Barbara Romagnan : « c’est le gouvernement qui fragilise la gauche »

Une réunion de compte-rendu de mandat de la députée de l'aile gauche du PS, c'est expliquer le travail de parlementaire, mais aussi ses déceptions vis à vis de la majorité. Menaçant de voter contre le budget 2016 s'il ne réoriente pas la politique, elle pose quelques jalons pour une gauche à recomposer...

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Le compte-rendu de mandat est un bel exercice. Assez peu valorisé par les grandes entreprises du spectacle médiatique, il ne l'est pas non plus par les partis politiques. Est-ce un symptôme de leur déclin ? Il est sans doute le signe que celui ou celle qui s'y prête estime devoir rendre quelques comptes, cherche à vérifier auprès de quelques électeurs approbation, encouragement, critique... Il est en ce sens témoin de l'adhésion à l'idéal démocratique.

Barbara Romagnan s'y prête six ou sept fois par an depuis son élection à l'Assemblée nationale en juin 2012. Elle voit aussi les maires de sa circonscription, mais c'est plus classique. Mardi soir, à l'espace associatif de la rue Jules-Haag, à Montrapon, une douzaine de personnes sont venues l'écouter, plutôt bienveillantes, un peu inquiètes de la tournure de l'expérience hollandaise. « Je comprends très bien ceux qui sont allés à la manif et à la réunion de soutien au peuple grec », commence l'élue en évoquant « l'illégitimité » de la loi Macron « qui ne faisait pas partie de nos engagements ».

« Plus compliqué que réactionnaire-progressiste ! »

Le ton est donné. Aucune agressivité mais l'affirmation tranquille de convictions intactes mais bousculées. Elle dit ses doutes, avoue parfois avoir du mal à se faire une opinion : « sur la fin de vie, le clivage est plus compliqué que réactionnaire-progressiste ! Je n'avais pas d'avis avant le débat parlementaire. Je suis dans un parti depuis 20 ans, et je n'avais pas de réponse... »

Et si le sens de la vie échappait parfois à la politique ? Bien sûr, si on ne s'occupe pas de politique, la politique s'occupe de vous... « Il faut légiférer », dira dans la discussion le médecin Lazhar Hakkar, « ne laissez pas la fin de vie dans les mains des réanimateurs ! » Il venait de donner l'exemple d'un patient au dernier stade du coma, qu'un neurologue n'avait pas voulu débrancher car il avait vu un petit signe sur l'électroencéphalogramme : « Aujourd'hui, vingt ans après, il est marié et a des enfants... »

« J'ai du mal à me reconnaître dans le droit à l'euthanasie »

Barbara Romagnan avait expliqué le cheminement de ses interrogations : « Si on ne doit pas maintenir la vie coûte que coûte, globalement ce qu'on veut tous, où est la limite ? La société doit-elle signifier aux vieux que leur vie ne vaut pas d'être vécue ? J'ai la crainte qu'on puisse en venir à tuer des personnes âgées malades... J'ai du mal à me reconnaître dans le droit à l'euthanasie de l'ADMD, autant que dans l'accompagnement jusqu'au bout de Jalmalv... Ce qui a emporté mon avis, c'est le livre d'un médecin belge catholique : si on n'en peut plus, on peut arrêter, donner du courage... Ce qu'on a voté, la gauche doit le porter, pour autant le chômage et la pauvreté continuent d'augmenter ».

Elle ne le dit pas, mais cela signifie : le sociétal ne fait pas le social. Elle revendique cependant des textes « de gauche », comme celui sur la responsabilité sociale des entreprises, voté après la tragédie du Rana Plaza pour qu'aucune société commerciale française ne se dédouane des conditions de travail d'un autre âge chez les sous-traitants textiles. Ou encore la loi santé dont elle défend le tiers payant, un bon « outil pour éviter le renoncement aux soins ».

On la sent fière d'avoir rédigé le rapport de la commission d'enquête sur les 35 heures, elle dit que c'était « un moment important, exaltant », mais elle retient son enthousiasme : « l'idée n'était pas de savoir si c'était bien ou pas, mais d'évaluer l'impact » des lois Aubry. « Jamais en quarante ans, on n'avait créé autant d'emplois qu'entre 1998 et 2002 : deux millions dont 350.000 à 400.000 du fait des 35 heures ». 

« C'est un mystère que les 35 heures n'aient pas été portées par la gauche »

« La question est notamment celle de la diminution des heures de délégation des délégués... »
« Ce qui me pose des difficultés, c'est de fondre les institutions représentatives du personnel dans une délégation unique », dit Barbara Romagnan en réponse à un auditeur l'interrogeant sur la loi Rebsamen en cours d'examen. « La question est notamment celle de la diminution des heures de délégation des délégués. Il n'y a pas de garantie, ce sera fixé par décret... Et puis, il y a la valorisation de l'expérience syndicale. Les syndicalistes apportent beaucoup, mais ils sont de fait sanctionnés du fait de leur engagement... Les seuils n'ont pas bougé, mais en Allemagne, il y a des délégués à partir de cinq salariés... »

La députée sait bien que tout n'a pas été réussi, par exemple pour les cadres en forfait jours, mais elle souligne « la grosse satisfaction des parents d'enfants de moins de 12 ans ». Quant à sa déception sur le sujet, c'est pour elle « un mystère que les 35 heures aient été décriées de façon aussi irrationnelle », et surtout » n'aient pas été portées par la gauche ».

