Besançon : la fragmentation de la majorité municipale

La destitution de Jean-Sébastien Leuba de son mandat d'adjoint par une majorité LREM-UDI-PS, est-elle simplement la conséquence de la perte de confiance de Jean-Louis Fousseret ? La sanction d'un comportement peu collectif ? Un règlement de compte interne au PS ? Revue des débats et des arguments sur fond de préparation des municipales de 2020.

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On savait nombre d'élus socialistes bisontins orphelins de celui qui fut leur mentor, Jean-Louis Fousseret, descendu du tortillard PS pour monter dans le TGV En Marche. On les savait divisés sur des positions différentes quant à l'attitude à avoir vis à vis de Macron, même après la création du groupe LREM. On les savait minés par des inimitiés mêlant différends personnels ou conflits d'ambitions politiques, voire concurrence électorale interne au parti.

Il pourrait être tenant d'analyser l'éviction de Jean-Sébastien Leuba de sa fonction d'adjoint à l'aune de cette situation politique, de la division de la majorité municipale qui s'inscrit dans ce contexte national. La distribution des votes des conseillers municipaux incite d'ailleurs à cette interprétation : une large majorité des élus socialistes a voté jeudi 28 juin avec les élus LREM et UDI la destitution, acquise avec une majorité de 29 voix. Tandis que s'y opposaient 13 élus de la majorité municipale : 5 PCF, 5 EELV, les socialistes Anne-Sophie Andriantavy et Leuba lui-même, le non inscrit Frédéric Allemann. De leur côté, les 8 LR, 2 MoDem et 2 LP (ex FN) ne participaient pas au vote.

« Ne jetons pas un membre de l'équipage par dessus bord »

Il n'échappe à personne que ce vote divise à nouveau la majorité municipale, mais dans une configuration déjà observée sur la contractualisation financière avec l'Etat : la plupart des socialistes n'ont pas voté avec les partis de gauche PCF et EELV, mais avec LREM. Et accessoirement, ils montrent qu'ils peuvent permettre à Jean-Louis Fousseret d'avoir la majorité dans la majorité. Ce faisant, ils apparaissent comme centraux dans cette majorité municipale, pouvant faire pencher un scrutin à gauche comme on l'a vu sur quelques motions symboliques, ou le faire pencher vers le centre.

Cette interprétation politique est dans pas mal d'esprits. « Ne jetons pas un membre de l'équipage par dessus bord, ne changerons pas de cap », a exhorté Anne Vignot (EELV) lors d'un débat d'une heure. « Voir un adjoint portant une voix différente être destitué pose problème », avait expliqué plus tôt Thibaut Bize (PCF). Il craint que les motivations du maire ne soient légères : « les relations conflictuelles avec les services et le manque de confiance », représentent pour lui trop peu d'éléments, ce qui risque de voir « s'ouvrir la boîte de Pandore ».

« L'ambiance n'est pas bonne »

Laurent Croizier (MoDem) ne dit pas autre chose : « retirer une délégation n'est pas anodin, je crains d'autres épisodes... Il n'est pas concevable qu'il y ait des règlements de compte tous les mois : soit vous allez jusqu'en 2020, soit vous tirez les conséquences maintenant ». Ludovic Fagaut (LR) va dans le même sens en parlant de « climat délétère, de majorité fissurée, éclaboussée... » Impression confirmée par Frédéric Allemann (non inscrit, majorité) disant avoir été « choqué par la violence des propos [du maire] envers Jean-Sébastien Leuba » lors du conseil précédent. Filant la métaphore sportive, il ajoute : « monsieur le maire, que vous soyez arbitre ou entraîneur, dans le vestiaire, l'ambiance n'est pas bonne, ce n'est pas du sport de haut niveau ».

Jacques Grosperrin (LR) voit dans la décision du maire un accès d'autoritarisme consistant à « signifier à chaque élu de la majorité que s'il est d'un avis contraire, l'exemple sera retenu ». Pascal Bonnet (LR) renchérit : « tout cela s'inscrit dans la situation conflictuelle de la majorité, j'ai l'impression d'être à un conseil de discipline ». Il ajoute ne jamais avoir eu à se plaindre de la façon dont Leuba anime sa commission, ce que confirme Philippe Mougin (LP, ex-FN) qui ajoute : « On nous prend pour des jurés sans nous donner les éléments ».

