Barbara Romagnan peut-elle être investie par le PS aux législatives de 2017 ?

La députée de la gauche du PS reste fidèle aux engagements de 2012. Cela lui vaut le respect hors du parti, mais aussi, disent ses amis, de la part de militants en désaccord avec elle qui lui accordent un « crédit éthique ». L'ancien député Joseph Pinard veut lui « faire payer » ses audaces...

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« J’ai souvent pesté contre mon parti ou certains responsables. Toutefois, c’est ici que je me sens le plus à ma place et j’ai de nombreuses raisons d’être fière d’y militer. » En exergue de sa biographie figurant sur son site, Barbara Romagnan explique en deux phrases la complexité de sa propre situation politique. Et ce faisant, les difficultés de son parti, le PS, et par conséquent de toute la gauche.

Depuis le début de la législature, elle a voté une centaine de textes présentés par le gouvernement dont cette semaine celui instaurant une agence de lutte contre la corruption. Depuis quatre ans, elle s'est abstenue quatorze fois, à commencer par la transposition du fameux ANIaccord national interprofessionnel en avril 2013, sur les deux déclarations de politique générale de Manuel Valls, le budget de la Sécurité sociale depuis 2014, le budget de l'Etat depuis 2015...

Six votes contre le gouvernement

Elle a voté contre le gouvernement à six reprises, dès le 9 octobre 2012 sur la ratification du traité européen de stabilité, un vote « pierre angulaire », souligne Thibaut Bize, responsable bisontin du PCF qui lui sait gré de « vouloir faire respecter le programme sur lequel elle a été élue en 2012 ». Elle s'est opposée aux différentes dispositions sécuritaires, à l'introduction de l'état d'urgence dans la constitution, aux nouvelles règles relatives à l'élection présidentielle... Elle aurait bien voté contre la loi Macron et la loi El Khomri si le 49-3 n'avait pas été dégainé, mais n'a pas voté les motions de censure de la droite, non sans avoir participé à le tentative de présenter une motion de censure de gauche contre la loi travail.

On verra si le second passage du texte, modifié par le Sénat, à l'Assemblée nationale lui donne l'occasion d'un nouvel essai. Pour que les modifications apportées, non par les députés privés de débat initial, mais par le mouvement social, deviennent force de loi, le gouvernement ne pourra pas actionner d'emblée une nouvelle fois le 49-3, sauf à valider le texte des sénateurs, majoritairement de droite. On imagine dans ce cas le tollé au sein du groupe PS, bien au-delà des frondeurs, et évidemment dans le mouvement social.

La « ligne rouge » d'une motion de censure de gauche

Pour la direction du PS, comme pour le gouvernement, une motion de censure de gauche serait une « ligne rouge ». C'est ce que dit Pierre Rueff, membre du conseil fédéral du PS du Doubs et représentant de la motion majoritaire : « ce serait un point de non retour ». Directeur de la campagne législative (perdue) de Barbara Romagnan en 2007, il n'est pas aussi vindicatif que l'ancien député Joseph Pinard qui ne supporte pas les manifestations d'indépendance de l'élue. Il répète à qui veut l'entendre, d'un ton menaçant : « Elle le paiera ! On ne l'investira pas aux législatives de 2017 ! »

« Qu'il vienne dans les AG, même les gens de sa sensibilité respectent l'honnêteté de Barbara. S'il y avait un vote, 80% des adhérents de Besançon la désigneraient. Beaucoup de militants associatifs l'apprécient et elle a un crédit éthique », assure Marcel Ferréol, soutien et conseiller de la députée.

Pierre Rueff relativise : « il y a eu intention » mais pas passage à l'acte, et « l'intention n'est pas un fait ». Pense-t-il que la députée peut ne pas être investie ? « Beaucoup dans le PS en ont marre de cette attitude, mais la décision se joue à différents niveaux : la désignation par les adhérents de la section, puis la validation par le national. Moi, je n'en suis pas partisan... ».

La bataille pour la primaire

Démissionnaire du PS après avoir soutenu la motion des frondeurs au dernier congrès, militant de la CGT qu'il a représentée au CESERconseil économique, social et environnemental régional, Gilles Spicher trouve que Barbara Romagnan est « correcte : au conseil de surveillance de l'hôpital de Novillars, elle était fidèle dans ses votes à ses engagements, par exemple sur le budget ». Il estime cependant que sa position n'est pas tenable sur la durée : « à un moment, il faudra que les frondeurs sortent du PS, comme Filoche ».

