Besançon : la recomposition politique qui vient…

Entre sidération et enthousiasme, fatalisme et stratégie, les militants locaux s'adaptent à la nouvelle donne politique. En Marche et France insoumise continuent sur leurs lancées... Attention à ne pas rater la marche des législatives ! Notre reportage du soir du scrutin...

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Un jeune couple regarde avec mélancolie le grand écran du Kursaal qui retransmet les débats de la télé. Gérard Collomb et Jean-Pierre Raffarin se retrouvent derrière Macron, représentants du « système » en soutien du héraut du « renouvellement »... Ils ont voté Mélenchon, en 2012 et en 2017, ont espéré sa présence au second tour. « J'ai vu mes parents en pleurs le 21 avril 2002 », lâche Lucie. « C'était un choc, alors inattendu. Je n'ai pas envie de faire le même geste. Macron, les gens ne le mettent pas au même plan que Le Pen, mais c'est quand même un désastre... La poursuite du désastre... Comment les gens ont-ils pu se laisser berner, c'est comme de la magie... Quand Collomb dit entendre la colère, mais on on entend ça après chaque élection ! »

A quelques pas, Pascale, venue de ferme bio du plateau, est sur la même longueur d'ondes : « en 2002, ils nous ont pris pour des cons... » Un homme commente : « C'est un peu le résultat qu'on attendait, Macron oui, Le Pen, non... » Dans la salle Proudhon voisine où sont centralisés les résultats, Jean-Louis Fousseret s'installe à une table face aux micros et caméras : « Alexandra, tu viens ? », dit-il à la référente départementale d'En Marche. Alexendra Cordier répond : « Non, c'est toi qui parle ». Le maire se dit « heureux », parle de « renouveau », de « progrès », de « jeunesse », assure que son candidat est « le meilleur défenseur contre le FN ».

Une clameur se lève à l'extérieur : « Résistance ! Résistance ! » Le maire de Besançon réagit : « Je comprends la déception de certains, l'ennemi, c'est pas Emmanuel Macron, c'est le FN... » Passe l'ancien député PS Joseph Pinard, tout en nuances : « on a évité le Venezuela au second tour ». Fousseret invoque « une large majorité à laquelle appellent l'ensemble des forces de gauche et du centre ». Pinard opine : « Mendes-France a eu des ministres de droite... »

« Tu ne peux pas représenter le PS en ayant dézingué François Hollande... »

Fousseret insiste à nouveau sur la jeunesse et le renouvellement... On lui demande si c'est un programme. Il réplique qu'il y a bel et bien un programme, on lui dit que ce n'est pas la question, il répond : « je n'ai pas dit que la jeunesse est un programme ». Le maire de Besançon est-il toujours au PS ? « Ils ne m'ont toujours pas exclu... » A-t-il payé sa cotisation ? Il s'exclame : « Je paie tous les mois 463 euros ! »

Voilà l'adjoint à la culture Patrick Bontemps. Pour qui a-t-il voté ? « A un moment, tu paies l'addition. Tu ne peux pas représenter le PS en ayant dézingué François Hollande... » Le premier fédéral du parti pour le Doubs, Nicolas Bodin, est plus clair : il a « voté Hamon ». Il prend la claque de son candidat avec philosophie : « on ne peut pas toujours gagner. Non, le PS n'est pas mort. En 1993, on n'avait pas 60 députés... »

Le candidat du PS n'a-t-il pas empêché la gauche d'être au deuxième tour ? « Tout dépend ce qu'on appelle la gauche... Emmanuel Macron est de gauche... » Il est « vachement libéral », lui fait-on remarquer. Il en convient : « c'est vrai ». N'y a-t-il pas, derrière le clivage droite-gauche, une articulation oui-non remontant au référendum de 2005 qui structure autant la vie politique ? « C'est la première fois qu'un candidat a un discours positif et bienveillant sur l'Union européenne... »

« L'erreur de Macron serait de dire suivez mon panache blanc... »

Nicolas Bodin se sort avec le sourire d'une remarque soulignant que le résultat de Hamon est le plus mauvais depuis la veste de Gaston Defferre en 1969 : « ce n'était pas le PS, c'était la SFIO. Et Mitterrand n'aurait pas fait le PS à Epinay sans cela... » Et aujourd'hui, comment restructurer la gauche ? Il pense aux législatives : « L'erreur de Macron serait de dire suivez mon panache blanc... Dans le Doubs, deux candidats PS sont Macron-compatibles : Frédéric Barbier et Eric Alauzet... »

Justement, voilà Alauzet : « la grande leçon de ce soir est morale... Ce que la justice reproche à Marine Le Pen est moins grave que ce qu'elle reproche à Fillon... » Pour qui a voté le député de deuxième circonscription ? « C'est secret ». On dit que c'est surprenant pour un député. Il se lance dans une explication : « J'étais favorable à une grande primaire de Mélenchon à Macron. Je pensais que c'était la meilleure façon de contrer la droite et l'extrême-droite. Je me suis inscrit dans les primaires socialistes en allant au bout. Benoît Hamon n'était pas mon candidat, j'ai du mal avec sa campagne... La primaire s'est terminée ce soir... »

Des électeurs de droite ne l'ont-ils pas faussée en votant Macron ? « Sans doute... J'ai voté pour le meilleur capable d'être au second tour. Les électeurs ont assuré une présence de gauche et au centre... » On demande : « vous avez donc voté Macron ? » Il fait oui de la tête : « J'ai voté pour celui susceptible d'éliminer Fillon... ».

