Née de la proposition d'Ignacio Ramonet dans son article Désarmer les marchés paru dans Le Monde diplomatique de décembre 1997, l'ONG altermondialiste Attac a bientôt 20 ans et l'euphorie des débuts est passée. En France, les 30.000 adhérents de 2003 ne sont plus que 8000. A Besançon, ils sont ainsi passés de 150 à moins de 50 dont « quatre ou cinq actifs », constate son principal animateur Thierry Brugvin.
Ailleurs en Franche-Comté, les comités locaux de Belfort et du pays de Montbélliard sont « morts ou en sommeil ». Dans le Jura, où les effectifs ont atteint 300 adhérents au début des années 2000, ils sont 87 à jour de cotisation dans les groupes de Dole, Lons, Poligny et Saint-Claude. Mutualisant les initiatives, ils se retrouvent à chaque rentrée pour préparer leurs calendriers militants. Cette année, ils étaient vingt-cinq au Franois, à deux pas des cascades du Hérisson, dans l'ancienne colo du Nid des merles, devenu lieu d'habitat participatif.
Militants impliqués dans les collectifs Stop-Tafta ou anti gaz de schiste
« Beaucoup d'anciens adhérents sont allés dans les partis politiques », explique le Jurassien Christian Boisson. « On a tenu car on s'entendait bien, et ceux qui restent sont contents d'être hors d'un parti... Le groupe de Lons est également à l'origine de plusieurs Amap, d'actions en direction des banques avec des représentations festives. On a jusqu'à 120 auditeurs quand on organise une conférence avec une personnalité. Les groupes Attac du Jura fourmillent d'idées, beaucoup d'adhérents se sont impliqués dans les collectifs Stop-Tafta ou anti gaz de schiste... »
Signe du dynamisme des Jurassiens, ils invitent leurs voisins. Le petit groupe du Haut-Doubs était représenté, mais pas celui de Besançon. « Il est atone, des gens sont partis par lassitude ou parce qu'ils ont fait des enfants », explique une militante qui l'a quitté pour la France insoumise. Thierry Brugvin, qui n'a pas vu l'invitation, confirme à demi-mot la langueur bisontine : « on fonctionne à un petit rythme, mais on est endurant ». Du coup, les relations des Bisontins avec les militants du Haut-Doubs ou du Jura sont « sympathiques mais rares, et on aime pas trop rouler, c'est cher et ça prend du temps... »
« Aux partis la fonction gestion, à l'association la réflexion...»
A Besançon aussi, des militants d'Attac ont intégré des partis de gauche. Parfois, c'est l'inverse qui s'est produit : des militants de partis ont adhéré à Attac... De quoi rappeler les frictions qui avaient atteint leur paroxysme lors de la présidence de Jacques Nikonoff entre 2002 et 2006. « Il y a toujours eu deux tendances à Attac », résume Thierry Brugvin, « les tenants de l'indépendance vis à vis des partis, et ceux qui souhaitent une association avec un parti, voire qu'Attac devienne un parti. C'était la position de Nikonoff qui a quitté Attac et créé le MPEP... Jusque là, c'est l'indépendance qui l'a emporté, on ne fait par exemple jamais quelque chose avec un seul parti, mais avec plusieurs... »
Enseignant-chercheur en sociologie, auteur d'une thèse sur les mouvements sociaux transnationaux, Thierry Brugvin a son idée sur les relations entre Attac et les partis : « ils veulent être élus, sont dans la gestion, nous voulons dire ce qu'on a à dire sans nous préoccuper de ça. Aux partis la fonction gestion, à l'association la réflexion... Mais comme les gens d'Attac sont parfois adhérents de partis, nos idées y sont diffusées dans les partis de gauche, et même certains à droite, voire au FN, comme la critique du Tafta... Au point que Frédéric Lordon s'est fait traiter de facho, mais les gens intelligents ne disent pas ça... »
Les Jurassiens coordonnateurs
des comités locaux en 2018
Reste qu'Attac observe avec une grande attention l'arène électorale. Son conseil d'administration du 13 mai dernier s'y est arrêté un instant. Orientée par le CA qui propose notamment des campagnes, Attac n'est pas l'organisation monopolistique qu'elle aurait pu devenir si ses statuts initiaux avaient été suivis à la lettre. L'émergence de dizaines, puis de centaines de comités locaux, insistant sur leur autonomie, en a fait une galaxie foisonnante et diverse se réunissant trois fois par an pour échanger sur les expériences à partir de thèmes préparés par trois comités locaux dont celui du Jura en 2018.
Pour creuser les réflexions, Attac dispose enfin d'un conseil scientifique où se côtoient chercheurs et acteurs du mouvement social (syndicalistes et associatifs). C'est souvent parmi eux que se recrutent les orateurs et conférenciers qui parcourent le pays pour exposer et partager leurs connaissances. C'est en ce sens que l'ONG se vit comme une association d'éducation populaire. « On touche davantage le public populaire à l'occasion des projections-débats, bien plus qu'avec une conférence un peu intello », souligne Thierry Brugvin.
Les Jurassiens ont invité l'économiste atterrée Esther Jeffers, spécialiste du revenu d'existence, en novembre à Saint-Claude. Ils s'appuient aussi sur les films pour porter des débats publics. Quand ils sont accompagnés de son auteur, c'est encore mieux mais un peu plus délicat à caser dans un calendrier serré. Le film Irrintzina, le cri de la génération climat, devrait être projeté dans plusieurs villes du Jura début décembre. Venu à Pontarlier l'an dernier avec le film Ne Vivons plus comme des esclaves, le réalisateur Yannis Youlountas est pressenti pour venir dans le Jura avec son nouveau film Je lutte donc je suis, support d'un convoi solidaire avec la Grèce.
A Besançon, qui a accueilli en 2016 l'université d'été d'Attac après avoir notamment projeté Merci Patron en présence de François Ruffin, la réunion de rentrée devrait se tenir fin septembre.