Quelque que soit leur tendance, tous en sont d'accord, l'heure de vérité n'a pas encore sonné. Cela dépend de l'usage ou non du 49-3 pour le retour de la loi travail devant les députés et d'une éventuelle motion de censure de gauche. Cela dépend aussi de la tenue ou non d'une primaire pour désigner le candidat socialiste à la présidentielle. Sur ce point, les proches de Barbara Romagnan animent le comité bisontin qui milite pour qu'elle ait lieu. La section de Besançon en janvier, puis la fédération du Doubs en mai, se sont également prononcées pour que cette primaire se tienne. « S'il n'y en a pas, il y aura un gros risque pour le PS », analyse Jean-Sébastien Leuba, adjoint au maire et secrétaire de la section, qui espère que le conseil national du parti la décidera ce samedi : « s'il l'annule, je réagirai fortement ».

« Si elle restait au PS, elle se grillerait
auprès des gens qui lui font confiance »

S'il n'y en a pas, Gilles Spicher voit mal Barbara Romagnan et les frondeurs « faire la campagne de François Hollande ». Et par conséquent, il ne voit pas le PS la soutenir aux législatives. D'ailleurs, « si elle restait au PS, elle se grillerait auprès des gens qui lui font confiance ». Thibaut Bize rappelle l'importance des « primaires citoyennes » auxquelles des communistes « travaillent » avec Barbara Romagnan et quelques autres : socialistes, mais aussi écologistes et citoyens sans parti. La députée pourrait-elle être candidate de la gauche de la gauche si elle n'est pas investie par le PS ? « Oui, mais il faut voir sur quelles bases. On travaille à un front populaire citoyen à vocation majoritaire », dit l'adjoint communiste.

En fait, c'est une vaste partie d'échec à plusieurs inconnues qui se joue sur le terrain de la 5e république, particulièrement miné pour la gauche dont l'histoire se conjugue mal avec l'idée du sauveur suprême. « Si la gauche se fracture, elle va dans le mur, c'est pour ça qu'on défend la primaire », dit Marcel Ferréol qui est « en désaccord profond avec Mélenchon et Valls qui parlent de deux gauches irréconciliables : c'est une analyse d'appareils de gens pensant à leur ego ».

Voulant lui aussi en finir avec l'« archaïque » 5e république, Ferréol ne « comprend pas ses pourfendeurs fascinés par Mélenchon qui défend le rapport direct avec le peuple : c'est la définition du césarisme ! » N'empêche, pour l'instant, Jean-Luc Mélenchon est le seul candidat déclaré à annoncer un processus de révision constitutionnelle... Certes, mais il a « cassé le modèle Podemos » et « les Verts ne lui font pas confiance »... En fait, Marcel Ferréol en pince pour Nicolas Hulot : « le propre des situations de crise, c'est l'inattendu... »

« Avec Barbara, il y a davantage
de sujets d'accord que de sujets de désaccord »

On n'en est pas encore aux là, mais les choses évolueront vite. Barbara Romagnan a l'intention d'être candidate, mais si elle n'est pas soutenue par le PS, qui le parti présenterait-il ? « Ce n'est pas une question de personne, mais d'orientation », dit Pierre Rueff. « Si on veut gagner, il faut être unis, rassemblés, et que tout le monde s'y retrouve », dit Sébastien Coudry qui avait signé la motion D qui tente de recoller les morceaux du PS, mais dont deux des leaders ont signé pour une motion de censure et deux autres non...

Thibaut Bize n'est pas loin de ce point de vue favorable à une synthèse : « Avec Barbara, il y a davantage de sujets d'accord que de sujets de désaccord... Avec son rapport sur la réduction du temps de travail, on sent qu'il y a des valeurs communes, que la lutte contre le chômage doit passer par ça... » Il pense aussi que toute construction d'un projet, ou de désignation de candidat, devra passer par un processus impliquant des citoyens.

