Budget 2016 du Jura : « incertitudes » contre « désinvolture »

La nouvelle majorité de droite taille dans quelques dépenses, y compris quand elles sont prévues par des conventions, en s'appuyant sur la « purge imposée par le gouvernement »... La gauche dénonce une présentation floue à la limite de la légalité qui cache un budget de moins de 300 millions quand il est annoncé à 356...

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A combien se monte le budget 2016 du département du Jura ? 324,1 millions d'euros, assure le président Clément Pernot (LR). Pas du tout, rétorque la cheffe de file l'opposition Danièle Brûlebois (PS) en avançant 297,8 millions ! Qui suivre ? Entre budget primitif et décisions modificatives (DM) arrivant en cours d'année, il y a de quoi avoir le tournis. Commençons par suivre les documents présentés aux débats des 16 et 17 décembre. Et parlons d'abord des recettes puisqu'elles conditionnent les dépenses.

La taxe foncière sur les propriétés bâties et les droits de mutation représentent environ un tiers des ressources des départements et sont les principaux leviers fiscaux sur lesquels ils peuvent agir. Les autres recettes stagnent, comme la taxe spéciale sur les conventions d'assurance, ou régressent, comme les dotations d'Etat ou la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). D'autres encore sont en attente de décrets d'application, concernant notamment la répartition des compétences entre régions et départements...

Du coup, les Conseils départementaux sont dans le dur budgétaire et... politique. Celui du Jura n'y échappe pas, mais son président, Clément Pernot (LR) joue sur plusieurs tableaux. En ouvrant la session budgétaire, il indique que le Jura, qui n'augmente pas le taux déjà élevé de sa taxe foncière, « subit de plein fouet une baisse de son financement qui réduit sa marge de manœuvre et sa libre administration ». Or, c'est justement l'objet de la réforme territoriale de restreindre l'intervention des départements en supprimant la clause de compétence générale et en transférant certaines compétences aux régions, comme l'action économique ou les transports scolaires. En découlent nécessairement des baisses et des transferts de recettes.

10,4 M€ de recettes en suspend

Ensuite, et l'on ne peut pas lui donner tort, il s'interroge sur l'incertitude entourant la répartition du produit de la CVAECotisation sur la valeur ajoutée des entreprises entre départements, communes et régions. Du coup, il propose un budget dans lequel celle-ci représente 21,4 M€ alors qu'il est possible qu'elle ne soit que de 11 M€, auquel cas le budget serait « modifié en conséquence », prévient-il. On attend toujours la clé de répartition de cette CVAE entre collectivités.

Les recettes du BP 2016. TFB : taxe sur le foncier bâti ; CVAE : cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ; IFER : imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau ; FNGIR : fonds national de garantie individuelle des ressources ; DCRTP : dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle ; TSCA : taxe spéciale sur les conventions d'assurance ; TIPP = TICPE : taxe intérieure sur la consommation de produits énergétique ; DGD : dotation générale de décentralisation...

 

Clément Pernot fait aussi durer le plaisir qui consiste à invoquer l'héritage Perny : « le budget prévisionnel 2015 ayant été largement sous-estimé (321,2 M€ pour un montant de crédits de paiement inscrits sur l'exercice 2015 de 367 M€ au BP+DM1décision modificative n°1 = budget supplémentaire+DM2), aucune comparaison honnête ne peut être effectuée avec le budget prévisionnel 2016. Celui-là, construit avec le souci de la plus grande transparence, s'élève à 324,1 M€. Le budget de l'exercice 2016 sera donc en diminution par rapport à celui de 2015, en cohérence malheureusement avec la purge budgétaire imposée par le gouvernement ».

Ce faisant, le président du Jura fait fi de l'usage selon lequel un exécutif sortant, à la veille d'un renouvellement, ne s'engage pas trop budgétairement afin de laisser des marges de manœuvre à ses successeurs même s'il souhaite se succéder à lui-même. Le reproche d'impréparation formulé à l'égard de l'ancien président tient autant du réchauffé que du mauvais procès en incompétence. D'ailleurs, l'audit du cabinet Klopfer, dont la présentation a plusieurs fois été repoussée, ne dit nulle part que les finances étaient mal tenues. Et si elles l'avaient été, pourquoi confier à l'ancien directeur général des services, Bertrand Speck, la mission stratégique consistant à suivre les relations avec la région ?

