Bernard Thibault fait la promotion des droits sociaux internationaux

L'ancien secrétaire général de la CGT est aujourd'hui représentant des travailleurs au conseil d'administration de l'Organisation internationale du travail. Sa tournée des popotes est passée par Besançon où il a tenu une conférence avec Claude Jeannerot, ambassadeur du gouvernement à l'OIT. Bernard Thibault a aussi rencontré des militants syndicaux à Besançon, Vesoul et Belfort.

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Claude Jeannerot le confesse aisément, la politique lui manque. L'ancien président socialiste du conseil général du Doubs, réélu dans son canton mais devenu minoritaire dans l'assemblée dont il a fini par démissionner, se console à Genève. Avec le rang d'ambassadeur, il est délégué du gouvernement français à l'Organisation internationale du travail. « Je ne suis pas un expert, je ne suis qu'un politique », souligne-t-il ce mercredi 23 novembre devant une soixantaine de personnes rassemblées dans un salon de l'hôtel de région à Besançon pour une conférence à deux voix avec Bernard Thibault sur le thème « l'OIT, garde-fou de la mondialisation ? ».

S'agit-il d'un excès d'humilité, vertu dont Claude Jeannerot aime souvent se parer ? Pour le coup, il le reconnaît, ce n'est pas lui que l'auditoire est venu écouter, mais la « guest star » Bernard Thibault : « je ne suis que le représentant du gouvernement, il est le représentant des travailleurs du monde entier ». Le compliment fait sourire l'ancien secrétaire général de la CGT qui corrige : il est l'un des quatorze représentants des travailleurs siégeant au conseil d'administration de l'OIT, en compagnie d'autant de représentants des patrons et de vingt huit pays, dix permanents dont la France, et dix huit qui tournent.

Quelques heures plus tôt, à la Maison des syndicats, devant une quarantaine de militants CGT, Bernard Thibault avait entendu le secrétaire départemental, Cyril Keller, expliquer que les militants de la Territoriale avaient « un mauvais souvenir » de l'ancien président du département. A l'hôtel de région, Annie Bouvier, ancienne responsable CGT des agents de la collectivité, lui dit les choses en face : « ça m'interpelle de voir Bernard Thibault à côté de vous. Lorsque vous étiez à la tête du département, les conditions de travail étaient noyées dans le dialogue ». Claude Jeannerot s'engouffre dans la brèche : « l'essentiel, c'est que le dialogue n'a jamais été interrompu... »

« Il n'est pas vrai que les USA respectent le droit syndical »

A entendre le tableau fait par Bernard Thibault, auteur de La Troisième Guerre mondiale est sociale, la situation des travailleurs à travers le monde, on se dit que la France et la plupart des pays européens sont bien mieux lotis que le reste du monde. Y compris les USA dont seulement 13% des travailleurs sont couverts par une convention collective. Les conventions collectives n'y sont que d'entreprise mais pas de branche, et la reconnaissance d'une section syndicale d'entreprise est subordonnée à l'approbation individuelle d'au moins 50% des salariés. Là où les 50% ne sont pas atteints, il n'y a ni négociation ni convention collective, et la survie moyenne dans l'entreprise des demandeurs ne dépasse pas trois mois, assure Bernard Thibault qui en conclut : « il n'est pas vrai que les USA respectent le droit syndical ».

Créée en 1919 l'OIT s'est donné pour mission, après la Première guerre mondiale, de « promouvoir la justice sociale dans le monde pour préserver la paix ». Ses outils sont près de 200 conventions internationales dont huit dites fondamentales, dites « d'application universelle » car relatives aux droits humains. On en constate donc très vite les limites lorsque l'on découvre que onze des vingt huit pays membres du conseil d'administration n'ont pas ratifié toutes ces convenions fondamentales : la Chine en a ratifié quatre, les USA deux, l'Iran cinq...

Expliquant que la dimension internationaliste des droits sociaux est une condition de la paix, l'ancien secrétaire général de la CGT refuse par conséquent les « replis » nationalistes sur les questions sociales à l'heure où l'économie est mondialisée. L'exemple du Qatar est selon lui aussi caricatural qu'instructif. Ce petit pays de 2,3 millions d'habitants dont 1,8 million d'immigrés ne fait travailler quasiment que ces derniers, rémunérés non selon leur travail, mais selon leur nationalité. L'employeur confisquant leur passeport, ils sont assignés de fait à une seule entreprise et n'ont pas de liberté de mouvement.

