Le Bol d’R : entre légalité et légitimité

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Le tribunal a rendu son avis ; SolMiRé est condamné à  "l'expulsion sans autre délai que celui de la signification de la décision et au besoin avec la force publique et l'assistance d'un serrurier". Certes, l'occupation du local de la rue d'Arènes, à Besançon, est illégale et la Ville qui ne veut entendre d'autre argument en droit que la défense de la propriété a refusé de « dévier sur d'autres domaines », comme le soutient l'avocat de la SAIEMB, propriétaire du local avec la Ville. D'accord notre droit est implacable contre toute atteinte à la propriété devenue depuis la Révolution un des « droits naturels et imprescriptibles de l'homme ». Toutefois ne peut-on pas penser que le véritable débat est ailleurs ? Pour les bénévoles de SolMiRé, de nombreux Bisontins ayant apporté un soutien matériel et les voisins du Bol d'R rue d'Arènes, il n'en reste pas moins que cette occupation a été légitime au nom de l'inconditionnalité de l'accueil contestée par certain(e)s de nos élu(e)s.

Le jeu des lois

Selon la mairie, SolMiRé « fait de l'accueil inconditionnel »… « Cette association ne ferait pas la différence entre les réfugiés politiques et les économiques » (L'Est républicain du 3 mars dernier). D'un côté, certain(e)s nous affirment qu'il faut respecter les lois et que le sujet des migrants est du ressort de la Préfecture, et de l'autre les mêmes se permettent de tels propos quelque peu à côté de la loi. L’accueil inconditionnel des personnes sans domicile est un principe inscrit dans le Code de l’action sociale et des familles, qui prévoit dans son article L 345-2-2 : « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence », et aucune condition de régularité de séjour n'est imposée par les textes. Par ailleurs, il revient à l'Ofpra, seul, de statuer entre exilés « politiques » et « économiques », et non aux élu(e)s du Conseil municipal de Besançon. Pour sa part SolMiRé ne croise au Bol d'R que des humains en détresse. Son action au campement d'Arènes, que la Ville vient de détruire, ou au Bol d'R n'est en fait rien de plus qu'une intervention citoyenne par défaut de prise en charge publique. La non-assistance à personne en danger est aussi inscrite dans la loi (Code pénal, loi 223-6) qui punit « quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours ».

Le règlement Dublin :  inefficace et anti-européen

Si l'application de la procédure Dublin n'est pas, du coup, du ressort de la Ville, il est cependant nécessaire d'y réfléchir en tant que citoyen tant elle est absurde et coûteuse. En effet, elle frappe de nombreux demandeurs en errance à Besançon et se révèle surtout être un outil politique, brandi en France actuellement, pour faire obstruction, de façon arbitraire, à une grande partie des demandes d’asile. Le Préfet peut tenter en effet d' « éloigner » des exilés en invoquant ce règlement qui autorise (mais n'oblige pas) tout État de l'UE à refuser la prise en charge de tout migrant déjà enregistré dans un pays européen et à l'y renvoyer formuler sa demande d'asile. Ce faisant, le Préfet qui s'en débarrasse n'est pas sans savoir que tout État de l'UE peut faire de même en direction de la France. Dès lors, ces éloignements croisés affichent un bilan quasi nul entre les éloignements pratiqués de France et les réadmissions dans l'Hexagone acceptées par la France en vertu de ce même règlement. Et cela sans compter qu'il n'est pas si simple d'expulser ces « Dublinés » car la Préfecture peut se heurter au refus de prise en charge des pays visés, auquel cas la France se trouve finalement obligée d'accepter leur demande d'asile. Ainsi, Dublin sert surtout à faire augmenter le chiffre des expulsions, en leurrant l'opinion devant qui on agite le chiffre des expulsés sans lui communiquer celui des réadmissions en France d'autres « Dublinés » en provenance d'autres pays de l'UE.

Des opérations aussi coûteuses qu'inefficaces mais peut-être intéressantes électoralement

