Besançon : la gauche n’est pas en ruines, mais en chantiers…

Une conférence de presse « unitaire » du PCF et d'EELV est ignorée par le PS pris par son calendrier interne, jugée prématurée par Génération.s, considérée comme témoignage de « duplicité » par La France insoumise... Ça grince et ça tangue entre acteurs de la gauche bisontine dans la perspective des élections municipales de mars 2020.

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A vrai dire, les divergences ne sont pas nouvelles et de diverses natures. Avant d'entrer dans les détails du dernier couac, revenons quelques années en arrière pour comprendre comment on en arrive là. Unis en 2012 dans le Front de gauche, communistes et insoumis (qui ne s'appelaient pas encore ainsi) ont fait des choix stratégiques locaux opposés en 2014. Les premiers poursuivant l'alliance avec le PS et EELV derrière Jean-Louis Fousseret, les seconds faisant liste à part, tous revendiquant le sigle Front de gauche. Tous rangés en 2014 derrière Jean-Louis Fousseret, les socialistes sont aujourd'hui éparpillés entre ceux qui gardent une maison presque vide, ceux qui sont partis à Génération.s, ceux qui ont rejoint LFI ou s'en rapprochent, sans parler de ceux qui sont devenus macronistes, de fait hors du champ de la gauche même si certains s'en réclament encore. Une implosion du même type a fragmenté EELV où, parmi les restants, un rapprochement avec Génération.s a un temps été envisagé dans la perspective des élections européennes avant de faire long feu. La recomposition politique nationale a eu comme conséquence locale l'éclatement de la majorité municipale bisontine PS-EELV-PCF de 2014 en plusieurs étapes (ci-contre). Quel sera le prochain épisode ? On attend avec intérêt le moment de vérité du budget. Que les élus de l'intergroupe le votent, ils seront aussitôt classés au sein d'une majorité moribonde, même s'ils argumentent qu'ils ont pesé, voire évité pire... Le débat d'orientation budgétaire du 7 mars laisse entendre que ce sera le cas. Qu'ils s'abstiennent, ils seront moqués. Qu'ils votent contre, les insoumis et d'autres trouveront que c'est bien tard... Quant aux socialistes, on les voit mal s'opposer, eux qui expliquent que le programme de 2014 est respecté... Quoi qu'il advienne, la suite sera sportive.

Les programmes municipaux échappent-ils aux partis ?

Ça grince entre acteurs de la gauche bisontine pour des raisons locales et nationales, mais aussi en raison du calendrier politique. Le scrutin européen de mai mobilise des énergies et freine les préparatifs des municipales. Ne serait-ce parce que les élections du 26 mai influeront sur la clé de répartition des sièges des listes municipales. Le hic, c'est qu'à suivre ce calendrier, on risque de prendre du retard dans l'élaboration des programmes municipaux. Or, la préparation de ces programmes a déjà commencé. Par exemple au sein de l'association EDGE qui a créé une plateforme programmatique collaborative et tient régulièrement des rencontres thématiques où se retrouvent militants adhérents ou non des partis. LFI tient également des ateliers programmatiques ouverts aux non adhérents. Comment les partis intégreront-ils ces réflexions et apports ? Ce sera manifestement plus aisé pour LFI, où ils sont intégrés au processus, que pour les autres formations qui doivent articuler procédures internes et externes.

« Sans exclusive, du NPA au PS »

C'est dans ce contexte compliqué que survient donc le dernier couac à propos de la conférence du 5 mars par des élus PCF, EELV et l'association A Gauche citoyens dans la perspective des municipales. Génération.s l'a « désapprouvée » en des termes polis mais fermes : « prématurée, précipitée car elle n'annonce que de simples intentions, certes louables, mais insuffisantes ». Qu'ont donc dit de « louable mais insuffisant » Anne Vignot (EELV), Christophe Lime (PCF) et Jo Gosset (AGC) ? Qu'il fallait « élargir la démarche à l'ensemble des forces de gauche ayant été opposées à la politique anti-sociale de François Hollande », qu'il n'est « pas question de soutenir Alauzet » et qu'il y a « quatre axes de travail : écologie, solidarité, services publics, démocratie », a résumé Gosset. Lime a annoncé « un projet, une équipe, une méthode », indiquant que « l'équipe est en première ligne », qu'il souhaite une « dynamique » au niveau de l'agglomération, là « où se définissent les orientations » et « invitant les citoyens et élus » à se rapprocher d'EDGE. Vignot a précisé qu'il fallait « construire des convergences avec la Marche pour le climat et les Coquelicots » tout en spécifiant que des rencontres sont programmées avec d'autres formations politiques. Lesquelles ? Quid du NPA ou de LFI ? Réponse : « Toutes, même LO », dit Anne Vignot. « On a rarement été aussi unis », assure Christophe Lime. « Quand on parle d'unité, c'est sans exclusive, du NPA au PS », ajoute Jo Gosset.