« Ce n'était pas très habile de passer dès l'article 1 par le 49-3 »

En attendant, la députée est lundi 13 juin à Pirey pour une réunion de compte-rendu de mandat comme elle en tient deux par mois depuis septembre. On est assez loin de ces problématiques de primaire présidentielle ou de préparation des législatives. Davantage dans le contenu politique, mais décliné d'après le prisme de la télé. Concurrence du championnat de football ? En tout cas, moins de dix personnes sont dans la salle municipale où le maire, Robert Stepourjine, fait admirer un tableau de peinture abstraite. C'est un homme de centre-droit, tout comme son collègue Gabriel Baulieu, maire de Serres-les-Sapins, le village voisin.

Réunion publique à Pirey. Au premier plan, Gabriel Baulieu, maire de Serres-les-Sapins.

Sont-ils venus porter la contradiction ? C'est bien une question de journaliste ! Ils sont là par courtoisie républicaine. Gabriel Baulieu se déclare favorable au consensus. C'est d'ailleurs ce qu'il tente de construire dans sa fonction de premier vice-président de la communauté d'agglo de Besançon.

C'est cependant Barbara Romagnan qui introduit la soirée. Frondeuse à l'assemblée, son expression est ici pondérée, même si elle ne lâche rien sur le fond : « la loi travail n'a pas très bien commencée car tout texte sur des questions sociales doit d'abord être présenté aux partenaires sociaux : il y a au moins eu maladresse sur ce point. Et ce n'était pas très habile de passer dès l'article 1 par le 49-3. Quoi qu'on en pense, on est quand même la représentation nationale. Ça s'est passé comme pour la loi Macron, sauf que le débat avait eu lieu ».

« C'est important que les accords de branche restent protecteurs »

Le fond, c'est l'article 2, celui qui inverse la hiérarchie des normes sociales : « c'est important que les accords de branche restent protecteurs ». Elle avait rédigé le rapport de la commission d'enquête sur les 35 heures, elle souligne que la loi El Khomri permet « d'augmenter le temps de travail de ceux qui ont déjà un emploi, dévalorise le travail en faisant passer les heures supplémentaires de 25% à 10% de plus... »

Gabriel Baulieu défend pour sa part l'article 2 car « la faculté de négocier près du terrain n'est pas anecdotique : des boîtes n'ont pas sauvé leur tête en ne pouvant pas négocier au niveau de l'entreprise ». Il estime que les opposants à la loi sont « des salariés pas concernés ». Dit que « le pays va droit dans le mur quand d'autres, en Europe du Nord, s'adaptent, et que le Sud est mis au pas à coups de bottes... »

Un participant suggère que la loi travail, en permettant la négociation d'entreprise, est de nature à favoriser la re-syndicalisation. Barbara Romagnan répond : « Mais qu'est-ce que ça change ? Aujourd'hui, dans les entreprises, on peut tout négocier... On a eu les lois de 2004, de 2008, l'ANI... Pour certains, qui ont voté François Hollande, c'est le truc de trop. Avec le désordre dans le pays, j'ai peur qu'il y ait un mort, ou plusieurs... ». Le participant opine : « c'était une maladresse de passer en force... » 

Réfugiés : « Je serais capable de voter pour Merkel... »

Libéral sur le plan économique, Gabriel Baulieu oriente la discussion sur des enjeux qu'il considère majeurs : l'immigration climatique des années à venir, la sécurité et la défense...De fait, c'est de cela dont il est question une grande partie de la soirée et Barbara Romagnan est un peu sur la défensive. Gabriel Baulieu semble lui donner raison, sur l'accueil des réfugiés qu'il estime nécessaire pour des raisons morales : « les élites devraient passer leur temps à expliquer les choses comme elles sont ». La députée approuvé la chancelière allemande sur les migrants : « je serais capable de voter pour elle... »

Le TAFTA arrive dans la discussion. Elle est un peu dépitée de la position de François Hollande : « La France est contre car il n'est pas assez libéral, car les USA protègent davantage leur marché... Pour ma part, je ne comprends pas comment un tribunal arbitral nous protégerait davantage... »

A l'évidence, elle est dans la lignée de la campagne de 2012. Pierre Rueff ne le conteste d'ailleurs pas : « des députés ont ces positions depuis 2012, elle en fait partie. Ils étaient dix ou douze à l'époque, ils sont une trentaine... »

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