Présentation budgétaire « désinvolte » pour l'opposition

Danièle Brûlebois (PS) : « ce budget n'est ni clair, ni transparent. »
Photo d'archives

 

En dernier lieu, on aura cherché, en vain, dans ce budget, le récapitulatif détaillé qui permet d'avoir une vue à la fois globale et synthétique. C'est sans doute pour ça que Clément Pernot insiste sur les budgets réalisés après coup que sont les comptes administratifs : « celui de 2016 sera en baisse pour la première fois depuis dix ans, je prends date pour juin 2017 ». Car les comptes administratifs sont présentés en juin devant les assemblées... C'est donc sans surprise qu'on entend Danièle Brûlebois (PS) expliquer sévèrement : « la base d'un budget, dans toute collectivité digne de ce nom, c'est de présenter sa structure. C'est à dire section d'investissement et section de fonctionnement, avec à chaque fois les recettes et les dépenses ».

Dénonçant la « désinvolture » de la présentation, elle ne « trouve nulle part l'excédent de fonctionnement ni la capacité d'autofinancement », et explique avoir reconstruit, rapport après rapport, le document, pour établir sa propre balance générale. Elle dit sa surprise d'avoir découvert un budget de 297,8 M€ dont 47 M€ d'investissement, « alors que vous nous présentez une balance à 356,3 M€ : cette présentation financière ne nous convient pas, ce budget n'est ni clair, ni transparent. Je me pose la question de la légalité d'une telle délibération vu le flou des chiffres ».

« Vous faites un discours à la Brejnev, concluez ! »

Elle entame la discussion sur le fond que Clément Pernot n'a pas encore abordée : « les principales dépenses sont celles des solidarités, augmentées de 10 M€, vous n'avez fait que votre devoir, ce sont des dépenses obligatoires qui ne représentent que 33% des dépenses quand la majorité des départements sont à 50% ». A peine suggère-t-elle « une agence départementale d'ingénierie [pour l'aide aux communes] qui aille plus loin que l'assistance technique à l'eau et l'assainissement, en l'étendant à la voirie ou l'urbanisme », que Clément Pernot l'interrompt : « Vous faites un discours à la Brejnev, concluez ! »

Les grands postes de dépenses du BP 2016. CP = crédits de paiements ; AP = autorisation de programme.

 

En fait, il ne veut pas d'un débat général, seulement des échanges sur les différents chapitres quand vient le moment de les aborder. La cheffe de l'opposition zappe alors les trois exemples de « domaines qui font les frais des coupes sombres décidées par la nouvelle majorité » qui figurent dans son discours remis à la presse : jeunesse, éducation populaire et éducation ; développement durable ; économie... Elle défend néanmoins « l'usage » consistant jusqu'alors à « passer un bon moment » sur le débat général. Il rétorque : « Laissez moi rire, les quatre années passées n'ont été que mépris de Perny pour ses amis... »

 

Clément Pernot, attaqué par la gauche sur son budget, réplique sur la purge « imposée par le gouvernement » et l'héritage Perny...

 

Un peu plus tôt, Clément Pernot avait fait part de ses préoccupations liées à la victoire de Marie-Guite Dufay aux élections régionales : « Les grands projets que nous ne pouvons porter seuls sont-ils en péril ou en attente ? » Il s'agit rien moins que l'aéroport de Tavaux, le center parcs de Poligny, le Village de vacances de Lamoura. Ce sont des dossiers dont le département est dépossédé par la loi NOTRe... On comprend que le nouveau président se fasse « du souci »...

 Désaccord... verbal sur le très haut-débit

On ne s'étonne pas non plus que l'opposition vote contre le budget global, approuvant cependant plusieurs dossiers présentés. Parmi ceux-ci, ceux concernant l'administration et les ressources humaines, ou encore l'appui aux communes, intercommunalités et réseaux d'eau et d'assainissement. Les investissements dans les collèges, dotés de 7,7 M€, passent à l'unanimité, malgré la « sonnette d'alarme » tirée par Frank David (LR, Authumes) pour le collège Bastié de Dole, et l'insistance de Danièle Brûlebois à voir traité le collège de Bletterans.

