« Nous ne sommes plus des vaches à lait »

Mobilisés pour la troisième semaine consécutive au rond-point de Valentin, les Gilets jaunes,  à Besançon comme ailleurs et partout en France, ralentissaient la circulation samedi 1er décembre pour exprimer leur colère face à l’augmentation du prix de la vie en espérant enfin se faire entendre par le gouvernement.

gilet-val

Sur un parking à proximité du rond-point de Valentin, un couple sort de sa voiture et enfile leurs gilets jaunes fluo. Pour le troisième week-end consécutif, Agnès et Jean-Pierre, secrétaire et retraité, sont venus grossir les rangs des manifestants, à chaque fois sur un rond-point différent. « Je pense que c’est râpé pour Macron », attaque d’emblée Agnès. « On en a marre de travailler pour ne pas pouvoir se faire plaisir pendant que d’autres se gavent. Tout le monde en a marre, c’est allé trop loin. On m’a toujours appris que l’exemple venait d’en haut, mais je n’en peux plus de voir des ministres, des députés, des sénateurs qui travaillent pour leur gueule, pas pour le peuple ».

Elle est en colère et réclame un changement radical, voudrait changer de Constitution et affirme ne plus croire, ni aux partis politiques ni aux syndicats. « Ils ont fait de belles promesses aux retraités, regardez le résultat… » En ce début d’après-midi, l’écho des violences en cours à Paris ne semble pas la choquer outre mesure. « À un moment donné, les gens répliquent. Tendre l’autre joue ça va un moment, on n’est pas Jésus. »

Quelques mètres plus loin, ils retrouvent une connaissance qui les met en garde contre les journalistes. « Il ne faut pas leur parler, ils disent n’importe quoi. Tu es un journaliste honnête ? » La méfiance est importante, mais elle se dissipe après une petite discussion autour des médias et l’on finit par s’accorder sur la nécessité d’une information libre et indépendante.

Ce monsieur est choqué de la manière dont le gouvernement traite les manifestants à Paris, qui sont obligés de présenter leur carte d’identité pour défiler dans le périmètre autorisé. « Filtrer les entrées des Champs-Élysées ? Mais c’est quoi ça ? On vit en dictature ? On a plus le droit de manifester, mais on est où ? De toute façon, je pense que ça va toucher l’Europe entière. Il y en a déjà en Belgique et en Allemagne. »

« On ne voit pas où vont nos impôts, tout le monde paie
et on a l’impression d’un puits sans fonds.
Je suis d’accord pour payer des taxes,
mais quand tu vois qu’elles augmentent tout le temps,
que les communes reçoivent de moins en moins
et que les maires ne veulent plus se représenter, il y a un problème. »

Arrivés sur la route qui mène à l’autoroute, une dizaine de gilets jaunes filtrent la circulation au milieu de la chaussée, là où il y a aussi une voie d’accès à quelques magasins. Plus bas, un groupe plus important se tient près des barrières de péages, où des gendarmes sont aussi positionnés. « C’est bien, on a réussi à faire péage gratuit, ça donne une bonne opinion du mouvement, ça arrange tout le monde », se félicite un étudiant.À côté de lui, un retraité se joint à la discussion et dit que des messages sur les panneaux d’autoroute dissuadent les gens de sortir ici sans payer.

Il s’est déjà mobilisé les semaines précédentes avec les motards pour protester contre l’augmentation des taxes de manière générale. « On ne voit pas où vont nos impôts, tout le monde paie et on a l’impression d’un puits sans fonds. Je suis d’accord pour payer des taxes, mais quand tu vois qu’elles augmentent tout le temps, que les communes reçoivent de moins en moins et que les maires ne veulent plus se représenter, il y a un problème. » Il se souvient de Mai 68, quand le SMIG avait augmenté de 30 %,  « maintenant, c’est la dégringolade ». Ils espèrent beaucoup de cette mobilisation, mais l’étudiant regrette qu’il n’y ait pas encore plus de personnes ici. « On a un président qui s’en fout, il faudrait que plus de monde s’y mette. Il y en a beaucoup de gens qui parlent, mais pas beaucoup qui agissent. Si la moitié de ceux qui gueulent s’y mettaient, il ne faudrait pas un mois pour aboutir à quelque chose. »

Plus haut, sur le rond-point, il y en a du monde, peut-être plus d’une centaine rien qu’ici. Une cabane rudimentaire a été montée, un feu brûle et des banderoles expriment beaucoup de colère. Le samedi précédent, les gendarmes avaient évacué les lieux à coup de gaz lacrymogène. Un retraité qui se trouve là dit être présent tous les après-midi depuis trois semaines. Quand on lui demande ce qui a changé, il n’est pas très loquace. « Au niveau du gouvernement, rien n’a changé, ici il y a toujours du monde, tout type de personnes ». Il a pu constater « 2-3 excités chez les automobilistes, mais en général, ils sont assez sympas. On ne bloque personne, on ralentit partout, on fait le péage gratuit ».

