Besançon : l’accueil cousu-main des élèves allophones au lycée Victor-Hugo

L'établissement de Planoise vient de tenir une semaine des langues mondiales déclinant proverbes et musique, cours de français langue étrangère sur mesure pour migrants, cafés linguistiques et cuisines exotiques. Vendredi à Dijon, le conseil régional a voté 100.000 euros pour l'apprentissage du français par les réfugiés que le FN appelle clandestins...

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« En buvant l'eau du puits, n'oubliez pas ceux qui l'ont construit ». Ce proverbe chinois écrit sur une feuille A4 est affiché sur une vitre du préau du lycée Victor-Hugo de Besançon avec quelques autres formules bien senties venues d'ailleurs. Il voisine ainsi avec quelques dictons arabes comme « la science est une lumière qui éclaire l'ignorance » ou italiens tel que chi dorme non piglia pesci que l'on peut traduire par qui dort ne prend pas de poissons....

Un peu plus loin, le gros pilier circulaire expose d'autres maximes et quelques citations relatives aux langues et au savoir. Du philosophe Ludwig Wittgenstein — « Les limites de ma langue sont les limites de mon monde » — à la musicienne Sarah Caldwell — « Apprenez tout ce que vous pouvez, dès que vous le pouvez, de qui que ce soit ; il viendra toujours un temps où vous serez reconnaissant de l'avoir fait ».

Calligraphie arabe

Vous l'aurez compris, c'était la semaine des langues mondiales de l'établissement... avec un petit mois de décalage avec la semaine des langues du monde de la Maison de l'Europe en Franche-Comté. « On a voulu continuer sur les langues non européennes car ce sont celles de nos élèves allophones », explique Fernand Mathias, professeur de français langue étrangère ayant officié au CLAcentre de linguistique appliquée avant d'œuvrer à Victor-Hugo depuis dix ans.

Décaler de quelques semaines l'événement permet aussi d'attendre l'arrivée au lycée des assistants d'anglais — une Canadienne et un Etats-Unien — et d'espagnol pour insérer des cafés linguistiques au programme. Il comprenait aussi de la calligraphie arabe avec l'association Des Racines et des feuilles, une initiation à la caporeira, des déjeuners « d'ailleurs » préparés par les cuisiniers du restaurant scolaire... et un concert de blues africain de Joyce Tape, jeudi 13 octobre, hélas peu suivi  par les lycéens à une heure où ils avaient la liberté de sortir : « c'est un petit peu un gâchis car il y a beaucoup de qualité, et en même temps c'est bien qu'ils aient le choix de prendre l'initiative d'aller, ou pas, vers la culture », notait Jean-Marie Pugin, professeur d'espagnol, musicien lui aussi.

La chanteuse ivoirienne est également engagée dans un travail musical avec quatre collèges : Clairs-Soleils et Victor-Hugo à Besançon, Saône et Noidans-les-Vesoul. Travaillant avec les enseignants en musique et en français dans chaque classe, elle participera avec elles au festival Voix d'enfants en mai prochain à Vesoul.

« Avec les guerres, des élèves arrivent directement en France, en cours d'année, sans savoir le français : avec eux, je démarre à zéro »

Passé par le théâtre, l'écriture de chansons, la poésie, Fernand Mathias adapte ses cours de français pour allophones à la petite trentaine de situations rencontrées chaque année au lycée. Il est là pour ça. Il donne deux heures par semaine aux élèves de seconde et de première ayant déjà été confrontés au français en collège, une heure pour les terminales. « Je fais du soutien linguistique pour ceux qui en ont besoin. Mais avec les guerres, des élèves arrivent directement en France, en cours d'année, sans savoir le français : avec eux, je démarre à zéro. Pour certains, il faut quatre ou six heures par semaine, mais je dois trouver les heures dans mon emploi du temps ».

Eric Buecher, le proviseur-adjoint, confirme, défend ce dispositif très particulier dans un lycée : « Le problème des allophones, c'est qu'ils ne parlent pas français à la maison, ne regardent pas la télé française, ne parlent pas français avec leur copains. Ils ne sont pas immigrés. Or, on sait que le meilleur moyen d'apprendre, c'est le bain linguistique. On le voit bien avec nos assistants de langues étrangères, en 6 mois, ils sont vraiment boostés. Certains élèves allophones arrivent entre 16 et 20 ans sans parler français. On les prend parce qu'ils ne peuvent pas aller au collège ».

« C'est une bonne méthode »

Fernand Mathias nous présente Naveen, 18 ans, arrivé du Sri Lanka en février 2015 : « c'est le fils d'un réalisateur de cinéma qui a fait un film contre les terroristes tamouls qui l'ont menacé. Toute la famille a suivi à Besançon le père qui est réfugié », explique l'enseignant. Le jeune homme comprend bien le français et le parle spontanément avec un léger accent et un bel enthousiasme : « j'espère rester là, je vais passer le bac de français... »

A son arrivée au lycée, en avril 2015, Naveen était entre les niveaux A1 et A2 du débutant. « Il a fait un mois au CLA, puis à la rentrée de septembre 2015 a entamé une première en deux ans. La première année, il écoute le cours, la deuxième, il la refait », explique le professeur. « C'est une bonne méthode », souligne Naveen qui parle anglais en famille et français au lycée. Il a aussi un autre atout d'intégration : « c'est un grand joueur de cricket qui fait monter l'équipe de Besançon qui n'a perdu qu'un match avec lui », dit Fernand Mathias.

En fait, les élèves à qui Fernand Mathias enseigne sont dans des situations très disparates et les cours doivent être cousus-main, explique Eric Buecher : « Il y a des Africains francophones ayant besoin d'adapter leur maîtrise du français à des contraintes de vocabulaire technique ou scientifique. Quand il y a des Syriens suivant des études scientifiques ayant un bon niveau de math ou de physique, on les met entre les mains de M. Mathias. Mais c'est très différent en histoire-géographie ou d'autres disciplines où l'on est confronté à d'énormes barrières culturelles ».

Reste, comme l'écrivit Nelson Mandela, « quand vous parlez à un homme dans une langue qu'il comprend, cela lui va droit au cœur »...

 

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