« Ou on en prend pour cinq ans,
ou on impose un Premier ministre de gauche à Macron... »

Christophe Lime, adjoint communiste et candidat aux législatives face à Alauzet et Claire Arnoux de la France insoumise est là : « depuis un an, on a dit qu'il fallait rassembler. Rassemblées, on aurait pu être au deuxième tour... » On s'étonne des campagnes séparées des différents soutiens de Mélenchon : avec qui se rassembler ? « Le plus largement possible à la gauche de tous ceux qui ont gouverné... Une majorité de gauche est possible à l'Assemblée nationale. Ou on en prend pour cinq ans, ou on impose un Premier ministre de gauche à Macron... Les divisions aux législatives sont suicidaires... »

Ah ! La concurrence peut-elle se régler sur la deuxième circonscription ? « Qu'on se mette d'abord autour d'une table... J'ai une dynamique sur cette circonscription... On ne va quand même pas prendre encore cinq ans de gouvernement Hollande-Valls-Alauzet ! Je ne veux pas manifester pendant cinq ans ! Soyons intelligents, rassemblons-nous... » Joseph Pinard tendait l'oreille : « Comment faire avec deux candidats aux législatives ! Mélenchon va faire la peau au PC comme il l'a faite au PS ! »

Au bar du Kursaal, les élus écolos Anne Vignot et Antony Poulin sont comme groggy : « On se pince le nez pour le deuxième tour, je suis désespérée, mais qu'a recherché la population aujourd'hui ? », s'interroge tout haut la première. « Macron représente l'individualisme dans toute sa splendeur, je n'imagine pas construire une société humaniste avec ça », dit le second. On l'aide à avancer dans sa réflexion : qui est la force de gauche la plus forte aujourd'hui ? « C'est Jean-Luc Mélenchon, sa personnalité, son expérience, sa volonté... Mais à qui je parle localement derrière tout ça ? A Jean-Luc Mélenchon ou à la France insoumise ? » On sursaute : « vous ne savez pas qui c'est ? » Réponse : « Si ! Mais on ne sait pas tout à fait ce que c'est... Mélenchon a fait un score national, mais je ne sais pas si localement ça représente quelque chose... »

« Notre candidat a été grandiose jusqu'au bout »

Les militants de la France insoumise ne sont pas restés longtemps au Kursaal. On les retrouve au café de l'Ermitage dans une ambiance aux sentiments mêlés. « Je suis déprimée, je ne comprends pas que l'invention Macron ait porté », dit Fatima Gherbi. A la table, on croyait dur comme fer à sa qualification au second tour. Une brune, la trentaine, dit sa colère : « Vous avez vu sa gueule ? » On la coupe : « c'est du délit de sale gueule ! » Elle n'en démord pas : « Tous les petits directeurs de services publics ont la même... »

Patrick explique : « Attends, on est dans la douleur là... Macron est la créature de Hollande... » Séverine Vezies a les mots : « Notre candidat a été grandiose jusqu'au bout. Il en appelle aux Insoumis pour déterminer ce qu'on fait au second tour... » Patrick est lyrique : « un grand mouvement est en train de naître... » La brune se rappelle la campagne : « il fallait pas faire le meeting de Dijon, mais celui de Paris ! Ça rebooste ! On sentait la vague... Alors que là, en écologie, ça va continuer, la ferme des 1000 vaches, ça va continuer... »

Patrick est formel : « ça ne va pas retomber. Avec le Front de gauche on était à 10 %, là on est à 19... En cinq ans... » Il en veut à l'appareil du PCF : « les cadres ont voté contre [le soutien à la candidature de Mélenchon, la base si], ça engage peu. On n'a pas vu les communistes de Besançon dans la campagne, alors qu'en 2012, on les voyait tout le temps... » Entre temps, la campagne des municipales de 2014 est passée par là, avec la rupture politique qui s'en est suivi.

