Besançon : une gauche militante éclatée

Ah la gauche ! On l'a présentée morte, mais elle parle, analyse, débat, s'interroge, se déchire... En fait, la politique, en démocratie, c'est assumer les conflits pour tenter de les dépasser. De ce point de vue, il n'y pas de raison de désespérer, mais la route est longue à écouter des insoumis et un débat de l'Espace politique d'innovation... où le rapport à Mélenchon, qu'on l'apprécie ou pas, est central.

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« Venez signer la pétition contre la loi travail... » Place Pasteur à Besançon, ce mercredi 28 juin, les militants de la France insoumise de la première circonscription du Doubs ont planté un petit stand amovible, distribué un tract, récolté pendant une heure une cinquantaine de signatures... Ils occupent le pavé, sont plutôt bien accueillis par les passants, discutent avec certains. Les vacances vont arriver et ils sont là pour prévenir des « mauvais coups de l'été » alors que l'Assemblée nationale n'est pas encore installée, que le premier ministre n'a pas encore prononcé son discours de politique générale du 4 juillet.

Tout est allé très vite depuis : audition dans la foulée de la ministre du travail, des organisations syndicales et patronales le lendemain... Examen du projet de loi habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnances le 10 juillet... Ce 28 juin, il était juste temps pour les Insoumis de se montrer. Une fenêtre de tir, comme disent les communicants... « Beaucoup de personnes disent ne pas être au courant que le projet est dans la presse », dit Françoise. « Les gens doivent être conscients de ce qui va leur tomber sur la tête. Tout le monde sera en CDD, c'est dingue », constate José Gahona, candidat-suppléant aux législatives.

Les citoyens, et notamment le peuple de gauche, n'aspirent-ils pas à souffler un peu ? Histoire de prendre quelques forces pour les mobilisations de l'automne ? « D'accord, mais nous, on commence maintenant », répond José Gahona. Le relais sera pris peu après par les députés insoumis. Ils déposeront de nombreux amendements dans un temps imparti très court, mais ils pèsent très peu dans l'hémicycle, même en leur adjoignant les communistes et une partie des socialistes...

Les divergences internes aux Insoumis

Pour l'heure, à gauche, le moment est plutôt à l'introspection, aux analyses, aux discussions. Les divergences sont légions et la France insoumise n'y échappe pas. On en avait déjà repéré entre les militants des deux circonscriptions bisontines : ceux de la première n'avaient pas jugé utile de participer au débat organisé par l'Espace de dialogue des gauches et des écologistes. Ceux de la deuxième s'y étaient rendus, avouant à mots couverts des désaccords, au moins de méthode. 

Chez les militants de la première, les deux soirs de débats pour savoir s'il fallait ou non soutenir Barbara Romagnan pour le second tour ont laissé des traces. « On était 95% pour la soutenir », assure José Gahona. La candidate titulaire, Habiba Delacour, s'est arcboutée sur une position de refus, renvoyant à des votes de budgets de la frondeuse. Expliquant aussi « l'impossibilité de voter PS », notamment parmi la jeunesse. Faisant fi des positions constamment prises par l'ex députée, éludant le fait que l'expliquer en interne relevait aussi de l'éducation populaire dont se prévaut la France insoumise.

« Ne pas débattre sous une chape de haine »

Ces divergences ont longtemps été minimisées, voire niées durant la campagne. La défaite électorale ne peut que les raviver. Ne pas les exposer, les discuter, serait mortifère. EPI, l'Espace politique d'innovation, s'y est essayé le même jour en réunissant une cinquantaine de personnes - la plupart de plus de 60 ans - dans l'objectif de « ne pas débattre sous une chape de haine ». Beaucoup sont passées par le PS. Elles ont partagé leurs votes au premier tour de la présidentielle entre Hamon, Macron et Mélenchon, ont surtout voté Macron au second tour, un peu blanc ou nul.

Hormis une altercation causée par la violence des mots employés par un ancien député à l'égard de Mélenchon, les uns et les autres se sont écoutés malgré des analyses de la situation diamétralement opposées. Il y a les optimistes, ceux qui saluent, comme Alain, « la chance historique d'avoir un président hors-clivage ». Ceux qui sont sur un nuage, comme Gérard qui vit « une époque extraordinaire, c'est une époque formidable pour l'ensemble des catégories sociales et territoriales ». Qu'on ne le voie cependant pas comme le ravi de la crèche : « j'ai démissionné du CA d'EDF contre Macron, je ne suis pas naïf... »

Y aurait-il des béats ? Dans ce cas, le syndicaliste CFDT Norbert en serait : il donne d'avance quitus à la ministre du travail Muriel Pénicaud et pose un acte de foi : « le patronat devra partager le pouvoir et les orientations stratégiques ». Certains sourient, il réagit de même : « j'entends les ricanements... »

Perdus, naufragés, étonnés...