De fait, le dossier paraît aussi vide que la délibération est brève et l'argumentation courte. « Entre Jean-Sébastien Leuba et moi, c'est une affaire de confiance [qui] n'existe plus », avait expliqué Jean-Louis Fousseret en présentant la délibération.

« Je ne comprends pas en quoi j’ai rompu le pacte de confiance... »

Il faut entendre Jean-Sébastien Leuba lire une intervention préparée à l'avance, rédigée au passé composé, pour réaliser qu'il sait que son sort est déjà joué : « malgré nos divergences, nos différences, j’ai eu plaisir à œuvrer pour cette ville ». Il souligne l'élargissement de sa délégation en début de mandat, sous entendu parce que confiance il y avait. Il plaide pour sa défense : « Avant de me faire confiance vous connaissiez mes qualités et mes défauts (...) J’ose dire ce que je pense, même à mes plus proches amis, mes camarades, avec convictions et engagement. Sans chercher à être diplomate, j’ai toujours pensé que la parole franche et sincère n’empêchait pas pour autant l’écoute. »

Il exprime surtout son incompréhension : « je ne comprends pas en quoi j’ai rompu le pacte de confiance avec tous les Bisontines et les Bisontins ? (...) Aucun reproche sur mon respect du pacte municipal jusqu’à aujourd’hui (...) Aucun reproche sur ma gestion du budget municipal, alors que mon budget est passé de 2014 à aujourd’hui de 3.7 millions à 2.9 millions et que nous constatons les dégâts que les baisses de dotations provoquent sur les habitants ».

Engueulade avec le directeur d'une maison de quartier

Il fait référence à des propos tenus par le maire dans la presse : « nombreux élus en 2016 vous avaient écrit pour faire part de la difficulté qu’ils avaient de travailler avec moi. Ce courrier n’a jamais été porté à ma connaissance, mais vu le nombre d’élus signataires, il a forcément été signé par des élus qui ne travaillaient pas dans les commissions de ma délégation. Le détail des faits reprochés quels sont-ils ? Je ne sais pas. Mais aucun d’entre eux n’a nécessité le retrait de ma délégation en 2016 jusqu’à aujourd’hui, selon un ultime "incident" selon vos propos dans la presse. »

Cet incident, c'est une « discussion un peu vive que j’aurais eu à la Maison de Quartier de Montrapon ». Les débats du conseil ne s'attarderont pas sur le sujet. En fait, il s'agit d'une véritable engueulade entre Leuba et le directeur de la maison de quartier où il s'est récemment rendu, alerté par un tract du syndicat FO sur une situation de souffrance au travail, pour écouter les personnels. Il « aurait mis en défaut le directeur devant les salariés », dit un élu. Le directeur s'est alors « plaint de harcèlement auprès de l'adjointe au personnel », rapporte Leuba lui-même. Celle-ci, Carine Michel, invitée à s'exprimer lors du conseil par Jacques Grosperrin, n'a rien dit. « C'est un manque de confiance, pas un problème RHressources humaines », a martelé Jean-Louis Fousseret. Pour un syndicaliste CGT, Leuba est « un adjoint se prenant pour un directeur de service ».

« Je ne choisirai pas un vote du déshonneur pour éviter un conflit... »

Seule élue PS à défendre Leuba, Anne-Sophie Andriantavy regrette qu'aucune preuve ne vienne appuyer la mesure proposée par le maire. En bonne prof d'histoire, elle paraphrase Churchill avec un brin d'emphase : « je ne choisirai pas un vote du déshonneur pour éviter un conflit... » Diamétralement à l'opposé, Philippe Gonon (UDI-AGIR) vote la destitution en reprenant les arguments managériaux du premier magistrat : « comme dans une entreprise, la confiance est une règle essentielle dans une équipe de direction ». Ce qui lui vaudra une réplique cinglante de Leuba : « Vous avez une vision ultra libérale de l'entreprise. Je n'ai pas une vision ultralibérale de la politique... »

La position socialiste, lue par Michel Loyat, évoque des « dysfonctionnement relevés depuis longtemps » et rejette par avance toute « interprétation politique » d'un vote en faveur de la destitution : « ça ne correspondrait pas à notre démarche : le maire n'est plus dans notre groupe et nous avons déjà exprimé notre opposition aux orientations gouvernementales ».

 

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