Qatar et Vinci

L'OIT ira-t-elle jusqu'à constituer une commission d'enquête au Qatar ? La menace a pour l'heure fait un peu bouger l'émirat qui a promis d'instaurer une loi rendant obligatoire les bulletins de paie, mais du droit à la pratique il y a encore loin car le syndicalisme y est interdit. Le groupe Vinci, qui a 45% de ses chantiers au Qatar, commence lui aussi à bouger, n'ayant pas envie d'une mauvaise publicité...

On est là dans l'action diplomatique, les petits pas, les objectifs à moyen et long terme. L'éradication du travail des enfants ou du travail forcé, dont la baisse marque le pas depuis quelques années, est envisagée pour 2030. Faut-il alors se dire qu'on n'a pas à se plaindre en Europe occidentale ? « Les batailles se jouant en France ont une portée internationale, car pour les syndicalistes, la France est un repère, elle a une histoire sociale singulière », dit Bernard Thibault. Autrement dit, les éventuels reculs du droit du travail en France ne sont pas des nouvelles encourageantes pour ceux qui veulent les faire progresser ailleurs.

L'Union européenne est également dans le collimateur du syndicaliste. Elle n'a pas ratifié les conventions de l'OIT. Du coup, ses institutions ne sont pas engagées par les signatures des états qui la composent. La condamnation des salariés de Laval et Viking devant la cour de justice européenne au motif que leur grève avait causé un préjudice économique disproportionné par rapport au motif de la grève, remet en cause la convention de l'OIT sur la liberté syndicale, estime Bernard Thibault. « C'est scandaleux que la CEJ déroge au droit mondial », dit-il devant à la Maison des syndicats. « C'est redoutable pour nous si ça fait jurisprudence », dit-il à l'hôtel de région.

Les PME, la sous-traitance et la régulation

Son alter-ego patronale à l'OIT, Garance Pineau (Medef) n'ayant pu participer à la conférence pour cause d'accident de scooter — un accident du travail —, une opinion contradictoire ne sera pas entendue. Représentant du Medef local, Etienne Boyer émettra quelques nuances : « mettre le Qatar et les USA sur le même plan, c'est forcer le trait, à la limite insultant ». Il souligne aussi que des PME régionales peuvent aussi être victimes du dumping social généré par les sous-traitances en cascade, ce à quoi Thibault répond qu'elles « pourraient reconnaître qu'elles ont intérêt à la régulation ». C'est ce qu'avait notamment souligné la CGPME, qui comme la CGT, avait porté le fer contre la concurrence déloyale sur le chantier de l'hôpital de Belfort-Montbéliard.

En fait, la principale divergence qui se sera exprimée porte sur la loi travail. Pour Bernard Thibault, certaines de ses dispositions pourraient faire l'objet d'une plainte des syndicats devant l'OIT par ce qu'elle est « en infraction avec plusieurs conventions de l'OIT ». Claude Jeannerot est d'un autre avis : « Ne comptez pas sur moi pour dire que c'est une mauvaise loi, même si je regrette le dialogue social insuffisant en amont. Mais je ne dirais pas qu'elle est en contradiction avec les conventions de l'OIT, on verra le moment venu... ».

Les pays volontaristes et les autres...

La condamnation d'une inspectrice du travail par un tribunal français est aussi considérée par Bernard Thibault hors des clous de l'OIT dont une convention garantit l'indépendance des inspecteurs du travail. Mais, note Claude Jeannerot, « l'indépendance n'est pas incompatible avec le fait que l'inspection du travail réponde à des orientations du gouvernement ».

La prééminence des instances économiques de l'ONU (OMC, FMI) sur l'OIT semble mettre tout le monde d'accord tant il est difficile d'assumer publiquement le fait que si les sanctions prononcées par l'OMC sont applicables, l'OIT n'a pas vraiment de moyens de coercition : « il n'y a pas de sanction, mais quand un pays est sous pression, il sait que le fait d'être regardé pour son droit social peut lui être préjudiciable », dit Claude Jeannerot qui est favorable à « réfléchir à des clauses sociales dans les affaires pour éviter l'étanchéité entre OMC et OIT. Des plaintes positives, incitatives sont l'enjeu du centenaire qui arrive ».

Il faudra sans doute un coup de pouce des sociétés civiles car, comme l'a dit Bernard Thibault à la Maison des syndicats, « il y a des pays volontaristes et ceux qui n'en ont rien à foutre... »

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