Besançon : Jean-Louis Fousseret peut-il finir son mandat ?

La question est légitime dès lors que le maire LREM (ex PS) a été mis pour la seconde fois en minorité par la majorité de gauche de la majorité municipale. Il faut la relativiser car il ne s'agit que de motions, mais que se passerait-il si les interférences avec la politique nationale remettaient en cause le programme de 2014 ? Les avis sont partagés... Réponse lors du vote du budget ?

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La situation politique est inédite à Besançon. Lors des deux derniers conseils municipaux, le 22 juin et le 14 septembre, le maire Jean-Louis Fousseret, macroniste de la première heure, a été mis en minorité par sa propre majorité ! Ses anciens camarades des partis de gauche (PS, PCF, EELV) lui ont infligé une défaite politique par 25 voix contre 16. Si quelques absents avaient été là, ça aurait probablement fait 27 à 19.

S'il a peu apprécié le camouflet, il faut cependant le relativiser. Les macronistes, rejoints sur ce vote le 14 septembre par les centristes, n'ont été battus que sur des motions, pas sur des délibérations. La différence est importante : les délibérations engagent la ville. Elles sont la traduction en actes de politiques établies par les élus de la majorité municipale dont la mise en oeuvre se débat à huis-clos avant leur présentation au conseil. Les motions sont des vœux, autrement dit des positions de principe. Elles jouent davantage du symbole, avec ce que cela implique de communication. Un élu LREM l'a souligné en séance publique en parlant de « postures », accusation à ranger également au chapitre de la communication.

« On vous tiendra au courant... »

Il aura quand même fallu plus de quatre mois après l'élection d'Emmanuel Macron pour que se constitue le groupe LREM. Rien ne se passa jusqu'aux élections législatives. Ni quand, quelques jours plus tard, le groupe PS indiqua que les macronistes s'étaient eux-même « placés hors du groupe » en quittant le parti... L'élu MoDem Laurent Croizier avait quant à lui, dès le conseil municipal du 22 juin, encouragé à la création d'un groupe LREM après que treize élus de la majorité se soient abstenus sur une motion critiquant la baisse des dotations de l'Etat aux collectivités.

Les vacances allaient-elles porter conseil ? La rentrée allait-elle accoucher d'un groupe LREM ? Ces treize élus ne pouvaient décemment pas rester non inscrits, ne serait-ce parce qu'un groupe apporte quelques moyens de fonctionnement et l'accès à une tribune dans BVV, le bimestriel municipal. Lors de la réunion du 11 septembre, le groupe communiste demande aux élus marcheurs où ils en sont. La réponse est assez laconique : « on vous tiendra au courant, mais ce n'est pas le lieu d'en parler ». Ce à quoi des élus des trois groupes de la majorité rétorquent : « dites nous ce que vous allez faire ! »

La suite, c'est une conférence de presse improviséeFactuel n'y a pas été invité jeudi à 13 heures où, au sortir du bureau du maire, le groupe LREM est annoncé. Son président Pascal Curie, candidat malheureux il y a deux ans au poste de secrétaire de la section bisontine du PS, étant quasi aussitôt contesté par Denis Baud, animateur du comité local d'En Marche qui aurait bien vu Guerric Chalnot à sa place... On en déduit que ça tangue chez les marcheurs, ce que nous confirme Baud dans un entretien (lire ici)...

La suite, c'est dans la foulée une interview d'une double page de Jean-Louis Fousseret dans BVV où il expose sa politique de communication en direction des habitants vers qui il va aller à l'occasion de huit réunions de présentation du bilan de la municipalité à mi-mandat. Aucune question ne lui est évidemment posée quant à la situation politique.

« On va continuer comme ça, ça va bien aller... »

La vérité, c'est que Jean-Louis Fousseret, mais aussi le député Eric Alauzet, ont été mis en minorité dans deux motions dénonçant sans ménagement des orientations-clés du gouvernement : réduction des dotations de l'Etat aux collectivités, remise en cause des emplois aidés.

