Besançon : un débat d’urbanisme tronqué

Un pseudo débat d'urbanisme s'est tenu au conseil municipal de Besançon du mois de mai, sans, curieusement, s'appuyer sur les travaux de l'Agence d'urbanisme de l'agglomération. Du coup, la seule approche par le marché immobilier a empêché d'appréhender d'autres enjeux.

relancons

De 2001 à 2010, les espaces artificialisés ont augmenté de 1157 hectares sur le territoire de la Communauté d'agglomération du grand Besançon (CAGB) où leur proportion est passée de 10 à 12% de la superficie totale. Ce constat alarmant figure à la page 30 du rapport d'activité 2015 de l'Agence d'urbanisme de l'agglo (Audab). Le document précise que 904 hectares ont été pris à l'agriculture et 424 sur la forêt. La moitié de ces 1157 hectares est consacrée aux habitations, un tiers aux activités, et 14% aux voies de communication.

Dans le même temps, 49 hectares agricoles sont devenus forestiers et les espaces naturels ont gagné 171 hectares, mais parmi ceux-ci apparaissent des « espaces délaissés » le long de la LGV et des rocades... Il n'est pas indiqué si ces espaces naturels délaissés sont ou non pollués par les résidus de la circulation routière toute proche.

Voilà qui aurait pu constituer une solide entrée en matière du débat d'urbanisme du conseil municipal de Besançon du 12 mai 2016. Il n'en a rien été. Jean-Louis Fousseret a surtout voulu en faire l'instrument d'une réponse à une enquête journalistique diffusée en 2014 sur France 3 qu'il juge « calamiteuse ». La chaîne publique avait mis l'accent sur un important taux de vacance immobilière, passé de 6,8% à 10% en quelques années. Elle n'avait rien inventé, on trouve le chiffre de 10% de vacance dans le parc locatif en 2010 à la page 25 du diagnostic du PLHprogramme local de l'habitat 2013-2019 réalisé par l'Audab qui situait le phénomène dans une tendance générale. Elle se limitait à 4% dans le parc public.

Extrait du diagnostic du PLH (source Audab).

France 3 mettait aussi en cause une dérogation permettant à la ville de bénéficier du dispositif Duflot de défiscalisation de l'investissement immobilier des particuliers après avoir eu du Scellier, ce qui a conduit selon elle à trop construire. Sa caméra montrait notamment les nombreux logements vides d'un programme adossé au bois de Bregille, aux confins de la ville et de Chalezeule. La journaliste ajoutait que 110 millions de subventions avaient ainsi aidé la construction immobilière à Besançon, agissant comme d'une drogue pour les promoteurs. Elle avait donné la parole à Fabrice Jeannot, patron de la SMCI, et à Jean-Louis Fousseret qui niaient l'existence d'une « sur-offre » de logements.

Quand on sait l'addiction du maire de Besançon aux « bons » articles sur sa ville, et surtout sur sa politique, on comprend qu'il ait voulu faire partager une autre vision. Pour ce faire, il a fait appel au cabinet lyonnais Adéquation et au bureau d'études Guy-Taieb-Conseil. Le premier est un consultant immobilier auprès des collectivités, des bailleurs sociaux et des promoteurs, le second est spécialisé dans les politiques locales de l'habitat et intervient pour des collectivités. La ville les a « déjà fait travailler sur les Vaites et les Hauts de Chazal pour le positionnement marketing », explique l'adjoint à l'urbanisme Nicolas Bodin.

Des cabinets qui ont le bras long

Les deux structures ont donc rendu une étude dont la synthèse a introduit le débat municipal du 12 mai. Le hic, c'est qu'on a eu droit non à un débat d'urbanisme, une compétence municipale, mais à une polémique assez confuse sur le logement qui est une compétence de la CAGB. D'où une « difficulté à débattre » que Pascal Bonnet (UMP) n'a pas manqué de relever. D'après l'étude des consultants, la vacance est plus faible que mentionnée par France 3, et même inférieure à la moyenne nationale. Elle est très faible dans les grands logements et dans le neuf, ce qui leur fait dire que « retenir et attirer les familles avec enfants à Besançon est un enjeu principal ». Fallait-il cette nouvelle étude pour le savoir ? Peut-être pas, mais les cabinets Adéquation et GTC ont, à en croire Jean-Louis Fousseret, de l'influence : « ils font des cartes pour que les opérateurs nationaux s'installent ».

Adéquation et GTC constatent aussi une reprise de l'augmentation démographique de la ville à partir de 2011 après une perte de 2000 habitants en quatre ans. Utilisant la méthode du point-mort, considéré comme le nombre de logements neufs nécessaires pour une population constante, les consultants concluent que le besoin se situe entre 500 et 550 logements par an sur la ville. C'est moins que la moyenne annuelle de 600 logements constatée depuis 2008, moins que l'objectif de 730 logements (1100 dans l'agglo) fixé par le programme local de l'habitat 2013-2019, moins que les besoins estimés entre 1240 et 1390 par an sur l'agglo par la DREAL pour la période 2015-2020. La DREAL précise même envisager deux hypothèses en fonction de l'évolution du poids démographique de l'agglomération (180.000 habitants)  au sein de l'aire urbaine (245.000 habitants).

