« La différence entre vous et nous, c'est que nous on accepte le capitalisme... » Denis Baud n'est pas venu faire de la provocation à la Fête de L'Huma du Doubs, samedi 26 mai à Besançon, mais il y a un brin de bravoure de la part de l'animateur des comités locaux de LREM à venir humer l'air contestataire des hauteurs du fort de Bregille, histoire d'en évaluer l'impact.
S'il est en terrain politiquement hostile, l'ancien adjoint n'est pas accueilli comme un ennemi personnel. Certains l'ont eu comme prof, d'autres comme camarade de parti quand il était encore au PS, comme l'Insoumis Emmanuel Girod qui se souvient qu'ils étaient alors en désaccord sur pas mal de choses. D'autres encore l'ont côtoyé au sein de la municipalité, comme Christophe Lime.
Ceci étant, en disant cette petite phrase sur le capitalisme devant un mini auditoire composé de deux militants communistes, d'une ancienne candidate de LFI aux législatives, d'un membre de Génération.s et d'un journaliste, le marcheur a juste. C'est bien l'adhésion ou le rejet du capitalisme qui figure la nouvelle frontière politique qui avait fini par être indéfinissable parce que passant à l'intérieur d'un parti, le PS, aujourd'hui quasi moribond faute d'avoir pu, su, voulu l'assumer. A moins que ce ne soit justement parce que le libéralisme a enfin été assumé par sa direction que le PS a implosé... De ce point de vue, Baud, qui se revendique d'un libéralisme d'abord politique qu'il estime de gauche, a sa cohérence.
L'anticapitalisme est multiforme
Quoi qu'il en soit, la clarification est en cours, sinon de plus en plus visible. Et c'est bien le mérite que l'on peut trouver aux manifestations de ces dernière semaines, tant sur les fronts syndicaux que politiques, d'en apporter la démonstration : l'anticapitalisme existe dans ce pays et il est multiforme. On se doute que dans l'hypothèse d'une transformation de la vie électorale nationale, voire européenne, sur le binaire mode américain où le Parti démocrate doit prendre en compte l'anti-capitalisme pour l'emporter, Baud se dit qu'il vaut mieux ne pas couper les ponts avec la gauche...
Ce calcul désespère régulièrement le camp de l'émancipation
C'est en effet bien de cela dont il s'agit. Quelques heures plus tard à la Fête de l'Huma, lors d'un débat sur Mai 68 avec l'historien Gilbert Carrel, de l'institut d'histoire sociale de la CGT, François Fruitet a donné l'analyse de LO sur les limites du mouvement de 68 qui semble encore de mise aujourd'hui : « on aurait dû aller plus loin dans la prise de conscience, mais le PCF et la CGT ont alors appelé, en pleine grève générale, à un gouvernement d'union de la gauche ».
Un foisonnement bruissant de toutes parts
L'histoire dira ce qu'il en est de cette controverse théorique et tactique... Pour l'heure, force est de constater l'ébullition qui agite des pans entiers d'une société plus complexe, plus fragmentée, plus nombreuse que dans les années 1960-1970. Ce que les grands médias ont abusivement présenté comme une rivalité entre la France insoumise et la CGT, voire un combat d'ego entre Mélenchon et Martinez, n'a pas pu empêcher que ce foisonnement, qui bruisse de toutes parts, soit enfin visible.
Samedi 26 mai, 10 heures, place Leclerc à Besançon. Près de 200 personnes sont venues au rassemblement associatif, l'un des trois de la ville. Militante de l'éducation populaire et des quartiers, Cécile est là parce que « ce n'est pas juste ce qui se passe en ce moment. C'est Robin des Bois à l'envers... Macron met en avant la modernité. Bien sûr, il faut inventer, mais au service de l'humanité ». Enseignant, Nicolas est très sévère : « Macron est libéral en économie et autoritaire sur le social, sa politique migratoire est scélérate. Ça me fait penser aux années 1930 quand des gens issus de la gauche se sont retrouvés à l'extrême-droite... »
Psychologue de métier, Manue est résolue : « Macron a besoin d'une opposition intelligente, construite et unie... » A quelques pas, Alice, éducatrice spécialisée, est en colère contre la loi asile et immigration, « violente, inacceptable, honteuse... » L'évacuation de la ZAD de Notre Dame des Landes l'a conduite à monter manifester à Paris. Elle ne supporte pas « l'anéantissement de ce nouveau monde créé ».
« Si un patient rate sa douche, c'est pour la semaine suivante »
Retraité de l'enseignement, Alain tient un bout d'une banderole anti-nucléaire et porte un badge de Génération.s : « je suis là pour qu'on prenne conscience des grands enjeux sur le climat, la biodiversité, l'évolution technique... » Il ne se sent pas trahi par Macron dont il « connaissait la logique néo-libérale » et pour qui il a voté uniquement pour barrer Marine Le Pen.
A l'arrivée place de la Révolution, le cortège services publics, venu de la gare, est déjà là. Descendu de la montagne Manu prend un micro pour un message encourageant : « il y avait des jeunes à la manif du 22 mai à Pontarlier. Alors si ça bouge dans le Haut-Doubs conservateur, ça va bouger partout ! »
Fort d'une bonne centaine de personnes, le cortège « santé, solidarité intergénérationnel » venu de Saint-Jacques surgit sur la place. C'est peu, mais les professionnels de la santé ont déjà manifesté plusieurs fois depuis janvier. « En EHPAD, si un patient rate sa douche, c'est pour la semaine suivante », s'insurge une aide-soignante.
A la sono de Solidaires, une chanson qu'on avait n'avait entendue depuis des années fait un tabac chez les plus anciens qui l'entonnent comme s'ils remontaient sur un vieux vélo, les plus jeunes la découvrent avec étonnement : Le Jour de clarté, de Graeme Allwright : « toutes les chaines brisées tomberont pour l'éternité... » Les voies du tram sont occupées et une rame est en rade à la station précédente. Un homme prend le micro : « il y a des handicapés dans la rame, laissez passer... » Il est entendu, mais pas écouté...
« Je suis déçu, il y a peu de jeunes, pas de blacks ni d'arabes,
que des gens contents de leur sort... »
On n'est pas à Paris où des militants de la banlieue, portant une banderole en mémoire d'Adama Traoré, prennent la tête du cortège et ne la lâchent pas. Il y a déjà eu ces dernières années des manifestations de locataires à Planoise, des rassemblements contre le terrorisme, mais à Besançon, la convergence avec les quartiers populaires n'est pas encore dans les esprits. Maurice le dit crûment : « je suis déçu, il y a peu de jeunes, pas de blacks ni d'arabes, que des gens contents de leur sort... »
Michel constate que la Marée populaire n'est « pas un raz de marée ». Un brin amer, il donne raison à Denis Baud : « le libéralisme a gagné, tous mes copains gauchistes sont devenus macronistes... » Pourquoi est-il là ? « Pour expliquer à ma fille que l'idée de résistance existe, pour éviter que les jeunes ne l'oublient, parce qu'il ne faut pas tout accepter... »