Ces motions sont des coups de semonce. Comme il y a peu de chances que les uns et les autres renoncent à leurs logiques, il n'y a aucune raison que cela cesse. Et lorsque les décisions gouvernementales et parlementaires auront des incidences sensibles sur les politiques locales, on voit mal ce qui empêchera de passer des motions sans conséquence aux votes contraires sur certaines délibérations, la plus emblématique étant le budget au début du printemps.

En l'état actuel des informations sur les intentions gouvernementales sur le cadre budgétaire des collectivités, l'exercice 2018 devrait passer : « On a entendu qu'il n'y aurait pas forcément de décision difficile, mais que chaque collectivité devra faire attention », souligne Pascal Curie, le président du groupe LREM. Sa collègue écologiste Anne Vignot confirme quand nous lui demandons si la politique nationale peut conduire à une mise en minorité de Fousseret sur le budget : « avec les informations que nous avons, je ne pense pas, sauf coup de Trafalgar ».

Si Jean-Louis Fousseret était mis en minorité sur le budget, « ce serait fini, cela signifierait qu'on n'est pas en mesure de tenir les engagements pris en 2014 », note l'adjoint à l'éducation, Yves-Michel Dahoui (PS), lors d'un entretien à Factuel quatre jours après le conseil du 14 septembre. Juste après la réunion, il avait soufflé au maire : « ce n'est plus possible », raconte un témoin. Fousseret avait dédramatisé : « c'est rien, on va continuer comme ça, ça va bien aller... » Qu'en dit Dahoui ? « Ça doit être une volonté politique, ça ne peut pas être la méthode Coué... »

« Mettre le maire en minorité n'est pas une fin en soi »

Pour le président du groupe communiste, Thibaut Bize, « mettre le maire en minorité n'est pas une fin en soi : on est engagé sur des contenus ». Son homologue du groupe socialiste, Abdel Ghezali, absent le 14 septembre, relativise : « tout le monde traverse des moments compliqués, la droite comme la gauche ». Il ne voit pour sa part « aucune raison de ne pas continuer comme on le fait, le groupe est dans une relation de confiance avec le maire... Je souhaite qu'il reste maire de cette ville... »

Dahoui-Ghezali, deux socialistes, deux positions... Il y en a sans doute davantage si l'on songe à l'histoire mouvementée des courants, aux ambitions et rivalités, aux amitiés et... inimitiés... L'adjointe à la voirie, Marie Zéhaf (PS), ne voit pas les choses tout à fait comme ça : « les décisions sont prises au niveau du groupe qui reste solidaire ». Elle prévoit cependant que « ce qui s'est passé se passera régulièrement par rapport à la politique nationale », mais « Jean-Louis Fousseret reste le maire et on n'est pas contre lui ».

En fait, les explications de gravure ne sont pas pour tout de suite. Trois réunions de municipalité se sont tenues pour préparer le budget municipal, mais « plusieurs questions sont sans réponse », note un adjoint. Il faut en effet attendre la loi de finances 2018, traditionnellement votée par le Parlement peu avant Noël, pour que le contexte budgétaire national soit connu.

Rendez-vous au débat d'orientation budgétaire

Quelles seront les collectivités les plus impactées par le coup de rabot de 13 milliards annoncé ? Ce serait surprenant que ce soient les départements : ils ont déjà beaucoup donné et plusieurs dizaines sont au bord de l'asphyxie. Sera-t-il tenu compte de l'inflation ? L'effort sera-t-il étalé sur plusieurs années ? Passera-t-on par une phase d'incitation à la « vertu budgétaire » avant que les rétifs se fassent taper sur les doigts en 2019 ? Les collectivités n'auront-elles pas intérêt à augmenter la taxe d'habitation que 80% des contribuables ne devraient plus payer, dès lors que l'Etat compenserait le manque à gagner ? A Besançon, ils sont déjà 58% à en être plus ou moins allégés.

Ces questions agitent actuellement le microcosme. Elles transparaîtront forcément lors du débat d'orientation budgétaire en janvier ou février. « S'il y a un peu d'efforts à faire, on baisse un peu l'investissement, on rappe le fonctionnement, on augmente le stationnement... et on y arrive. Enlever 3% à un service le fait souffrir, mais ça ne se voit pas trop au quotidien », dit un élu. D'ailleurs, on est dans cette perspective depuis quelques années et la ville perd dix à quinze postes par an. « Si on est dans la même dynamique que sous Hollande, il faudra fermer un service », craint l'adjoint communiste Christophe Lime.