Il y a les perdus, comme Maurice qui a « mal à toute [sa] gauche », déplore le « naufrage du PS : depuis quand une AG du PS a remué des idées ? ». Comme François qui a « très mal vécu le débat législatif bisontin : je soutenais Eric Alauzet et Barbara Romagnan ». Il est inquiet de l'élection de Macron : « tout en moi dit alerte rouge... Ma crainte, c'est que les CSP+catégories socio-professionnelles supérieures soient seules à s'y retrouver, que les milieux populaires soient marginalisés... »

Faut-il mettre les étonnés parmi les perdus ? Un autre Gérard dit sa « surprise qu'Eric Alauzet ait voté Macron tout en défendant en réunion le programme de Hamon », partage le « libéralisme sociétal et l'engagement européen du gouvernement », est « inquiet sur l'économie où tout est à la droite », constate que « des candidats insoumis ont été élus avec des voix socialistes contre LREM ».

Il y a les intellectuels, qui cherchent des explications à la situation. Comme Marcel pour qui « la victoire de Macron est le révélateur de l'épuisement de notre vie démocratique ». Il estime que le président élu a « constitué un grand parti centriste » et porte l'idée d'un « gouvernement des experts : ce serait plus une affaire technique que politique, ça correspond à l'idéologie libérale ». Il voit trois faiblesses au nouveau pouvoir : « il a peu d'adhésion populaire ni d'engouement, il repose sur une fragilité démocratique, il peut dire deux choses contradictoires sans les dépasser : la communication ne suffira pas... » 

Divers degrés d'opposition

Il y a ceux qui soutiennent la nouvelle majorité et ceux qui sont dans l'opposition, mais à des degrés divers. La communiste Evelyne y est totalement, dit son « malaise après l'élection et l'intervention de Gérard ». Elle défend une gauche qui « défend les acquis sociaux, se bat pour les services publics ». Elle considère qu'il n'y a « pas de démocratie sans collectif de pensée », dit craindre « un pouvoir très autoritaire aux tentations liberticides ». Un troisième Gérard, écologiste, est « pessimiste : le président est autoritaire, un bonimenteur de foire ayant l'appui des médias, dont le projet est rétrograde : la sécurité de l'emploi va empirer, les inégalités croître, on sera sans arrêt entre lobbies et politique... » 

Michel, élu municipal socialiste, est-il dans l'opposition ? Sans doute quand il explique qu'il « faut un clivage fort sinon on a 57% d'abstention et 10% de blancs et nuls ». Il voit la présidentialisation du régime comme « une cause de blocage », voire d' « infantilisme : à chaque fois on attend... » Tout cela l'inquiète : « l'orientation de Macron, la manière de gouverner, de parler sont autant de signes d'abaissement du parlement... »

Jean-Louis, qui a quitté le PS il y a fort longtemps, est carrément dans l'opposition, lui a voté Mélenchon aux deux tours de la présidentielle. Il voit dans la France insoumise « un potentiel à ne pas mettre de côté ». De fait, une large part du débat porte sur le rapport à Mélenchon. Pour quelques uns, c'est un dictateur en puissance, un danger même s'il est moindre que le danger Le Pen. Hervé lui impute la responsabilité de la défaite de la gauche, voit en lui un « imposteur qui a volé les voix de la gauche ». Joseph dénonce « les clowneries de Mélenchon à qui il faudrait se soumettre. Ne nous laissons pas botter les fesses... »

La France insoumise incontournable, mais...

Pour d'autres, Mélenchon est incontournable. « Il faut prendre en compte son pourcentage et sa dynamique », dit Michel. « Rien ne se fera sans eux », assure Christian qui est proche de Hamon et voit dans Macron la copie de Blair et Schroeder. Jean-Paul est « en désaccord avec Mélenchon, mais ses quasi 20% ne sont pas rien, il s'est passé des choses dans les quartiers populaires, on doit le prendre en compte... Je suis pour restaurer une vraie social-démocratie à dimension écologiste... La gauche radicale y arrivera-t-elle ? Peut-être que oui... »

Incontournable pour construire une véritable opposition de gauche, Mélenchon est controversé. Gérard l'écolo met « dans le même sac En Marche et la France insoumise qui sont des négations démocratiques ». Jean-Louis n'est pas d'accord : « Il y a eu un mode de concertation et de consultation très différent de la thèse dictatoriale qu'on présente ». Evelyne la communiste ne voit dans l'attitude des Insoumis « aucune volonté de réaliser une union pour devenir majoritaire un jour ». Pour François, « les Insoumis sont dans la postures, ça ne m'intéresse pas... »

Le premier Gérard donne une clé de la recomposition politique en cours : « Quand Hollande a été élu, je voulais une politique entrepreneuriale mais sa base sociale était contradictoire, on repeignait en rouge des revendications corporatistes... » Du coup, le macronisme peut être vu comme une forme d'alliance socialo-centriste comme la vie politique française en a connu. Avec un bref bonheur sous le Mendes-France décolonisateur, pour le malheur de la gauche avec Guy Molet.

Reste, comme le souligne Anne-Sophie, « la volonté de dépolitiser de Macron » face à laquelle « il faut repolitiser ». S'il y a quelque chose de commun aux différentes nuances de gauche, c'est peut-être ça. Encore faut-il s'entendre sur qui est de gauche... Donc savoir si les macronistes de gauche, comme il y eut des gaullistes de gauche, peuvent participer au débat de la reconstruction de la gauche. Ça peut prendre « un certain temps », mais l'histoire montre que le mouvement social est le principal creuset populaire de la gauche... 

 

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