Moins de nouveaux logements locatifs publics

L'Audab analyse régulièrement les problématiques liées au logement, en les situant dans le vaste champ de l'urbanisme qui intègre la démographie et l'économie, l'environnement et la sociologie. Le logement, quant à lui, dépend de la conjoncture économique générale, mais aussi des politiques publiques dédiées. Depuis plusieurs années, elles ont sensiblement glissé du soutien au logement social, rebaptisé logement locatif public, aux incitations fiscales censées orienter des investissements vers du locatif privé.

Or, la main invisible du marché est plus célèbre pour déréguler et créer des bulles spéculatives que pour organiser et planifier. Le logement social public a nettement moins progressé entre 2004 et 2011 (414 constructions) que les autres logements (1000 logements neufs construits chaque année entre 1999 et 2009). Quant aux prix des logements, chacun sait qu'ils ont explosé : un 60 m² bisontin est ainsi passé d'une moyenne de 90.500 euros en 2000 à 176.000 euros dix ans plus tard, indique l'Audab.

Dans ces conditions, le débat consistait à tenter de montrer que la ville planifie, utilise des outils publics et privés lui permettant d'affiner sa connaissance des évolutions du secteur, afin d'orienter le marché ! C'est à dire attirer les opérateurs qui ont « besoin être rassurés », dit Jean-Louis Fousseret, « cette étude, Bouygues, Vinci, Eiffage vont la lire... Je suis pour que Besançon soit une ville où il fait bon vivre et investir... »  

Pour la droite, l'étude enfonce des portes ouvertes

Les conseillers municipaux n'avaient cependant pas l'étude sur leur pupitre le 12 mai. Ils ont entendu la représentante d'Adéquation dire que c'est le moment de « diversifier l'offre de logements à construire et de valoriser le parc existant » en « augmentant la part de logements abordables pour correspondre au besoin d'un plus grand nombre de ménages », notamment ceux à « revenus intermédiaires (1700 à 2500 € pour une famille de 3 à 4 personnes) ». C'est le moment car « les investisseurs reviennent via le dispositif Pinel », les bas taux d'intérêt  et l'élargissement du prêt à taux zéro, mais aussi parce que « de nombreux terrains sont disponibles sur la ville qui a la capacité d'en initier l'aménagement sous maîtrise publique ». Elle propose enfin d' « intensifier la requalification et poursuivre le renouvellement urbain » qui auront un « impact direct sur le taux de vacance qui reste haut dans le parc construit des années 1950 à 1970 ».

Tout cela avait bien fait rire les élus de l'opposition de droite. Dans le genre : on enfonce des portes ouvertes. « Le marché immobilier est atone quand on discute avec les agences immobilières et les notaires », soulignait Jacques Grosperrin qui trouvait que les mots de l'étude sont « trop choisis pour nous rassurer : où est l'attractivité ? Vous donnez l'impression qu'elle ne se mesure qu'aux logements ».

« On nous demande de freiner sur les maquettes »

Car tout était présenté comme pour justifier la dizaine d'opérations d'urbanisation - et non d'urbanisme - en cours ou programmées, certaines sur dix ou quinze ans. Est-ce pour rassurer du dynamisme de la ville au moment où des incertitudes pèsent sur une partie de ses emplois publics avec la réforme de l'Etat et la fusion des régions ? A la suite de l'Audab qui a bien  noté la baisse récente du nombre d'étudiants avant sa stabilisation, Catherine Comte-Deleule (UDI) s'interroge sur l'avenir universitaire : « dans les facs, quand on travaille sur les maquettes 2017, on nous demande de freiner, de faire autre chose que Dijon. Les étudiants sont là pour un ou deux ans, mais après ? »

Dans la dernière livraison des chiffres clés de l'observatoire de l'habitat, parue en septembre 2015, l'Audab expliquait que le marché immobilier avait « tourné au ralenti » en 2013 et 2014 « comme dans la plupart des villes moyennes », et qu'un frémissement était observé fin 2014 sans que le début 2015 ne puisse « conclure à sa pérennité ». L'analyse se poursuivait prudemment : « l’assagissement des prix et les bonnes conditions bancaires ne suffisent pas à relancer l’activité sur le marché. Le retour de la confiance en l’avenir chez les professionnels et les particuliers conditionne une réelle reprise. »

Municipaliser les sols constructibles ?

Les conséquences d'une éventuelle reprise ne sont pas sans enjeux, soulignait aussi l'Audab, grande absente du débat municipal. Outre l'artificialisation des terres, ils sont d'ordre esthétique, voire identitaire, et dépendent de l'organisation économique. C'est du moins ce qu'on comprend à la lecture de cet avertissement figurant page 15 du rapport d'activité 2015 : « Certaines opérations contemporaines montrent un véritable risque de banalisation architecturale, souvent lié à l’utilisation de formes simples permettant de meilleures performances énergétiques et des économies d’investissement. Cette problématique représente un challenge pour les concepteurs mais aussi pour les maîtres d’ouvrage, qui ont la responsabilité de continuer à construire l’identité du territoire de demain avec les moyens financiers contraints. »

Une autre difficulté de l'urbanisme, français, et non plus seulement bisontin, réside dans les prix du foncier. « C'est un facteur explicatif essentiel des dynamiques démographiques et résidentielles. Ils ont pour conséquence de favoriser l’éloignement géographique à Besançon et ses emplois, accentuer la réduction de la taille des ménages et le vieillissement de la population dans certains secteurs de l’agglomération », écrit l'Audab. Cela pourrait être une incitation à poser politiquement la question du statut de la propriété foncière urbaine. Des villes d'Europe du nord ont carrément municipalisé les sols constructibles pour bloquer la spéculation...  

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