La question sera donc de savoir si le budget 2018 sera amputé de quelques centaines de milliers d'euros ou de deux ou trois millions. Dans le premier cas, on peut encore se débrouiller, dans le second, « on tape dans le dur ». Et si les élus admettent lors de réunions de travail que des efforts sont nécessaires, il préfèrent tous que ce soit « le service du voisin » qui soit impacté. Dans le premier cas, la majorité municipale de 2014 peut encore tenir cahin-caha. Dans le second, elle risque d'exploser.        

« La deuxième partie du mandat sera plus difficile que la première »

On n'y est pas encore, mais les ingrédients d'un clash sont dans tous les esprits. Chacun des membres de la majorité explique, sur tous les tons depuis l'élection d'Emmanuel Macron, que les engagements qui comptent sont ceux de 2014. « Ce qui nous tient, c'est le projet, mais les interférences nationales vont compliquer les choses », dit Yves-Michel Dahoui en soulignant que ce projet est « réalisé à 70% ». La politique nationale « interfère déjà, ne serait-ce avec les emplois aidés », dit Marie Zéhaf dont la délégation (la voirie) a perdu 30% de budget depuis 2011...

« La deuxième partie du mandat sera plus difficile que la première », estime Thibaut Bize (PCF). « On n'a rien rendu payant, mais des subventions ont baissé dans la Vie des quartiers ou le Sport », note Abdel Ghezali (PS) en précisant : « on a plutôt touché le sport de haut niveau que le sport amateur. On veille sur nos valeurs et quand des choses impactent notre programme, on le dit ».

« On était attentif au maintien de la subvention au CCAS, mais notre groupe est en train de changer d'avis : il faudrait l'augmenter car les besoins sociaux augmentent », explique Thibaut Bize. En juin, il avait bien relevé que « les écarts de richesses continuent de se creuser », mais le groupe communiste n'avait pas protesté contre cette baisse relative tandis que le maire soulignait l'effort consistant à ne pas diminuer l'enveloppe. Son allié de circonstance sur la motion emplois-aidés, Philippe Gonon (UDI), a indiqué qu'il faudra dire les services qu'on garde et ceux qu'on ferme... C'est trash. Et ça ne doit pas cacher que l'union de la droite et du centre réalisée en 2014 est elle aussi divisée...

« Nous sommes au début de la recomposition.
Elle suppose une vraie mutation cultuelle... »

La crise de la majorité municipale porte-t-elle en germe un renversement d'alliance ? Denis Baud (LREM), qui n'est plus élu, l'appelle de ses vœux. Mais avec 13 sièges, le groupe LREM est aujourd'hui obligé de tenir compte des 28 conseillers avec lesquels il a été élu. Il n'a pu compter que sur un seul d'entre eux, estampillé société-civile, lors du vote de la motion sur les emplois-aidés. Insuffisant est aussi le renfort de l'UDI et du MoDem qui ont ensemble 5 sièges, ce qui porte à 19 sièges le total philosophiquement compatible des macronistes et des constructifs.

Ces 19 voix peuvent-elles être le socle d'une majorité municipale redéfinie ? Après tout, Besançon a déjà connu des municipalités socialistes-radicaux-centristes dirigées par Jean Minjoz. L'ancien député PS Joseph Pinard, qui en parle souvent, en a sans doute la nostalgie... Denis Baud suggère que quelques élus PS ou LR pourraient rejoindre ces 19 macronistes et macron-compatibles et constituer une majorité de rechange.

Philippe Gonon (UDI) n'est pas loin de cette analyse, mais l'exprime plus prudemment : « nous sommes au début de la recomposition. Elle suppose une vraie mutation cultuelle. Serons-nous capables, nous comme les autres, d'aller au bout ? » Pour ce faire, il tente de convaincre ses partenaires LR sur « la stratégie : ils ne pourront pas rester uniquement sur des attitudes négatives... » Il espère aussi, comme Baud, que le PS va poursuivre sa chute : « ce n'est pas terminé », veut-il croire.