Au premier rang, une retraitée dira plusieurs fois son attachement à la réforme du gouvernement Jospin : « c'est inadmissible qu'on ait touché aux 35 heures ! Ne touchez pas aux 35 heures ! »

Mais au fait, ce gouvernement est-il de gauche ? Barbara Romagnan pose la question tout haut : « Sur les grandes masses financières, la philosophie, ce qu'on fait n'est pas bien. Je n'ai pas voté la confiance deux fois... Je n'ai pas eu l'occasion de voter contre la loi Macron ou la loi de finances de la Sécurité sociale... La politique économique qu'on mène est la même, voire pire que celle de la droite. Quand je vois qu'on plafonne les indemnités de licenciements, j'en suis bien malheureuse... » 

« Ce qui est dit dans la motion A me convient, mais j'ai du mal à y croire... »

Justement, pourquoi n'a-t-elle pas voté la motion de censure ? « Pour ne pas avoir Sarkozy ou ses amis... Et il n'y a pas eu 58 députés de gauche pour déposer une motion de censure, on n'était même pas 40 au PS... L'aurais-je déposée ? Non, car elle visait à faire tomber le gouvernement... Et la motion B a perdu au congrès... Ce qui est dit dans la motion A sur les 18 mois qui restent me convient, mais j'ai du mal à y croire... Je verrai s'ils font ce qu'ils disent lors du vote du budget en octobre. Si les engagements pris ne sont pas là, cela justifiera que je votre contre... »

Ce serait le signe qu'elle ne serait plus dans la majorité... Pourtant, une motion de censure victorieuse entraînerait la chute du gouvernement, pas nécessairement une dissolution et de nouvelles élections législatives... Mme Romagnan entend bien, mais a contrario du Front de gauche, elle n'est pas convaincu qu'une autre solution de gauche soit possible, bien que les partis de gauche soient majoritaires à l'Assemblée nationale : « il n'y avait pas de majorité de gauche d'accord sur une motion de censure, donc on n'aurait pas pu faire une [autre] majorité de gauche. Mieux valait être plus nombreux à s'abstenir que moins de dix députés PS à voter contre... Je ne veux pas être dans une stratégie de rupture mais convaincre de la nécessité d'une réorientation. C'est embêtant, ça fragilise la gauche, mais je considère surtout que c'est le gouvernement qui fragilise la gauche ».

Comment ? Avec le pacte de responsabilité : « nos soixante propositions coûtaient 20 milliards, et en une seule mesure non débattue, on met deux fois plus sur le pacte de responsabilité qui remet en cause nos engagements ! Alors que certains ne coûtaient rien, comme le droit de vote des étrangers. On ne l'a pas fait alors qu'on a eu deux ans et demi la majorité au Sénat ! Ça va nous coûter extrêmement cher. C'est le renoncement qui me rend le plus triste et le plus honteuses. Ça ne concerne même pas les jeunes, mais leurs parents : de la reconnaissance, de la dignité... »

« On n'a pas la carte, si on l'avait eue, on aurait voté à gauche... »

Anne Humbert, qui fut candidate suppléante aux élections départementales sur le canton de Besançon-1 qui comprend Planoise où l'abstention a atteint des sommets, opine : « Je pensais que les parents d'élèves du collège Diderot votaient, mais beaucoup m'ont dit : on n'a pas la carte, si on l'avait eue, on aurait voté à gauche... »

Représentant de la motion D, Sébastien Coudry interroge : « s'ils sont là depuis 30 ans, pourquoi n'ont-ils pas demandé la nationalité avant ? » Lazhar Hakkar répond : « l'accès à la nationalité est très difficile. Un de mes cousins né à Besançon a mis dix ans à l'avoir. Cette question m'a amené à quitter le parti... Ça a conduit à une très grosse abstention sur Planoise. Dans une famille, si le patriarche vote, ils votent tous. L'abstention est à gauche... »

On sent du désenchantement. Sébastien Coudry dit qu'une « convention citoyenne » peut remettre sur pieds la « question démocratique » malmenée. Barbara Romagnan cite la démarche similaire du « pacte citoyen » porté par l'économiste et philosophe Patrick Viveret. Le mot citoyen étant à toutes les sauces, que pense-t-elle du « rassemblement citoyen » initié par Gabriel Amard, du PG ? Tout cela préfigure-t-il une recomposition de la gauche ? « C'est une question indispensable, mais elle n'est portée par aucun parti... Au congrès du PG, il n'y a eu que 1700 votants sur 10.000 adhérents... A Nouvelle Donne, avec qui je me sens en accord, 60 responsables viennent de partir... Quand Frédéric Barbier a remporté notre seule victoire à Audincourt, pourquoi cela n'a-t-il pas été plus simple et plus facile pour la gauche ? Le FG et EELV n'ont pas dépassé 4% ! Les gens qui travaillent ne sont pas dans les partis, je me retrouve dans ces propositions... » 

 

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