Bref on ne peut s'en sortir qu'en expulsant plus que les autres pays et en oubliant complètement l'impact humain désastreux qui en résulte. On peut remarquer à cette occasion qu'aucun État ne se plaint de ce dysfonctionnement, ni d'un éventuel manque de moyens pour appliquer un règlement digne de Kafka, et que ce gaspillage d'argent public pratiqué lors de telles opérations aussi coûteuses qu'inefficaces mais peut-être intéressantes électoralement est passé sous silence. On voit où se situe la recherche de l'efficacité. C'est pourtant à cette supercherie que participe la Préfecture du Doubs en assignant à résidence, en vue de mesures d'éloignement qu'elle souhaite rapides, cette catégorie de demandeurs d'asile au centre Pradha (Programme d’Accueil et d’Hébergement des Demandeurs d’Asile) de Châtillon-le-Duc, ex-Formule 1 devenu une RHSV (Résidence Hôtelière à Vocation Sociale), gérée par Adoma pour la Caisse des Dépôts grâce à des fonds privés venus entre autres d'assureurs comme BNP Paribas Cardif et la MAIF, qui réaliseront des intérêts juteux en déclarant investir dans le social. Ce règlement Dublin représente ainsi un gaspillage humain et financier, mais également un dispositif de repli national pénalisant toute avancée d'une nécessaire prise en compte européenne du sujet, puisqu'il institue une concurrence entre pays de l'UE. Ce règlement est donc, en plus, anti-européen. S'il doit être combattu et remplacé par un véritable droit d'asile européen, il est vrai que ce point n'est pas du ressort de la Ville ; mais pourquoi cette dernière est-elle aussi rétive à un accueil digne alors même qu'elle peut agir ?

Responsabilités de l’État et de la Ville

Lors d'une entrevue avec le Préfet, celui-ci a bien évoqué à SolMiRé les difficultés rencontrées avec les maires. Elles se manifestent en particulier lors de l'ouverture éventuelle, dans leurs communes, d'un centre d'hébergement d'urgence. Ils y sont souvent opposés, prétextant l'hostilité de l'opinion envers les migrants. Le Préfet note cependant qu'il n'y a jamais eu de problème dans les lieux où de tels hébergements ont été ouverts dans le Doubs, ni ailleurs en Franche-Comté. Même la maire de Châtillon-le-Duc, opposée à l'installation du Prahda (il est vrai imposé par le ministère de l'Intérieur sans concertation) aurait reconnu, depuis, qu'aucun incident ne s'était produit et que tout se passait bien. Rue d'Arènes et à Besançon, aucune hostilité non plus ne s'est développée, en dehors de celle de la municipalité elle-même. Du reste, pourquoi la Ville a-t-elle fait soudain vider le campement d'Arènes le 20 mars puisqu'il s'agissait selon elle d'un problème concernant la Préfecture ? Pourquoi la ville de Besançon continue-t-elle à vouloir faire passer l'action de SolMiRé au Bol d'R pour inutile ou en concurrence avec les dispositifs existants, qui disposeraient de places suffisantes, quand c'est inexact et qu'elle le sait parfaitement ? Le Préfet pour sa part semble plus modeste et, s'il affirme ne rien avoir à dire sur les objectifs de SolMiRé, il cherche à expliquer les difficultés rencontrées au niveau de l’État, face à une progression continue d'arrivées. Le jeu de passe-passe entre le représentant de l’État et l'élu est complexe.

Damien Carême : une visite encourageante

Si notre intrusion dans le local rue d'Arènes correspond, répétons-le, à une occupation par carence de l’État et de prise en charge publique, il existe cependant des municipalités courageuses qui se sont emparées du sujet, comme celle de Grande-Synthe, dont le maire Damien Carême nous a rendu visite il y a peu. S'il insistait sur le fait que les situations étaient différentes et que les exilés dans le Nord veulent avant tout passer en Angleterre, il était étonné du problème que nous rencontrons au Bol d'R face à un nombre bien moindre de migrants que ce qu'il a connu. Il persiste à soutenir que, lorsque l’État est défaillant, le maire doit jouer son rôle, tout comme les élus, en particulier au niveau de la santé publique ; en outre, contrairement aux idées reçues, son engagement et ses actions n’ont pas accentué un vote d’extrême droite dans sa commune. La meilleure solution reste pour lui de mettre tous les acteurs autour de la table, y compris les bénévoles. Il a rappelé une phrase de François Gemenne, chercheur et spécialiste des flux migratoires : « S'opposer à cette immigration est un leurre et un fantasme. C'est comme vouloir empêcher la nuit de s'opposer au jour ». Les migrations constituent en permanence un élément constitutif de notre histoire : à nous d'en faire quelque chose de positif. Il y a beaucoup à faire pour détruire certaines idées reçues sur les migrants, d'autant plus que la France n'est pas envahie, loin de là. Ceux qui sont accueillis doivent l'être correctement et Damien Carême ne voulait pas qu'il en soit autrement sur le territoire qu'il administre. Il a répondu à une carence de l’État. On peut lire, sur une publicité du musée Victor Hugo de Besançon annonçant un spectacle, cette phrase des Misérables :

« Il faut bien que la société regarde ces choses puisque c'est elle qui les fait. »

A voir : cette vidéo sur la procédure DublinEn finir avec le règlement Dublin pour un vrai droit d'asile en Europe

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