« Il faut révoquer Jean-Louis Fousseret car personne n'a voté pour un maire LREM »

Pour l'heure, les trois groupes PS, PCF et EELV, avec leur confortable majorité relative de 27 sièges sur 55, ont la clé de la fin du mandat. Ils n'auront pas été sensibles au – pathétique selon certains – plaidoyer du maire tentant de convaincre qu'il avait le bras assez long pour arracher six policiers nationaux à son ami le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, alors que la ville risque de perdre une cinquantaine d'emplois-aidés. Les plus cruels insistent sur son désarroi à constater qu'il ne rassemblait que 16 voix pour contrer le texte de ses ex-amis. Un texte qu'il aurait signé des deux mains sous Sarkozy...

La majorité de 2014 tiendra-telle jusqu'au printemps 2020, voire 2021, dans cette configuration ? Yves-Michel Dahoui (PS) pense que oui et s'appuie sur le rapport de forces idéologique issu des votes des motions : « on a la capacité à se faire entendre très largement ». D'autant, ajoute-t-il, que « les électeurs ont élu un maire socialiste qui ne l'est plus. Quand il dit qu'il est toujours de gauche, je le conteste ». Les motions seraient-elles alors des outils de pression destinés à ce que le programme de 2014 soit respecté ? « Exactement », répond Christophe Lime (PCF).

Non représentée au conseil municipal, la France insoumise voit les choses différemment : « il faut révoquer Jean-Louis Fousseret car personne n'a voté pour un maire LREM », explique Claire Arnouxnuméro 2 de la liste A Gauche en 2014, candidate aux législatives en juin 2017 dans le défilé bisontin du 21 septembre contre les ordonnances. « Il n'avait pas eu de majorité absolue », rappelle-t-elle, comme pour insister sur la précarité politique de la situation du maire.

Les atouts et les faiblesses d'Eric Alauzet

La tension, palpable à la fin du conseil municipal de jeudi 14, témoigne de la fragilité des diverses alliances municipales. On comprend dès lors que les attitudes sont pesées au trébuchet. Nicolas Bodin, adjoint à l'urbanisme et premier fédéral du PS du Doubs, assure croire en un « espace politique entre Macron et Mélenchon ». Chacun pense aux prochaines municipales, mais tout le monde s'observe, rappelant qu'elles seront précédées du scrutin européen de 2019 qui donnera quelques indications quant aux rapports de forces... nationaux qu'on aurait tort de vouloir calquer sur la réalité locale.

En attendant, Eric Alauzet, en intervenant longuement sur les emplois aidés pour défendre le contraire de ce qu'il a longtemps soutenu, fait plus que jamais figure de candidat LREM à la succession de Fousseret. Il a d'indéniables atouts personnels, mais au moins trois faiblesses politiques : il a changé de camp, il sera le candidat du pouvoir central rarement à la noce lors des élections intermédiaires comme on vient de le voir avec les sénatoriales, il subira la concurrence de l'ambitieux centriste Laurent Croizier.

Cela laisse-t-il de la place aux deux forces d'opposition nette organisées localement, LR et LFI ? Encore faut-il qu'elles sachent rassembler et se dotent d'un candidat les personnifiant. Les premiers ont Grosperrin et Fagaut, les seconds ont bien du mal avec la personnalisation, hormis Mélenchon soi-même... La droite est écartelée, comme l'a par exemple montré le ralliement d'Alain Chrétien, le maire de Vesoul dont on ne sait plus bien s'il est LR ou LREM...

Quant aux électeurs de gauche, dépités de voir la droitisation du macronisme, ne se contentant pas du progressisme sociétal, ils auront sans doute une fois de plus à arbitrer entre LFI dont les stratèges savent que le pouvoir commence par se gagner localement, et les partis de gauche classique empêtrés quoi qu'ils en disent, dans la même majorité que Jean-Louis Fousseret. Il est possible qu'à un moment, cela devienne électoralement contre-productif... « Ils lâcheront Fousseret six mois avant », pronostique un Insoumis. Si cette analyse est juste, ça promet une fin de mandat sportive !

 

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