« La grande force qu'on a eue, c'est de contourer les médias traditionnels... »

Séverine Vezies fait le point : « On n'est pas au deuxième tour, mais étrangement, je me sens bien. On a fait une belle campagne, joyeuse, j'en suis fière... On a monté des groupes d'appui, l'enthousiasme est monté, des gens nous ont rejoints, pas forcément politisés. Ils sont passés outre les caricatures que les médias font de Jean-Luc Mélenchon, ont vu le projet qu'on porte... » 

Caricaturés ? Vraiment ? « Bien sûr ! Regardez le choix des photos... La grande force qu'on a eue, c'est d'utiliser les outils de contournement des médias traditionnels... » Le soufflé ne risque-t-il pas de retomber ? « Je ne pense pas. Mélenchon nous a dit de rester en mouvement. On a formé des jeunes, il y aura tant à faire après. On va faire avec nos groupes d'appui, mobiliser sur les législatives... »

Premier hic : la concurrence Lime-Arnoux. « On ne défend pas le même programme, on va montrer l'incohérence du programme de monsieur Lime dont la principale est sur le nucléaire; On montrera aussi les dissonances qu'on a avec monsieur Alauzet... C'est scandaleux qu'un député détermine son vote en fonction d'un sondage... Le mouvement va continuer... » Certes, mais tous les candidats auront-ils la persuasion, la pédagogie dont a fait preuve Mélenchon ? Fatima Gherbi ne doute de rien : « Tous les Insoumis sont capables de porter le programme... » Séverine Vezies confirme : « chaque militant a travaillé sur le fond. Les gens savent ce qu'on veut faire... »

« les deux candidats des partis traditionnels étaient perdus dans le conformisme »

L'émotion revient : « On vit une grande déception, on échoue de si peu... C'est un rendez-vous manqué avec l'histoire. Des jeunes étaient en larmes. Pas nous qui sommes passés à autre chose. Mais on a beaucoup d'amertume par rapport à l'appareil du PS qui n'a pas respecté le pacte, a parlé de dictateur, du Venezuela, de la Syrie... C'est la responsabilité de Hamon... Le PS a été irresponsable... »

On quitte l'Ermitage. On passe devant le local de LR plongé dans le noir. Les macronistes dînent un peu plus loin à l'étage d'un restaurant du faubourg Rivotte. Dominique Schauss, adjoint au maire, et Pascal Gudefin, ancien chef de projet du chantier du tram, nous offrent un verre en prenant leur dessert. « On est heureux, mais pas triomphants », dit d'emblée le premier.

Universitaire méthodique, il déroule la pelote : « la stratégie d'Emmanuel Macron, son organisation, la façon dont il a construit le projet... tout ça a donné le résultat. Mais il a fallu de la chance... » Comme au jeu, ou aux courses ? Pas loin. Cette chance, c'est que « les deux candidats des partis traditionnels étaient perdus dans le conformisme », dit Pascal Gudefin. « Et puis, on a rencontré le pays, il y a des éléments qu'on saisit... », ajoute Dominique Schauss.

« Vous avez un logiciel ancien »

Décidément, l'univers macronien aime bien le mystère... N'est-il pas plus prosaïquement dans le prolongement des deux quinquennats qui s'achèvent ? L'ingénieur Gudefin assène : « vous avez un logiciel ancien ». On laisse passer la remarque en se disant qu'on l'a entendue cent fois. En l'écrivant, on se demande comment on n'a pas rétorqué qu'on avait, au moins pour réfléchir, un cerveau... Ça ne marche pas plus mal qu'un logiciel, mais passons.

Il s'explique sur le fameux logiciel : « quand on est de droite, on disait que les gens de gauche sont cons, et inversement... Sur l'économie, le monde, l'Europe, on considère les perspectives ou on se replie sur soi-même... » Certes, mais le contexte européen libéral semble poser pas mal de problèmes aux gens ordinaires, non ? La question laisse nos interlocuteurs perplexes. Il faut préciser : vous ne le voyez donc pas ainsi ? « Je l'entends dans mon entourage, mais j'ai l'impression qu'un système de codification n'est pas assez élaboré », assure Dominique Schauss.

« On n'est pas en train de construire un mouvement, mais la France... »

Du coup, c'est nous qui sommes perplexes. Il poursuit : « Emmanuel Macron dit qu'il faut débloquer les situations... J'aime par exemple quand il dit qu'il veut protéger les personnes mais pas les statuts... Il m'a par exemple convaincu quand il demande pourquoi un artisan, un commerçant, un salarié d'une grande boîte ou d'une PME n'ont pas les mêmes droits... » On suggère que c'est notamment le fruit de l'histoire. « Je ne m'en satisfait pas ! Il y a des petits patrons qui triment et n'ont pas droit au chômage. Il y a une justice à réconcilier les gens, produire de l'égalité entre français... »

Comment voit-il la recomposition politique qui vient ? « C'est par ailleurs, l'histoire est en train de s'écrire. Dans ses discours, Macron dit que la gauche n'a pas l'exclusivité de la vertu, et que la droite n'a pas l'exclusivité du libéralisme qui serait l'ennemie des classes populaires. Il décrit et voit le monde tel qu'il est... »

Payant toujours sa cotisation au PS dont il est adhérent depuis une dizaine d'années, Dominique Schauss résume : « Emmanuel Macron a bien formalisé ce que je pense, ce que je suis. Au CESER où je siège, je travaille avec le MEDEF, des environnementalistes... On s'écoute, on se respecte, on construit ensemble...Ce dialogue de la découverte m'intéresse ». Certes, mais pourquoi faire la synthèse des différences dans un même mouvement politique ? « On n'est pas en train de construire un mouvement, mais la France... »

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