« Le programme va définir le périmètre »

Bref, rien de bien nouveau. Sauf, peut-être sur le calendrier : « avoir fin juin une idée du périmètre [politique] », dit Anne Vignot. « C'est le programme qui va définir le périmètre », répond Thibaut Bize (PCF) en évoquant les « compromis nécessaires pour se mettre d'accord ». Et le programme, ce serait pour quand, avant la fin de l'année ? Tous opinent. Où cela coince-t-il ? En fait, un peu partout. D'abord, le message de cette conférence de presse n'était pas d'une grande clarté. S'agissait-il d'un lancement de campagne comme a réagi La France insoumise dans la nuit du 7 au 8 ? Ce n'est pas ce que nous avons entendu. Anne Vignot l'avait ouverte en indiquant qu'il s'agissait « d'exposer là où nous en sommes dans le cadre de 2020 ». Quoi qu'il en soit, cette conférence de presse s'est tenue sans le PS, pris par ses propres procédures de désignation de chef de file. Ensemble, mouvement réunissant d'anciens du NPA et des Alternatifs, n'y a pas été convié. Génération.s a fait savoir qu'elle venait trop tôt... Et LFI est furieuse qu'elle ait eu lieu quelques jours avant un rendez-vous programmé pour la semaine suivante avec PCF, EELV et Génération.s ! « S'ils souhaitent réellement travailler avec LFI, pourquoi annoncer dès à présent un nom (ndlr : L'Equipe), des axes programmatiques, une méthode d'action et un calendrier ? », dit son communiqué.

Anne Vignot investie par EELV il y a huit mois !

Cela coince aussi dans la communication des partis. Anne Vignot dit depuis l'été qu'elle est candidate « pour un projet écologique » et l'on se dit qu'elle brigue la tête d'une liste d'union sans qu'elle confirme ni démente franchement. En fait, Cécile Prudhomme, co-secrétaire locale d'EELV, nous apprend que l'adjointe à l'environnement a été formellement désignée tête de file par les militants « fin juin ou début juillet » : « on n'a pas communiqué, c'est une faute », avoue-t-elle... Ça coince aussi lorsque Pierre Gainet, le secrétaire de la section bisontine du PS, dit « notre candidat a vocation à être tête de liste ». Vu l'état de son parti, cette vocation ne tombe plus sous le sens comme ces soixante dernières années... En fait, tout porte à penser que le PS se met en situation de pallier à toutes les éventualités : y aller seul ou reconduire l'alliance actuelle selon que ses partenaires s'accordent ou pas avec LFI... Pourtant, tous ces gens se voient, débattent publiquement à l'occasion. Certes, programmatiquement éloignés, socialistes et insoumis théorisent leur incompatibilité et ne se parlent quasiment pas. Communistes et insoumis, aux programmes proches, ont des approches tactiques différentes qui semblent creuser un gouffre. Entre écolos et insoumis, c'est à qui sera le plus vert ou le plus responsable... Il y a enfin ceux qui parlent plus facilement avec tout le monde, Ensemble et Génération.s, mais qui pèsent moins politiquement et sont par conséquent moins écoutés...

Prééminence des élus sortants ?

Dans ce contexte, avoir ou non des élus dans l'actuel conseil municipal constitue un biais supplémentaire. PCF, EELV et PS y sont ; pas LFI, Ensemble et Génération.s. Avoir le nez dans les dossiers et participer aux décisions, ce n'est pas la même chose qu'être dans les mouvements sociaux et résister aux décisions. Cette distinction fonctionnelle produit fatalement des approches et attitudes différentes... qui génèrent des crispations et des incompréhensions. Il ne faut pas non plus négliger le rôle croissant des structures hors partis que sont EDGE et A Gauche citoyens. Issu de la revendication de la primaire socialiste en 2016, EDGE a évolué vers un creuset trans-partisan où cohabitent des citoyens non encartés, des adhérents de partis dont le PCF, EELV, le PS, Ensemble, Génération.s, des militants syndicaux et associatifs... De ses débats et ateliers qui se tiennent depuis deux ans pourraient sortir les grandes lignes d'un programme municipal. Mais les partis se laisseront-ils déposséder de prérogatives qu'ils ont tendance à juger leurs ? Les élus n'ont-ils pas tendance à faire parler leur vécu et leur expertise pour revendiquer une forme de prééminence ? La recomposition en cours leur signifie pourtant que rien n'est acquis... Des ateliers programmatiques, LFI en tient également depuis plusieurs mois, forte de l'expérience de la construction du programme présidentiel et législatif dès 2016. Des militants d'Ensemble, dont certains adhèrent à LFI, participent à ces ateliers. L'adjointe écologiste Anne Vignot s'y est aussi rendue une fois... Bref, la gauche bisontine n'est pas en ruines, mais en chantiers. Des chantiers nombreux, parallèles, contradictoires, à ciel plus ou moins ouvert. Bien sûr, il y a les arrière-cours et les coulisses. Et chacun soupçonne l'autre d'y préparer des potions amères, des coups tordus, des trahisons. Certains coups sont déjà partis. Qu'on songe au projet des Vaîtes qui, à n'en pas douter, sera l'un des enjeux du scrutin de l'an prochain et vient de donner lieu à près de deux heures de débat au conseil municipal du 7 mars...

Etapes d'un divorce

19 juin 2017 : le premier fédéral du PS du Doubs, Nicolas Bodin, annonce que Jean-Louis Fousseret n'est plus au PS. 22 juin 2017 : treize élus de la majorité municipale s'abstiennent sur une motion PCF-EELV-PS réclamant l'arrêt de la baisse des dotations aux collectivités locales. 30 juin 2017, le groupe PS acte le départ de fait de ses membres macronistes. Septembre 2017, le groupe LREM se constitue avec des élus issus du PS et d'EELV juste avant un conseil municipal où le maire est mis en minorité sur une motion PCF-EELV-PS sur les contrats aidés. 1er septembre 2018, les élus PCF, EELV et deux socialistes créent « l'intergroupe » en réaction à l'arrêté municipal anti-mendicité qu'ils ont laissé passer à la veille du 14 juillet. 30 janvier 2019, l'intergroupe annonce ne plus participer aux réunions mensuelles du groupe majoritaire, ce qui entraîne le retrait de la part du groupe PS, et donc la mort officielle de la majorité municipale.

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