perdent rien »...

Marie-Guite Dufay a l'air désemparé, rend un « hommage appuyé à [s]on vice-président pour le travail qu'il fait », trouve « légitimes les questions de Sophie Montel et Alain Joyandet ». La présidente ajoute : « le mécontentement me désole... J'avais dit que personne ne devait perdre, mais aussi qu'on ne pouvait pas harmoniser par le haut... »

Patrick Molinoz (PRG) : « cette situation interroge des élus de progrès »

Chahuté sur les forfaits de mission, Michel Neugnot évoque une « différence d'interprétation du texte » et lâche, un brin bravache : « si tel ou tel veut aller en justice, on verra... ». Poussé par François Sauvadet à préciser quelles sont les conditions de récupération des heures supplémentaires, le vice-président répond, comme si c'était évident : « par demi-journées ». Le chef de l'opposition rétorque : « mais il faut l'écrire »...

Poussé par Emmanuelle Coint à préciser le texte sur les forfaits de mission, il fait de même : « le temps de parcours a toujours été pris en compte le lendemain... » Elle réplique : « pourquoi n'est-ce pas écrit ? », il répond : « parce que c'est la pratique ». Elle rétorque : « Votre rédaction pousse à diverses interprétations ». Marie-Guite Dufay lui donne raison sur ce point en ajoutant : « ne nous perdons pas dans les détails... » Certes, mais c'est quand même là que se niche le diable.

Et peut-être aussi les deux abstentions qui montrent que la majorité est ric-rac et sans doute minée par les doutes quant à sa politique sociale envers ses agents. « On est interpellés par les organisations syndicales. Nous sommes dans le soutien au travail de Michel Neugnot, pas d'accord avec sa mise en cause par Mme Coint... Pour autant, cette situation interroge des élus de progrès », se contorsionne Patrick Molinoz (PRG, Côte d'Or) qui parle aussi pour Nisrine Zaïbi (PS, Saône-et-Loire), tandis que la deuxième élue de son parti, Francine Chopard, vote avec la majorité.

Réduite à 49 sur ce texte, la majorité allait-elle s'en remettre à la voix prépondérante de la présidente ? Non, car elle reçoit le renfort des 7 élus Les Patriotes (ex FN autour de Sophie Montel), tandis que l'Union de la droite et du centre, ainsi que le FN et deux non inscrits (ex-FN) votent contre.

Le résultat, et surtout cette addition PS + Patriotes, est accueilli par des exclamations goguenardes sur les bancs de la droite : « Bravo, Madame Montel », lance François Sauvadet. « Quelle démagogie ! », réplique Marie-Guite Dufay. « Ne venez pas nous donner des leçons quand vous êtes sauvée par Mme Montel », rétorque l'ancien ministre. 

Peu après, les groupes LR-UDI et FN quittaient la séance...

 

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