« Ils se foutent de notre gueule, tous. Tout augmente, mais le salaire ne suit pas. »

Depuis le rond-point, on voit que les gilets jaunes ralentissent la circulation sur la route de Vesoul située en contrebas. De l’autre côté, on voit un bouchon à perte de vue. « Les gendarmes demandent de débloquer de temps en temps, moi je ne suis pas pour le blocage », affirme David, qui se tient sur la rambarde qui surplombe la route. Comme tout le monde ici, il en a plus que marre de payer toujours plus. « Je gagne un peu plus que le SMIC, mais quand il faut payer l’eau, l’électricité, etc., il ne reste pas grand-chose. Mais je me chauffe au bois et je le fais moi-même, j’ai de la chance. Ils se foutent de notre gueule, tous. Tout augmente, mais le salaire ne suit pas. »

Il affirme avoir déjà manifesté pour les retraites et le pouvoir d’achat, mais il n’est pas syndiqué et éprouve beaucoup de méfiance vis-à-vis de ces organisations censées le représenter. « Ils sont achetés par le gouvernement, une fois que l’on a arrosé la bonne personne, elle revient en disant que l’on n’a pas pu faire ci ou ça ». Il est outilleur dans l’industrie, « dans une usine où l’on bosse presque toute l’année, 24 h/24 et sept jours sur sept et ils disent qu’il n’y a pas un rond… » Il a vu certains de ses collègues ici, et il ne pense pas que ce mouvement pourrait déboucher sur des grèves. « Les gens sont payés au SMIC et ont encore plus de mal à finir le mois. »

À ce moment, des applaudissements éclatent : une voiture s’arrête pour déposer un carton de nourriture. David poursuit. « Le Gouvernement et ses sbires font la sourde oreille, ici il y a des jeunes, des travailleurs, beaucoup de femmes, des retraités. Je ne suis pas pour la casse, parce que c’est nous qui allons payer à la fin. Les députés devraient commencer à l’usine, derrière une presse qui fait boum boum toute la journée. Je veux bien échanger, mais je ne pense pas qu’ils voudraient. Ils ont peut-être fait des études, ont un bon cursus, mais ils se foutent de notre gueule. Ils tirent trop sur la ficelle et elle commence à rompre. Les gens savent compter, il ne faut pas avoir un bac +5 pour comprendre. »

« On en a marre de ne pas pouvoir finir le mois
et de ne pas profiter de la vie,

de ne pas partir en vacances... »

Juste à côté, deux femmes et une petite fille, la seule du trio à porter un gilet jaune, font partie des troupes. Les deux adultes lui demandent pourquoi elle est là. La petite, qui est en CE2, répond spontanément : « pour que Macron nous rende notre pognon ! » Un peu surprise par sa réponse automatique, qu’elle ne trouve peut-être pas très polie, mais plutôt appropriée, sa maman lui souffle une autre réponse : « pour soutenir les gilets jaunes, montrer que l’on en a marre ». Elles étaient déjà là les deux samedis précédents, « même si je n’ai pas de gilet jaune, parce que ça ne va pas avec mon teint ! Mais l’important c’est d’être là. On en a marre de ne pas pouvoir finir le mois et de ne pas profiter de la vie, de ne pas partir en vacances ». Elles sont assistante commerciale et comptable.  »Tant que ça ne changera pas, on viendra faire notre petit tour ».

Le discours est sensiblement le même avec chaque interlocuteur. « Comme tout le monde, j’en ai ras-le-bol d’être taxé. On travaille et on voudrait bien en profiter un peu, on n’est pas des fourmis. Je suis ici pour maintenant et pour plus tard. Les retraités sont taxés de plus en plus. Quand en plus on a deux générations à prendre en charge : nos parents en retraite qui n’y arrivent pas et nos gosses qui travaillent, mais qui ne peuvent pas se loger parce que les loyers sont trop chers, cela devient vraiment trop difficile. La fameuse goutte qui fait déborder le vase, c’est l’augmentation du gazole et les salaires qui n’augmentent pas selon le même pourcentage ».

Dans ce petit groupe, l’une des personnes rebondit :
– C’est quand même bizarre, j’ai vu des chiffres qui disaient que le pouvoir d’achat avait augmenté…
– Ils se basent sur quoi ? C’est plus de 100 € un caddie de course, sans prendre de marques…
– Il faudrait aller voir des ministres et leur demander le prix des choses. Ils ne savent pas, pour eux la vie est belle. C’est le ras-le-bol général. Je n’ai jamais manifesté aussi longtemps, et je suis motivé pour continuer.
– Oui, nous ne sommes pas des vaches à lait.
– Non, nous ne sommes plus des vaches à lait !
« Je ne suis pas là pour la bagarre, mais pour que l’on puisse se faire entendre. Il y en a un qui ne nous entend pas, il est irrespectueux avec le petit peuple. Il a fait trop de choses d’un seul coup, il donne aux riches et prend aux pauvres. Un roi a fait comme lui, on a vu ce qui lui était arrivé. La révolte commence comme ça, s’il ne veut pas comprendre, peut-être que ça ira plus loin. Il faut qu’il percute. » Quelqu’un revient triomphant d’un autre point de rassemblement. « Carrefour est fermé, on a fermé Carrefour ! », se réjouit-il. Sur le parking du grand centre commercial, il n’y a pas beaucoup de voitures, des gendarmes se trouvent à chaque entrée et sont parvenus à débloquer les accès.

Apparemment, la situation s’est un peu tendue dans la soirée selon certains médias. Quelques voitures de gendarmes auraient été dégradées et au moins une interpellation pour des coups portés à un membre des forces de l’ordre est à déplorer. Les gilets jaunes sont bien déterminés à poursuivre le mouvement, et un appel est lancé pour bloquer la plateforme Easydis mardi dans la matinée.

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