Le très haut débit numérique est l'objet d'un désaccord important. 8 M€ avaient été votés au budget 2015, rien n'est inscrit au budget 2016 : « On recule, expliquez nous », dit Jean-Daniel Maire (PS, Saint-Lupicin). « On est tributaire de l'Etat dont on n'a pas d'écrit et on doit signer notre engagement dans une société publique locale le 21 décembre », répond Jean-Michel Daubigney (LR, Tavaux). « La SPLsociété publique locale ne fera pas les choses à votre place », réplique Jean-Daniel Maire. « On attend Bercy avant d'aller plus loin, on est en ordre de marche, on fera un groupement de commande avec la Saône-et-Loire et la Côte d'Or. Ensuite, on réunira les communautés de communes pour qu'elles apportent leur contribution. Puis on affinera le budget. Et puis, que va faire la région ? », dit Jean-Michel Daubigney, provoquant cette réaction de Danièle Brûlebois : « mais elle a déjà voté 12 M€ ! C'est à nous de décider, pas une structure avec la Saône-et-Loire et la Côte d'Or ! » Clément Pernot, qui doit rencontrer les comcom en janvier, conclut : « j'attends les chèques de M Valls et Mme Dufay, ça coûte 160 M€ de mettre une prise à chaque jurassien et on n'a pas les moyens ». Réplique de Danièle Brûlebois : « Vous n'êtes pas obligé de faire pareil que les excès de votre prédécesseur... ». Les six élus de gauche votent quand même le dossier...

Et 1,6 million de plus pour l'aéroport de Tavaux...

Ils votent également 1,6 M€ pour l'aéroport de Tavaux dont 950.000 € pour « l'accompagnement commercial et la communication pour le développement des lignes aériennes » ainsi que 550.000 € de « contribution à l'exploitation 2016 » comme le prévoit la convention de délégation de service public, et 100.000 € d'entretien et de mise aux normes. La première vice-présidente Hélène Pélissard (LR) est la seule voix discordante : elle s'abstient en invoquant la « vanité mégalo de la majorité précédente » et défendra la reprise par la région où elle va siéger à nouveau dans l'opposition.

Hélène Pélissard, seule à s'abstenir sur l'aéroport de Tavaux.
Photo d'archives

 

Michel Giniès (DVG, Dole) pense à une SEM quand il dit souhaiter « trouver un mode de gouvernance permettant au Conseil départemental de garder la main sur l'équipement, et développer les destinations sans se contenter du low-cost : ne mégotons pas ! » Clément Pernot « comprend » mais ne suit pas : « si le financeur décide, la gouvernance n'est pas pour nous et il y a des investissements colossaux pour pérenniser... Le Grand Dole ne s'est pas manifesté non plus. Quant à Mme Dufay, qui était prise dans la nasse verdoyante, maintenant qu'elle est débarrassée de ces collaborateurs encombrants, j'espère qu'elle pourra avancer, mais l'affaire est plus compliquée qu'elle ne paraît ».

La Chambre des métiers et le Parc naturel régional au régime sec

La gauche s'oppose, et encore avec cinq voix contre et l'abstention de Michel Giniès, sur la diminution sensible de la participation du département à la Chambre des métiers et de l'artisanat de 140.000 à 40.000 euros. Pour la majorité, c'est la conséquence de la loi NOTRe qui « bouleverse les relations institutionnelles avec les chambres consulaires ». Jean-Daniel Maire n'est pas convaincu : « Sauvadet a signé pour 240.000 euros avec la Chambre des métiers de Côte dOr... »

La baisse de la subvention - de 180.572 à 145.900 euros - au Parc naturel régional du Haut-Jura fait monter Françoise Vespa (LR, Saint-Laurent) au créneau : elle veut une rallonge en cours d'année, « c'est un syndicat mixte, comme celui des Rousses, cela peut poser problème au département à l'avenir... » Elle fait référence à une saisine du tribunal administratif par le président du syndicat mixte de la station des Rousses, Raphaël Perrin, alors vice-président PS du département, pour obtenir le versement d'une somme rondelette (840.000 euros)...

Clément Pernot n'apprécie pas vraiment : « Ce qu'on fait, tout le monde le fera... ». Autrement dit, diminuer les aides et subventions.  Jean-Daniel Maire ironise : « Je croirais entendre Perny qui tenait le même discours. Les conventions permettent de travailler sur le long terme... » Pernot répond : « Si je perds au tribunal administratif, je paierai, mais on aura un sérieux débat sur le conventionnement ! Je dis aussi au gouvernement que lorsqu'il baisse les dotations, ça a des conséquences ».

Cette conséquence, annoncée par plusieurs élus locaux, dont le maire de Besançon ici même, est la baisse de l'investissement des collectivités locales. Une récente étude de la Banque postale et de l'Association des maires de France la chiffre à 19% de moins en deux ans...

 

 

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